Les « colos » forcées de revoir leur modèle ?

Game over, Damien n’en peut plus. Fin juillet, de retour d’une énième colonie de vacances dans l’Ariège, le jeune homme (que nous n’avons pas réussi à joindre par téléphone) a adressé à Mediapart son « manifeste d’un animateur désabusé ». Il y dénonce ses conditions de travail « injustes, inégales et abusives ». « Je suis rémunéré 28,10 euros brut par jour, écrit-il. Je toucherai au maximum 600 euros net à la fin du mois. (...) Un petit métier insignifiant. Un des seuls métiers à ma connaissance où l’on accepte d’être payés sous le Smic. » Seul dans son coin, le jeune animateur a lancé une grève pour l’honneur. « Je refuse de signer mon contrat d’embauche tant qu’il ne sera pas réévalué à 44,03 euros brut par jour, le Smic légal appliqué pour n’importe quelle profession. »

Comme Damien, 200.000 jeunes animent chaque année des colonies de vacances en France ou à l’étranger, le plus souvent l’été. Alors qu’ils doivent assurer nuit et jour la sécurité des bambins ou des ados qui leur sont confiés, ils gagnent souvent moins que le Smic. Illégal ? Pas du tout. Ces animateurs « temporaires », qui n’ont souvent que le Bafa (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur), sont engagés sur la base d’un contrat fait sur mesure pour les structures temporaires d’accueil de mineurs. Ce contrat dit « d’engagement éducatif » (CEE), dérogatoire au code du travail, prévoit une paie très light : deux heures de Smic par jour minimum – ils ne peuvent travailler sous ce statut que 80 jours par an. Le moniteur de colo, qui bénéficie du gîte, du couvert et du transport gratuit, est mal payé. Sa rétribution est considérée comme un dédommagement, plus qu’un salaire. Et il doit sans cesse être sur le pont...

Mais ce « pacte social » brinquebalant hérité des structures d’éducation populaire en France paraît aujourd’hui menacé. La Cour de justice de l’Union européenne a en effet enjoint la France de faire respecter un délai de onze heures de repos entre deux journées de travail pour les animateurs, comme le prévoit une directive européenne de 2003 sur le temps de travail. Cet automne, le conseil d’Etat pourrait bien lui donner raison. Pour le syndicat Solidaires Isère, à l’origine de la saisine du conseil d’Etat en 2007 qui a abouti à la décision de la Cour de justice, la cause est entendue : les conditions de travail des animateurs relèvent purement et simplement du « servage ».

Les organisateurs de colos, eux, ne l’entendent pas de cette oreille. Et font monter la pression. Avec des arguments, puisqu’un million de jeunes partent en colos chaque année selon le ministère de la jeunesse et des sports. « Pour respecter le délai de onze heures, il faudrait plusieurs équipes et les coûts vont exploser de 25 à 30%, prévient Jacques Henrard, secrétaire général de la Jeunesse au plein air, un des plus gros acteurs associatifs des colonies de vacances, qui s’exprime au nom de la Ligue de l’enseignement, de l’UCPA ou des Eclaireurs, autant de grands noms de colos en France.

« Ce serait une catastrophe, poursuit-il, alors que 3 millions de gosses ne partent pas en vacances chaque année. D’autant que les comités d’entreprise et les collectivités territoriales qui financent une grosse partie des séjours ont de moins en moins de moyens. » Sensible au barouf médiatique, le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a annoncé la création d’un groupe de travail.
Un animateur : « On est exploité et on ferme notre gueule »

En prévision de la décision du Conseil d’Etat, attendue pour cet automne, le député UMP et maire de Boulogne-Billancourt, Pierre-Christophe Baguet, a déposé le 13 juillet une proposition de loi. Largement inspirée par les organisateurs de colonies de vacances, elle prévoit d’inscrire dans la loi le caractère « volontaire » de l’activité d’animation occasionnelle de centres de loisirs (comme c’est déjà le cas pour les sapeurs-pompiers), ainsi que la nécessité d’ « une présence permanente et continue auprès des mineurs » afin de contourner la directive européenne.

« Je ne suis pas pour l’esclavagisme, mais il faut sauver les centres de vacances », explique le député Baguet, lui-même ancien directeur de colo. « C’est en donnant de sa personne que l’animateur gagne la confiance des enfants. C’est ça, l’esprit des colonies de vacances ! L’encadrement, c’est d’abord de l’épanouissement, et c’est bien plus enrichissant que les stages photocopies-café », suggère le parlementaire.

Dans l’opposition, les personnalités interrogées ne masquent pas leur embarras : la polémique fait en effet apparaître un vrai dilemme entre le respect des droits des animateurs et la défense de tout un monde associatif historiquement proche de la gauche.

« Appliquer le code du travail en la matière serait un non-sens », estime Régis Juanico, député (PS) de la Loire et membre de la commission des affaires sociales de l’Assemblée. « Il faut évidemment donner des garanties en termes de droit du travail aux animateurs, mais aussi éviter un renchérissement des coûts qui conduirait à un écrémage social et à fragiliser tout un secteur. » A la rentrée, le PS pourrait lui aussi déposer une proposition de loi pour créer un vrai statut du « volontariat associatif ».

« Les conditions de travail et surtout les salaires doivent être améliorés, affirme la députée communiste Marie-George Buffet, ancienne ministre à la jeunesse et aux sports. Mais si on double le nombre de postes d’animateurs qualifiés nécessaires, alors il faut doubler les moyens des colonies de vacances et c’est à l’Etat de s’en mêler. »

Même s’ils se disent souvent conscients d’exercer une activité à part, riche et épanouissante sur le plan personnel, les animateurs qui ont accepté de nous raconter leurs conditions de travail (sans que leur nom soit cité) estiment également leur paie « ridicule » (dixit l’un d’entre eux) et leurs conditions de travail éprouvantes.

« C’est un système où on est exploité à fond et où on ferme notre gueule », résume crûment Martin, 36 ans. Animateur sportif salarié par une mairie francilienne dix mois de l’année, il encadre l’été des colos pour faire la jointure. « Récemment, un centre de voyages m’a proposé 220 euros net pour passer 10 jours au Canada ! Certes, on était logé dans un hôtel magnifique mais franchement c’est de l’exploitation. J’ai refusé. Le pire, c’est qu’à ce tarif ils trouvent quand même plein de jeunes disponibles. »

« Le niveau très bas des salaires démotive beaucoup de gens, du coup les centres ont bien des difficultés pour recruter. Résultat, ils prennent parfois n’importe qui », ajoute Lydia, animatrice professionnelle de 26 ans qui a encadré des colos pendant des années.

« J’adore les colonies de vacances mais le tarif auquel on est payé est juste scandaleux, dit Marion, 25 ans, qui a animé plusieurs séjours de vacances en Alsace et en Suisse. En deux mois, je n’ai jamais dépassé 1000 euros ! On se lève très tôt, on se couche très tard, il faut être vigilant tout le temps, nos responsabilités sont immenses. Je me demande parfois si les parents se rendent compte qu’ils confient leurs enfants à quelqu’un qui ne gagne que trois heures de Smic. »
Les animateurs low-cost, élément du « modèle économique »

Sur le site spécialisé Planet’anim, qui sert aussi de forum de recrutement dans la profession, on trouvait jeudi 4 août des offres d’embauche de dernière minute à 25 euros net par jour pour une colo autour du cirque organisée par la Ligue de l’enseignement du Val-de-Marne. Les Eclaireurs de France (scouts laïques) proposaient quant à eux d’encadrer des adultes ou des enfants handicapés contre une « indemnité journalière » de 25 à 37 euros.

Selon Jean-Paul Portello du syndicat Solidaires, qui avait saisi le Conseil d’Etat sur le repos compensateur mais aussi sur les salaires des animateurs (cette dernière demande a été rejetée, à la différence de l’autre), de telles conditions de travail ne sont plus acceptables car le marché des colos est désormais très concurrentiel. « En 2006, le gouvernement a fait le choix d’ouvrir le contrat d’engagement associatif aux structures privées, qu’elles s’occupent de colonies de vacances, des handicapés ou des personnes âgés. On risque donc demain de voir apparaître un nouveau salariat qui échappera complètement au droit du travail. »

De fait, l’image des colonies de vacances d’antan (feu de bois, guitare, balades en forêt) ne correspond plus vraiment à la réalité. La demande a évolué. Les ados veulent de l’aventure, de plus en plus à l’étranger. Et des groupes privés se sont engouffrés dans le marché, profitant eux aussi du coût très peu élevé des animateurs.

« Les associations de l’éducation populaire ou les sociétés à but lucratif sont dans le même bateau : elles vendent au même prix, ont les mêmes coûts, font les mêmes brochures attractives pour vendre leurs séjours et se doivent d’être rentables », estime Sylviane Halphen, déléguée générale de l’Union nationale des organisations de séjours éducatifs, linguistiques et des écoles de langues (Unosel), une structure qui regroupe 70 organisateurs de séjours linguistiques et de colonies de vacances, la plupart privés.

Selon elle, le renchérissement des coûts (salaires ou repos compensateurs) mettrait donc en péril un « modèle économique » commun à toutes les organisations, qu’elles aient ou non un but lucratif.

« On est en pleine hypocrisie, s’insurge Alexis Sellinger, animateur de SOS-Voyages, une association qui met en garde contre les abus des voyagistes. Derrière les bons sentiments comme “les vacances pour tous”, ce sont bel et bien des intérêts commerciaux qui se cachent, que les organismes soient associatifs ou privés ! Par exemple, toutes ces structures se pressent pour offrir des séjours ados car c’est la tranche qui rapporte le plus : le prix des séjours acquitté par les CE ou les municipalités est élevé, les animateurs sont peu payés et les prestations sont de moins bonne qualité, au nom de l’aventure et de la débrouille. Résultat : les marges sont très bonnes ! »

Maman de Lea, une adolescente de 17 ans décédée en 2009 lors d’un accident de bus aux Etats-Unis organisé par le voyagiste Cousins (filiale du groupe privé Telligo), Nathalie Baldaccini s’est insurgée dans un texte publié dans le Club de Mediapart contre la « dérive certaine » des colonies de vacances, système « initialement construit autour du bénévolat et du volontariat » avec une « vocation sociale et populaire ».

« C’est de la folie ! On nous dit qu’il est impossible d’améliorer les conditions de travail parce que les séjours risquent d’augmenter, mais il s’agit de la sécurité de nos enfants ! » estime Nathalie Baldaccini.

Selon elle, la mort de sa fille et d’Orane, une autre adolescente, est due à une série de négligences de la part de l’organisateur. Le parquet de Nanterre a ouvert fin mai une instruction judiciaire contre X pour « manquement à une obligation de sécurité » et « pratique commerciale trompeuse ». Cédric Javault, le patron de Telligo que nous avons contacté, n’avait pas répondu samedi à notre demande d’entretien.

Interrogée sur la sécurité dans les colonies de vacances, Sylviane Halphen, déléguée générale de l’Unosel se veut, elle, rassurante : « Il y a très peu d’accidents en colonies de vacances, en tout cas beaucoup moins qu’à l’école ou dans les familles. » Une proposition de loi du groupe UMP est néanmoins à l’étude pour renforcer les conditions de sécurité des mineurs lors de séjours de vacances à l’étranger.

Selon Marie-George Buffet, il convient tout simplement pour éviter les dérives d’« appliquer le code du travail » aux organismes privés, tout en maintenant un statut dérogatoire pour les associations à but non lucratif.

Mais pour Pierre-Christophe Baguet, le député UMP à l’origine de la proposition de loi qui permettrait aux colonies de vacances d’échapper à la législation européenne, l’urgence n’est pas aux débats de fond. Il faut d’abord « sauver les meubles », dit-il. « Ensuite, on pourra engager une réflexion globale. » Il n’est pourtant pas sûr que les animateurs de colonies de vacances, qui sont peu organisés et n’ont pas de porte-parole, aient rapidement une autre occasion de voir leur sort amélioré.

Mathieu Magnaudeix - Mediapart - Publié le 7 août 2011


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