West Carribean : après six ans, l’enquête continue

« L’avion de la compagnie colombienne West Caribbean Airways en provenance du Panama et à destination de Fort-de-France s’est crashé à 3h15... » Hier, cela faisait six ans jour pour jour. Une date symbolique pour l’Association des victimes de la catastrophe aérienne du 16 août 2005 (AVCA).

La journée a donc débuté au Lamentin, commune où les familles des 152 disparus s’étaient retrouvées.

MARDI 16 AOUT 2005 - MARDI 16 AOUT 2011 : POURQUOI CE CRASH ?. « Notre colère n’est pas retombée, mais cette année, c’est assez particulier. Nous sommes jour pour jour, heure par heure, comme il y a six ans. Nous avons voulu être plus dans le recueillement et la commémoration » a présenté Olivier Bérisson, le président de l’AV-CA.

Après l’inauguration d’une plaque, près des 17 palmiers plantés par la municipalité à la mémoire de ses disparus, les membres de l’AVCA et leurs avocats se sont réunis en mairie pour faire la rétrospective de leur combat. Six ans après, leur volonté ne semble pas plier devant la longueur de l’instruction et la complexité des dossiers.

Me Constant, l’un des avocats, a fait un bref point sur l’enquête : « Je n’ai pas aujourd’hui, comme l’an dernier, la capacité de vous dire pourquoi des êtres qui vous étaient chers ont disparu » . Si le juge d’instruction en charge du dossier avait conclu à des erreurs humaines, en appel, devant la chambre d’instruction, l’AVCA avait obtenu que des compléments d’expertise soient réalisés. Mais depuis cette décision, le 18 janvier dernier, rien ne semble avoir été entrepris : « Nous sommes en attente des compléments d’expertise portant sur l’analyse des boîtes noires durant les dernières 24 heures de vol, et sur la traduction en français de tous les documents de maintenance de l’avion. Car aujourd’hui, c’est le juge qui avait refusé ces actes qui se voit contraint de les ordonner. La thèse qui domine dans les expertises rendues c’est une défaillance humaine, et la surcharge de l’avion. C’est un réflexe en cas de crash d’avancer la responsabilité du pilote. Car si ce n’est pas lui, c’est la machine, et on touche alors à des enjeux financiers de multinationales. Nous allons relancer le juge d’instruction pour qu’il réalise ce qu’il lui a été demandé.

Quand nous aurons ces actes, ce ne sera pas terminé. Il faudra les analyser. Nous sommes toujours à la recherche de la vérité » , a expliqué Me Constant.

« Nous avons compris la force du mensonge d’Etat »

Les membres de l’AVCA sont complètement désabusés dans leur relation avec la justice : « Au lendemain du crash, naïfs que nous étions, parce que nous n’avions pas l’habitude des enquêtes aériennes, nous pensions que, comme nous l’avait dit le ministre de la Justice, tout serait fait pour que la vérité soit communiquée aux Martiniquais. Il a dit à l’époque qu’aucune porte ne serait fermée, mais que toutes les pistes seraient analysées » .
« Mais non, depuis le début on se focalise sur les pilotes, parce que c’est plus facile, ça exonère les autres responsables. Mais nous, dans la mesure où nous avons eu accès au dossier, nous avons vu que beaucoup de choses n’allaient pas. En particulier la maintenance, les responsabilités de la Direction générale de l’aviation civile française et colombienne, la compagnie West Caribbean, le broker de Miami... On n’a pas cherché à voir dans quelle mesure ils étaient intervenus dans la chaîne de responsabilité.

Nous avons compris la force du mensonge d’Etat. Regardez ce qui se passe dans le Rio-Paris ! » se révolte Rose-Marie Taupin-Pélican, vice-présidente de l’AVCA. Comme elle, beaucoup de familles confrontées à la machine judiciaire dans ce dossier, ont mêlé la colère à la tristesse. De découragement, par contre, il n’en est pas question.

Les experts, mandatés par l’AVCA, travaillent à la rédaction d’un rapport sur les alarmes de décrochage. Selon les recommandations au constructeur de la commission d’enquête vénézuélienne, le système actuel doit être révisé, afin que les avertisseurs de décrochage se déclenchent suffisamment tôt, pour que les pilotes aient le temps d’exécuter les manoeuvres correctives. « Cet aspect du dossier a été occulté par l’enquête pénale, et nous entendons bien le faire prendre en compte par le biais de nos experts » affirme encore Rose-Marie Taupin-Pélican.

L’AVCA a également entrepris une action contre la direction générale de l’aviation civile. Elle reproche à cette dernière de n’avoir pas contacté la West Caribbean, comme l’y autorise la législation, et ainsi qu’elle le faisait pour les compagnies ayant connu des accidents impliquant des ressortissants français.


- « Nous avons besoin de la vérité, elle va apporter l’apaisement »

Depuis le drame du 16 août 2005, elle a « la rage » comme elle dit. Toute l’énergie de Rose-Marie Taupin-Pélican, vice-présidente de l’AVCA, et responsable de la commission technique, va dans ce combat pour découvrir les causes du crash. Elle y a perdu une de ses soeurs et sa nièce.
« Ma soeur et moi, nous étions très proches. Ce drame, c’est le ciel qui m’est tombé sur la tête. J’étais supposée les accueillir à l’aéroport ce matin-là... C’était une femme battante, dès le début je me suis dit qu’elle avait le droit à la vérité. Il fallait que je sache pourquoi elle n’était pas revenue » . Dès la création de l’AVCA, Rose-Marie Taupin-Pélican s’engage.

Aujourd’hui vice-présidente, elle travaille également à la commission technique. Ce qui veut dire qu’elle épluche minutieusement des rapports, des expertises... « Dans le dossier il y a 9111 pages. J’ai lu chacune de ces 9111 pages »

Rose-Marie avoue qu’au fil des six années d’enquête, elle a fini par ne plus faire confiance à la justice : « Nous suivons la progression de l’enquête, de manière à ce que rien ne soit laissé au hasard. Heureusement qu’on est là, parce que Dieu sait que le juge d’instruction s’est appliqué depuis le début à faire une enquête à charge contre les pilotes, en occultant tous les autres aspects du dossier. Nous sommes là pour lui rappeler les aspects qu’il n’a pas étudiés, pour que la vérité soit révélée » .

Des familles n’ont pas refait surface

Elle parle avec une détermination étonnante. Peut-être aussi parce qu’elle porte les autres, ceux qui ont abandonné ce champ de bataille judiciaire. Lassés, écrasés par la douleur : « Je connais une dame qui a perdu sa fille.

Jusqu’à aujourd’hui elle est suivie par un psychologue, elle n’a pas pu reprendre le travail. Quand on se voit, elle me dit qu’elle est contente du travail de l’AVCA, car elle, elle, n’a pas le courage. Contrairement à ce qu’on pense il y a beaucoup de familles qui n’ont pas refait surface depuis le crash, le quotidien est difficile pour eux. Des orphelins ont fait des tentatives de suicide, ils ont du mal à continuer leurs études, à vivre tout simplement, sans leurs parents. Non seulement j’ai besoin, moi, de la vérité, ma famille aussi, mais il y a tout ces gens qui n’ont pas cette force »

Sa vie entière tourne autour de cette recherche, comme le lui reprochent gentiment ses autres soeurs qui aimeraient la voir s’occuper un peu d’elle-même aussi. « Mais ce n’est pas ça qui est important » , répond Rose-Marie, « ce combat je ne le lâcherais pas. Nous avons besoin de la vérité, elle va apporter de l’apaisement » .

Publié le 17 août 2011 - http://www.martinique.franceantilles.fr


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