Les victimes de l’attentat au Caire réclament la vérité

Certaines familles des victimes françaises de l’attentat du 22 février 2009 au Caire (un mort, 24 blessés), ont demandé à être reçues, ce jeudi, à Paris, par le juge antiterroriste Yves Jannier.

Dans son appartement de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Chantal Anglade a accroché la dernière photo de groupe prise lors du voyage en Egypte. Sa fille Malou, entourée de ses camarades, prend la pose sur fond de sable ocre. Le cliché fige des visages souriants, le 22 février 2009, quelques heures avant l’explosion d’une bombe, à l’orée du bazar cairote de Khan-el-Khalili, où les adolescents faisaient des emplettes avant le retour en France. Cécile Vannier, 17 ans, sera tuée sur le coup et vingt-quatre autres personnes, dont 17 Français, blessées.

Malou, 14 ans à l’époque, s’en sort avec deux fractures, les tympans éclatés et de graves brûlures sur le ventre et au crâne. "J’ai reçu des éclats métalliques de la tête aux pieds", raconte-elle en montrant les cicatrices sur son bras. Son amie Camille, aujourd’hui âgée de 17 ans, a été touchée par des projections de ferraille et a souffert d’une perte partielle de l’audition. "Elle sursaute encore au moindre bruit et est incapable de marcher sur une grille de métro", raconte son père, Philippe Cocher. "J’ai envoyé une adolescente en vacances, j’ai récupéré une femme", ajoute-t-il, très ému.

Le dossier est plein de contradictions

Cette épreuve a soudé les parents de ces enfants qui, selon Chantal Anglade, "ont vu ce qu’ils n’auraient jamais dû voir". Ce professeur de français s’exprime d’une voix posée, à la fois empreinte de sensibilité et soucieuse de précision : "un lien familial s’est tissé entre nous. C’est un grand bonheur, malgré cette tristesse, j’ai l’impression d’avoir de très nombreux enfants".

Au-delà de l’émotion, une même détermination les anime. Un petit groupe, dont Catherine Vannier, la maman de Cécile, s’est mis en tête de faire la lumière sur cet attentat jamais revendiqué. Pendant deux ans, plusieurs mamans ont plongé dans ce dossier de quatre tomes. Avec une précision de fourmi, elles ont disséqué plus de 1200 pages de procès verbaux pour tenter de comprendre comment la vie de leurs enfants avait pu basculer ainsi. Elles ont lu, relu, épluché, synthétisé l’ensemble des pièces. Avec, au final, un sentiment d’insatisfaction.

"Le dossier est plein de contradictions, assure Chantal Anglade. Dans une analyse, on peut lire qu’il y avait 1,5 kg de TNT dans la bombe. Un autre rapport indique que seules des traces étaient présentes, provenant sans doute du travail des démineurs". D’après elle, les analyses des vêtements des enfants, mis sous scellés après l’attentat, laissent à désirer : "un pantalon a disparu sans être examiné. Une chaussette de Malou n’a pas été analysée parce que les enquêteurs ont jugé qu’elle n’avait pas été en contact avec la bombe". "C’est faux !, insiste l’adolescente. Les éclats sont rentrés dans mon pieds !".

A la lecture du dossier, plusieurs versions finissent par s’opposer. D’un côté, Chantal Anglade lit que la bombe était composée de métal, de clous et de billes et de l’autre qu’elle ne comprenait qu’un minuteur, de la poudre noire et des morceaux de métal. "On ne fait plus mention des billes, alors qu’elles ont été retirées du corps de plusieurs enfants !". Quant à la matière gluante relevée sur les vêtements, les expertises auraient conclu à du sucre provenant de la "consommation de friandises" et "non d’un composant de la bombe" !

Un "attentat aveugle"

Pour évoquer ces divers points, certaines des parties civiles ont donc sollicité une audience, ce jeudi, en petit comité, avec le juge Yves Jannier, en charge de l’instruction à Paris. "Nous ne sommes pas satisfaits de la vitesse à laquelle avance l’enquête", prévient Philippe Cocher.

Leur dernière entrevue avec le magistrat, le 25 janvier 2010, leur a laissé un goût amer. "Nous étions dans la Salle des criées du Palais de justice de Paris, se souvient Philippe Cocher, les juges d’un côté, les familles de l’autre. Cela resssemblait à une mise en scène, surtout pour des gens peu habitués à ce contexte. Nous n’avons pas eu la parole, il y a avait une claire volonté de monologue".

Pour ne rien oublier de la scène, Chantal Anglade avait réalisé, ce jour-là, un croquis à l’encre violette sur son cahier à carreaux. Elle avait aussi noté les mots du juge : "Il s’agit d’un attentat aveugle, rien ne permet d’affirmer que la France ou ses intérêts étaient visés", relit-elle, comme agacée par tant de certitude.

Depuis le début de l’enquête, les parties civiles sont convaincues qu’il ne s’agit pas d’un acte isolé mais d’un attentat ciblé contre des Français. Le premier élément accréditant cette thèse est un article du Canard Enchaîné, paru le 25 février 2009 et rendant compte d’une note de la DGSE (services secrets). "Les jeunes tourristes français auraient été pistés pendant plusieurs jours par un groupe terroriste, est-il précisé dans cet article. Ces poseurs de bombes auraient ainsi voulu faire payer à la France la participation de la frégate "Germinal" au blocus des côtes de Gaza en compagnie des navires israëliens".

A l’époque, ces révélations du Canard avaient été démenties par le porte parole du gouvernement, Luc Chatel : "ce n’était pas a priori directement la France qui était visée". Mais pour les familles, cette piste des représailles doit être examinée. "Ce n’est pas un hasard si une Française est morte assure Chantal Anglade, le groupe était visé ce soir-là, sur cette place déserte et sombre".

Par l’intermédiaire de leur avocat, Me Georges Holleaux, les familles rédigent donc plusieurs demandes de levée du secret défense afin que soit versée au dossier la note de la DGSE évoquée par l’hebdomadaire. En vain. Le juge Jannier leur répond que ce document "n’existe pas". Pendant plusieurs mois les investigations pitéinent, aucun élément ne permet d’identifier les auteurs de l’attentat, ni leur motivation.

Nous espérons qu’il y a suffisamment d’éléments pour qu’un procès ait lieu ici

En mai 2009, nouveau rebondissement, la Sécurité d’Etat égyptienne, qui pour la première fois a accepté de coopérer judiciairement avec la France, arrête sept suspects : une Française d’origine albanaise, un Britannique d’origine égyptienne, deux Palestiniens, un Belge d’origine tunisienne et de deux Egyptiens. Tous sont affiliés à la branche d’Al-Qaida à Gaza, une cellule baptisée "Armée de l’Islam".

En décembre 2009, le juge Jannier se rend lui-même en Egypte. Une fois sur place, il apprend, à sa grande surprise, que le suspects "n’auraient pas perpétré l’attentat du Caire", selon les autorités locales. Les sept personnes en question seront par la suite libérées.

Deux procédures sont désormais ouvertes en Egypte : l’une concerne les agissements de ce groupe, l’autre l’attentat. Mais la vérité, elle, tarde à venir... Au total, les autorités egyptiennes ont changé de thèse à quatre reprises . Cette explosion a d’abord été présentée comme un "acte isolé", puis comme un attentat du Hezbollah, ensuite comme une opération commanditée par Al-Qaida, et enfin comme un drame sans responsable identifié. Chez les familles, la consternation l’emporte. "Tout ce qu’on nous a dit depuis le début ne sert qu’à éviter que l’on se pose des questions", remarque Philippe Cocher.

Parmi les sept suspects arrêtés en 2009, la Française d’origine albanaise, Doxi Hoxha, 32 ans, a été expulsée du Caire, en mars 2010. Dès son arrivée en France, elle est soupçonnée d’association à une entreprise terroriste et placée sous surveillance par les agents de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). En novembre 2010, elle est interpelée, puis incarcérée. Son parcours retient l’attention des enquêteurs. Après avoir vécu à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne), elle a rejoint le Caire en 2007 afin, dit-elle, d’étudier l’arabe. Tout en niant toute participation à l’attentat, elle reconnaît avoir été en contact avec deux Egyptiens, membres de l’organisation "Jaish al-Islam", la branche d’Al-Qaida à Gaza.

Le Figaro révélait, le 21 février, des éléments des auditions de la jeune femme devant la DCRI dans lesquelles elle avoue avoir reçu de l’argent de la part de l’un de ces hommes. Doxi Hoxha aurait également expliqué que "Jaish-al Islam" avait des projets d’attaques ciblées en France.

"Nous espérons maintenant qu’il y a suffisamment d’éléments pour qu’un procès ait lieu ici, estime Chantal Anglade. Il déterminera si Dodi Hoxha est coupable ou non. Nos enfants ont l’avenir devant eux, il faut qu’ils voient que la justice française fonctionne". Et sa fille Malou de conclure : "Il est plus important de comprendre pourquoi et comment des gens ont pu faire ça, que de savoir qui est l’auteur".

Julie Brafman - L’express - Publié le 24 février 2011


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