Attentat de Marrakech : les pièges d’une enquête internationale

« On semble avoir identifié deux suspects possibles », a déclaré hier Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères. De quoi faire bondir les enquêteurs marocains, alors qu’ils sont tenus de faire équipe avec les experts de plusieurs pays, dont une dizaine de policiers français - que l’on imagine d’ailleurs plutôt mal à l’aise après cette annonce prématurée. Pas le genre de truc à faciliter les contacts. D’autant qu’ils sont là, officiellement, pour aider à l’identification des corps. En fait pour effectuer une argana_marrakeche.1304583367.JPGenquête préliminaire ouverte à Paris. Une enquête en finesse, puisqu’ils ne disposent d’aucun pouvoir d’investigation. Et qu’au moment de cette déclaration pas très... diplomatique, les autorités marocaines s’interrogeaient encore sur l’opportunité de publier ou non les portraits-robots desdits suspects.

On pourrait appeler ça une fuite.

La veille déjà, la posture va-t’en-guerre de Nicolas Sarkozy, « La France ne laissera pas ce crime impuni » avait sérieusement agacé les Marocains. « Le Président français s’érige-t-il en justicier à la manière de George W. Bush après les attentats du 11-Septembre ? La France va-t-elle s’ingérer dans les affaires intérieures du Maroc ? Va-t-elle mener l’enquête à la place des autorités marocaines, pour rendre justice, punir les responsables ? » s’interrogeait le magazine Yabiladi.

D’autant que personne ne peut aujourd’hui se prononcer sur l’origine de cet attentat. Même si la presse (française) a annoncé l’arrestation d’un homme qui serait lié à Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Ainsi, une vidéo, postée sur le Net trois jours avant le drame, ressemblait fort à un avertissement préalable. On y voit des hommes armés dénoncer les conditions de détention des prisonniers « religieux ». Il s’agissait donc de menaces claires contre le Maroc. Une manière de prévenir qui n’est pourtant pas dans les habitudes d’Aqmi. Et qui arrive comme un cheveu sur la soupe, puisque de nombreux prisonniers politiques et religieux ont été libérés il y a moins de trois semaines.

On sait aujourd’hui que cette vidéo est un extrait d’un film de propagande qui date de 2007. Quel intérêt de ressortir cette vidéo trois jours avant de commettre l’attentat ? Pour Anne Giudicelli, consultante sur le terrorisme en Afrique et au Moyen-Orient, qui a détecté la supercherie, ce ne serait pas un hasard. « Il y a volonté de prendre un extrait pour probablement peser sur les investigations et essayer de valider l’hypothèse que ce serait Aqmi qui est derrière », a-t-elle déclaré (source AFP).

Selon la même dépêche de l’agence de presse, une autre vidéo, qui promet « une frappe douloureuse contre le royaume impie du Maroc » a également été diffusée avant l’attentat. Or, il s’agit de l’extrait d’un film de janvier 2010. Pour Jean-Charles Brisard, un autre expert français, ces deux faits ne sont pas des coïncidences.

Et du coup, la théorie du complot intérieur prend de l’ampleur. Un moyen de mettre un holà aux réformes promises par le roi Mohamed VI pour éviter la contagion du « Printemps arabe ». Et notamment celle d’inscrire la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice dans la Constitution.

Dans Le Monde des religions, Mohamed Fadil Redouane, spécialiste de l’islamisme au Maroc et doctorant à Paris-Sorbonne, émet de « sérieuses réserves » quant à la piste d’Al-Qaïda, même s’il est trop tôt pour tirer des conclusions. « La théorie du "complot", comme on l’appelle, a très rapidement émergé dans certains médias marocains, dit-il. Et des centres de pouvoir internes ont clairement été accusés d’être derrière ces attentats de Marrakech. Cette hypothèse, si elle est pour l’instant invérifiable, est plausible, parce qu’elle permettrait à une partie du pouvoir de reprendre la main, de décrédibiliser les islamistes et de maintenir une certaine pression sécuritaire sur le peuple marocain tout en le détournant de ses velléités démocratiques auxquelles il semblait jusqu’à présent farouchement accroché. »

Lorsqu’on voit le bond fait dans les sondages par Barack Obama, après la fin brutale de Ben Laden, on peut craindre que cela ne donne des idées à d’autres. Dans l’enquête sur l’attentat de Marrakech, il faut espérer que les experts se trompent et qu’aucun gouvernant, que ce soit au Maroc ou ailleurs, ne s’abaisserait à utiliser la menace terroriste à des fins de politique intérieure...

LeMonde.fr publié le 05 mai 2011


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