Nucléaire : où en est l’Europe ?

La catastrophe de Fukushima a ébranlé les certitudes sur le nucléaire civil dans de nombreux pays européens. Comme après les précédents accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl, le débat sur le bien-fondé de l’énergie nucléaire traverse à nouveau le continent. Si nombre de pays de l’Union se trouvent amenés à reconsidérer l’existence du nucléaire dans leur production énergétique, une réponse européenne, commune, est-elle aujourd’hui envisageable ?

La renaissance du nucléaire

Les craintes qu’inspirait le nucléaire depuis des décennies semblaient atténuées ces dernières années, les urgences climatiques ou les nouvelles difficultés d’approvisionnement énergétiques important d’avantage. La Commission européenne se montrait elle-même favorable à l’atome, n’hésitant pas à souligner cette source énergétique comme la plus économique, et offrant une contribution significative aux impératifs de lutte contre le changement climatique, puisqu’elle produit un faible niveau d’émission de CO2. Aussi, les ressources en uranium restent importantes sur le continent européen, en comparaison avec les hydrocarbures dont les réserves font l’objet de tensions importantes sur les marchés internationaux, et pour lesquels les pays de l’UE sont extrêmement dépendants de seulement quelques fournisseurs étrangers. Ceci constitue inévitablement un avantage pour l’indépendance énergétique de l’Europe, et surtout pour sa sécurité d’approvisionnement. Le nucléaire apparaissait donc comme une option stratégique justifiée, et une énergie « propre » même si la question de la gestion des déchets nucléaires restait non résolue.

L’hétérogénéité des stratégies nucléaires nationales au sein de l’UE

La place du nucléaire dans le mix énergétique européen est aujourd’hui loin d’être négligeable. L’Europe est actuellement le continent le plus nucléarisé du monde, disposant de 143 réacteurs exploités dans 15 des 27 pays de l’UE. Selon la Commission européenne, l’énergie nucléaire représente près de 30% de la production d’électricité de l’ensemble du continent. C’est un niveau similaire de celui du charbon et supérieur au gaz (23%) ou aux énergies renouvelables (16 %).

Chaque Etat membre est responsable de son mix énergétique, et décide alors de manière indépendante de sa politique vis-à-vis du nucléaire. Le choix d’intégrer ou non l’énergie nucléaire à la production nationale d’électricité reste donc une prérogative exclusive de souveraineté nationale. Le paysage nucléaire au sein de l’Union européenne reflète alors des disparités nationales extrêmes. D’un côté se trouvent les pays pros nucléaires, avec en tête la France, qui produit plus des trois quarts de son électricité à partir de l’atome. A l’opposé, plusieurs Etats n’utilisent absolument pas cette source d’énergie, c’est le cas de Chypre, du Danemark, de la Grèce, de l’Irlande, de la Lettonie, du Luxembourg, de Malte, du Portugal et de l’Autriche.

Entre les deux se trouvent des pays pour lesquels le débat autour du nucléaire avait été relancé, comme la Suède, la Slovaquie, la Bulgarie, la Finlande ou le Royaume-Uni. Ce fut également le cas de l’Allemagne à la fin de l’année 2009, lorsque Berlin voulu prolonger la durée de vie de plusieurs centrales. L’Italie avait pareillement décidé de relancer l’énergie nucléaire après avoir décidé d’en sortir en 1987, suite à un non massif reçu à un référendum sur cette question un an après la catastrophe de Tchernobyl. On trouve aussi dans ce groupe la Pologne, Etat non-nucléarisé qui souhaitait vivement s’engager dans un tel programme.

On assistait donc à une renaissance remarquable du nucléaire ces dernières années. Une catastrophe telle que celle de Fukushima fut alors la meilleure occasion afin de relancer le débat sur la sortie du nucléaire.

Fukushima : la reconsidération du bien-fondé du nucléaire

C’est grâce à la catastrophe nucléaire nippone du 11 mars 2011 que les pays européens ont ainsi pu remettre à l’ordre du jour les dangers du nucléaire. Mais surtout, cet évènement a forcé plusieurs pays à franchir le pas de l’abandon.

Sous la pression d’une opinion publique choquée par le drame de Fukushima, l’Allemagne a renoncé au nucléaire d’ici à fin 2022. Le pays abandonne cette source d’énergie pour mieux se concentrer sur son avantage dans les technologies vertes et les énergies renouvelables, notamment dans le solaire et l’éolien. Cette décision inattendue fut largement critiquée par de nombreux gouvernements, Paul Magnette, ministre belge de l’énergie, allant jusqu’à dénoncer « une décision complètement unilatérale, sans aucun débat européen ni information des partenaires ». Mais cette surprenant sortie-éclaire de l’atome engendra le pas à de nouveaux développements.

En effet, en Italie par un référendum organisé le 13 juin dernier, près de 95% des votants ont marqué leur opposition à l’atome. Un revers pour Silvio Berlusconi, qui voulait relancer le programme nucléaire italien, suspendu par le précédent référendum en 1987. Le retrait allemand, suivi par le choix italien, furent un signal fort et laissaient croire à une nouvelle donne nucléaire en Europe. Mais le Royaume-Uni montra que les grands pays nucléarisés ne suivront pas l’évolution politique d’outre-rhin. En effet, mi-juillet, le Parlement britannique approuva à une majorité écrasante une déclaration de politique énergétique dans laquelle le gouvernement, réaffirmant sa confiance envers le nucléaire, confirma l’accueil de nouvelles centrales. D’autres Etats européens ont annoncé le maintien de leurs programmes nucléaires tout en invoquant la nécessité de tirer les leçons de cet accident pour la sécurité des centrales. La Pologne a confirmé son ambition de construire un réacteur. La France a également réaffirmé la pertinence de son choix nucléaire. Eric Besson, ministre de l’énergie, alla même jusqu’à affirmer que « Notre monde ne pourra pas se passer du nucléaire au XXIe siècle. »

Et la politique énergétique européenne ?

Même si ce débat affecte différemment les pays selon l’importance du nucléaire dans leur bouquet énergétique, ce sont tous les Etats de l’Union européenne qui sont concernés. Un accident nucléaire ne connait effectivement pas de frontière. Aussi, le nucléaire civil structure le marché intérieur de l’énergie, toujours en voie d’achèvement. Pourtant, l’Union européenne reste incapable d’adopter une politique commune pour le nucléaire. C’est tout le paradoxe de la thématique au sein de l’Europe : si l’énergie nucléaire était à la base de la construction européenne, avec le traité Euratom, l’Union ne dispose toujours pas d’une véritable politique commune en la matière.

La reconsidération du nucléaire en Europe apparaissait donc la meilleure opportunité pour relancer le débat sur la scène européenne. Une amorce de politique commune a vu le jour, avec tout d’abord un accord pour des tests de stress portant sur les 143 centrales nucléaires européennes. Puis le Conseil adopta le 19 juillet dernier la directive relative à la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs. Ce texte, qui vise un renforcement des normes de gestion de déchets nucléaires, impose notamment aux États membres de présenter un programme fixant le calendrier et les modalités de construction de centres de stockage. ’’Il s’agit d’une avancée majeure pour la sûreté nucléaire dans l’Union européenne. Après des années d’inaction, l’Union européenne prend pour la toute première fois des engagements concernant le stockage définitif des déchets nucléaires. Cette directive fait d’elle la région du monde la plus en pointe pour ce qui est de la gestion sûre des déchets radioactifs et du combustible usé’’, a déclaré Günther Oettinger, commissaire européen à l’énergie. Un point de vue que ne partagent pas les eurodéputés Verts, et différents associations de protection de l’environnement, à l’image de Greenpeace, puisque les nouvelles règles européennes ouvrent la voie au déversement des déchets nucléaires en dehors de l’Union, comme le font déjà la Bulgarie et la Hongrie en Russie.

Une véritable politique énergétique commune responsable se fait donc plus que jamais ressentir, mais l’Union européenne n’a malheureusement pu s’accorder pour adopter une position sur le nucléaire, malgré plusieurs tentatives. « Le Parlement européen n’a pas de position sur le nucléaire. C’est bien regrettable, a déploré l’eurodéputé Jean-Luc Bennahmias, les belles intentions initiales d’une résolution commune ont vite volé en éclats » Mais face à la diversité des stratégies énergétiques des Etats membres, une véritable position commune en la matière est-elle seulement possible ? Pour l’instant, l’existence de préférences nationales bien distinctes, touchant à des questions de souveraineté nationale, rend l’Union européenne inerte. Pourtant, à l’heure où le grand public s’interroge sur l’utilité de l’Europe, le moment est propice pour s’imposer et tenter d’assurer un avenir énergétique pour l’ensemble des Européens.

Eurosduvillage.eu, Natacha Bonnal, le 4 septembre 2011


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