Rudetzski : "Je suis révoltée !"

Fondatrice de SOS Attentats, Françoise Rudetzki s’indigne des conditions dans lesquelles les Français expatriés doivent affronter les dangers du terrorisme.

Il n’y a rarement eu autant de Français détenus en otages à l’étranger. Quel regard portez-vous sur cette situation dramatique ?
Je suis révoltée. Les bombes n’ont plus frappé le sol français depuis 1996 mais les attaques terroristes contre des Français n’ont jamais cessé. Le terrorisme, ce n’est pas seulement faire exploser une bombe, c’est aussi enlever des hommes et des femmes. Près de 1,5 million de nos compatriotes vivent à l’étranger, où leur sécurité n’est pas assurée. Ces gens assurent pourtant le rayonnement culturel, économique, médical, humanitaire de la France. Ils permettent à la France de décrocher de juteux contrats, ils font tourner des entreprises énormes, et que fait-on pour les protéger des attaques et des enlèvements ? Rien ! Déjà en 2002, à Karachi, onze Français avaient été tués alors que la Direction des chantiers navals n’avait rien prévu pour assurer leur sécurité. La DCN a d’ailleurs été condamnée par le tribunal de la Sécurité sociale pour faute inexcusable.

Que peuvent faire les entreprises françaises ?
Les sociétés françaises implantées à l’étranger bricolent des solutions dans leur coin, sans la moindre préparation, sans se concerter, sans consulter les pouvoirs publics. On parle pourtant de très grosses entreprises. Voyez Areva au Niger ou les compagnies maritimes au Nigeria ! Est-ce pour des considérations financières ? Si c’est le cas, c’est scandaleux ! Il faudrait rapidement qu’elles réalisent qu’assurer la sécurité des gens coûte moins cher que le paiement d’une rançon. Parce que, que je sache, depuis vingt-cinq ans, aucune libération d’otages ne s’est réalisée sans le paiement d’une rançon. Mais les pouvoirs publics sont eux aussi en cause. Quand j’entends nos dirigeants dire : "La France va tout mettre en œuvre pour libérer les otages", j’ai envie de leur dire "Mettez plutôt tout en œuvre pour qu’il n’y ait pas de prise d’otages !"

Mais alors, que devraient faire les autorités françaises ?
Je sais ce que c’est d’avoir été victime du terrorisme. Je sais que seule la voix des victimes peut faire évoluer les choses et mettre fin à cette impréparation dans laquelle agit toujours la classe politique. Pense-t-on aux victimes d’enlèvement ? A leurs souffrances, à celles de leurs proches ? Certains otages ne reviennent jamais. Michel Seurat n’est pas revenu vivant du Liban, Michel Germaneau ne rentrera jamais du Niger. Quant aux autres, ceux qui ont été libérés ou le seront un jour, qui se soucie des traces incommensurables que laissera en eux leur détention ? Il faut cesser d’envoyer des Français dans des zones dangereuses dans ces conditions. L’Etat doit imposer aux entreprises de former leurs expatriés à la gestion des risques et surtout leur assurer, une fois sur place, une sécurité maximale. Les sociétés anglaises, américaines, italiennes, allemandes y parviennent, pourquoi pas les nôtres ?


Jean-Christophe Rufin, ambassadeur de France au Sénégal jusqu’en juin dernier, évoque dans son dernier livre, Katiba (*), quatre touristes occidentaux assassinés par Aqmi.

A quoi ressemble Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ?
Il s’agit de combattants islamistes recrutés dans tout l’ouest de l’Afrique. Ils sont formés aux actes terroristes, surtout aux prises d’otages, qui, au départ, servaient surtout à rapporter de l’argent. Depuis un certain temps, les enlèvements ont pris une dimension idéologique, notamment avec Abou Zeid.

Vous comparez Abou Zeid, qui revendique l’enlèvement des Français, à Al-Zarqaoui, ex-chef d’Al-Qaida en Irak…
Il existe entre les deux hommes une similitude dans la violence et le jusqu’au-boutisme. Abou Zeid se distingue aussi des autres chefs d’Aqmi par son ambition djihadiste et non pas locale. Il a une vision plus globale que les autres chefs de katiba [camps mobiles de combattants islamistes, Ndlr]. Certains ont failli disparaître vers la fin des années 1990 après les coups très durs portés contre eux par la répression algérienne. Leur ambition est uniquement de survivre et leur cadre d’action se limite à l’Algérie. Abou Zeid, djihadiste global, se situe au-delà.

Quel sens cela a-t-il d’envoyer 80 militaires au Burkina, comme l’a fait la France ?
En plus de ces soldats, il existe un dispositif bien plus secret. L’intérêt porté par les autorités françaises à ces katibas ne date pas d’hier. Si j’ai écrit ce livre, c’est qu’en tant qu’ambassadeur je baignais là-dedans. La collecte de renseignements sont anciennes. Ce qui a changé, c’est l’attitude vis-à-vis des preneurs d’otages. A la suite de l’enlèvement de Pierre Camatte, l’hiver dernier, Paris a payé la rançon. Dans le cas de Michel Germaneau, une autre logique a prévalu : la prise de conscience que ces paiements sont préjudiciables, qu’ils ne font que renforcer ces groupes très radicaux.

Pensez-vous, comme Françoise Rudetzki, que la France ne protège pas bien ses expatriés ?
Je ne dirais pas ça comme cela. Disons qu’il y a parfois des erreurs d’analyse de la part des services de sécurité qui vous disaient "je connais très bien la région" alors que le risque peut désormais venir de très loin. Aqmi interdit de se sentir en sécurité, même dans des zones que l’on connaît bien.

Sur quels pays Paris peut-il s’appuyer au Sahel ?
L’Algérie a beaucoup combattu et infiltré ces groupes islamistes mais se méfie beaucoup de la France. Comme nous avons un bon contact opérationnel avec les Américains, qui eux s’entendent bien avec les Algériens, il y a une carte à jouer. La Mauritanie agit aussi, le Mali et le Niger dans la mesure de leurs moyens. Quant aux risques de contagion, ils existent. La zone des trois frontières, entre Mauritanie, Mali et Sénégal, est très sensible. Le président Wade a d’ailleurs proposé d’y installer une base militaire avec des forces communes.

Aqmi a-t-il aujourd’hui les moyens de frapper le sol français ?
Ces groupes sont bien adaptés à leur environnement mais n’ont pas les moyens de frapper au-delà. La question est de savoir s’ils peuvent disposer de relais via d’autres groupes qui pourraient frapper. Cela reste leur but ultime. D’où le risque que nous prenons en les renforçant dès que nous payons des rançons.

Alexandre Duyck - Le Journal du Dimanche - Publié le 26 septembre 2010


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