Le Pakistan, maillon faible de la lutte antiterroriste

11 SEPTEMBRE, 10 ANS APRÈS - L’élimination d’Oussama Ben Laden à Abbottabad, début mai, illustre les ambiguïtés de l’alliance scellée entre Islamabad et Washington.

De mésalliances en liaisons dangereuses, le Pakistan est devenu, en dix ans, le casse-tête de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme. Les commotions politico-militaires qui l’agitent depuis toujours ont fini par plonger la nation tout entière dans un état de quasi-catatonie. Professeur à l’université en sciences du management de Lahore (LUMS), Mohammad Waseem s’en alarme. « Le Pakistan est-il devenu ingérable ? , s’interroge-t-il. Seul un gouvernement fort, légitime et responsable, capable d’asseoir son autorité, serait en mesure de faire face au chaos ambiant. »

On en est loin. À Islamabad, le pouvoir civil courbe l’échine devant l’establishment militaire. Or, depuis le raid des Navy Seals américains, le 2 mai dernier, contre la résidence où se terrait Oussama Ben Laden à Abbottabad, petite ville-garnison située à une soixantaine de kilomètres de la capitale, l’armée a perdu de son prestige aux yeux des Pakistanais. Quant à la collaboration entre services secrets pakistanais et américains, pourtant cruciale, elle semble au point mort.

« Une vaste mise en scène »
« Les militaires et l’ISI (les services de renseignement de l’armée) ont fait preuve d’une totale incompétence ; ils auraient dû être au courant de la présence de la famille de Ben Laden à moins de dix minutes à pied de l’académie militaire », confie Ahmed, employé de banque à Bilal Town, le quartier d’Abbottabad où se dresse le compound fantomatique de Ben Laden. Officier à la retraite, le père d’Ahmed est, lui aussi, indigné face « à ce lamentable échec ». « Depuis cette opération, plus personne n’a confiance en l’armée et il lui faudra du temps pour restaurer son image », dit-il. « Une grande part du budget de l’État va aux militaires et voilà ce qu’en font nos généraux ! », renchérit le Dr Raza, médecin à l’hôpital d’Abbottabad.

Dans le même temps, tous se disent « pratiquement certains » qu’Oussama ne se trouvait pas dans la vaste demeure, aujourd’hui entourée d’un cordon de sécurité, lorsque les commandos américains ont donné l’assaut. « C’est ce que pensent la plupart des gens ici, affirme Ahmed. Lorsque les États-Unis ont attaqué, ils n’ont trouvé que les femmes et les enfants de Ben Laden. » À Lahore, Asif, étudiant en communication, est persuadé que « la mort de Ben Laden n’était qu’une vaste mise en scène ». Pour lui, de toute façon, « si le Pakistan est en pleine débâcle, c’est la faute aux Américains ». Un sentiment largement partagé. « Nous devons mettre un terme à la mainmise de la CIA sur notre pays », martèle Asif.

« Croisade contre l’islam »
Théorie de la conspiration, antiaméricanisme galopant… Pour la majorité des Pakistanais, la vraie « mésalliance » n’est pas le soutien indéfectible de l’armée et des services secrets aux djihadistes de tout poil, aux talibans, voire à des éléments d’al-Qaida, qui visent à tenir l’Inde en échec ; mais le ralliement, en 2001, du général-président Pervez Musharraf à ce qu’ils continuent de voir comme la « croisade contre l’islam » de George W. Bush. Dès la fin septembre 2001, le « lâchage » par Musharraf du régime taliban à Kaboul avait réveillé la colère des groupes islamistes au Pakistan. Ils étaient descendus dans la rue pour demander au général-président de « ne pas laisser Washington se servir du territoire pakistanais pour tuer leurs frères afghans ». Déjà, à Lahore, des leaders djihadistes nous avaient confié que depuis longtemps, des Pakistanais de la « moyenne et haute bourgeoisie » s’entraînaient pour « lutter contre l’Amérique et les Juifs ».

Une décennie plus tard, le mariage de la carpe et du lapin que fut l’allégeance d’Islamabad à Washington, oblige à un constat affligeant : les objectifs poursuivis par Washington et Islamabad dans la région ont toujours été - et restent - divergents. Aujourd’hui, Islamabad fait valoir non sans amertume que la lutte contre le terrorisme a coûté des milliers de vies au Pakistan, les islamistes pakistanais ayant fini par retourner leur djihad contre l’État, l’armée, la police, la population. Les Américains exigent de nouveaux efforts de leur « allié » - qu’ils continuent de financer, malgré les menaces - dans la lutte conjointe contre les djihadistes.

« Tout le monde a joué le jeu »
Pour le politologue George Friedman, les dirigeants américains et pakistanais étaient parfaitement conscients, dès 2001, de cette double aliénation. « Les États-Unis ont toujours su que l’aide du Pakistan avait ses limites (…) De leur côté, les Pakistanais savaient que la tolérance américaine avait les siennes. Mais tout le monde a joué le jeu » parce qu’à l’époque, Islamabad et Washington n’avaient guère d’autre choix, analyse-t-il sur le site d’études stratégiques Stratfor. Et d’ajouter : « Le jeu est fini non pas parce que les Américains ont mené leur raid au Pakistan et y ont tué Ben Laden, mais parce que le Pakistan a enfin compris que les États-Unis retireront tôt ou tard leurs troupes d’Afghanistan. »

Dans cette optique, souligne Friedman, il est devenu encore plus urgent pour Islamabad de placer ses pions dans la région. En ménageant, notamment, des groupes afghans, talibans ou des seigneurs de guerre tels que le réseau Haqqani, au grand dam de Washington, car tous sont liés à al-Qaida.

Dans ce contexte, l’annonce de l’armée pakistanaise, lundi, confirmant l’arrestation, à Quetta, de trois hommes proches de Ben Laden, dont un commandant, est apparue comme un signe de réconciliation entre l’ISI et la CIA. « L’opération a été planifiée et menée avec l’assistance technique des services secrets des États-Unis, avec lesquels l’ISI entretient une relation historique très forte », soulignait un communiqué de l’armée. Nul ne sait combien de temps durera l’embellie.

Le Figaro - publié le 7 septembre 2011


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