La menace terroriste a évolué, dit le juge Trévidic

PARIS (Reuters) - Le niveau de la menace terroriste a baissé dix ans après les attentats du 11-Septembre, mais d’autres menaces pointent à l’horizon, notamment de Syrie, estime le juge antiterroriste français Marc Trévidic.

Ce magistrat a pris en 2006 la succession de Jean-Louis Bruguière dans la conduite des principaux dossiers visant l’activisme islamisme.

"On a un niveau de danger qui est infiniment moindre qu’avant le 11 septembre 2001. On avait à faire à une force Al Qaïda plus puissante. Elle était alliée des taliban qui avaient des camps d’entraînement qui formaient des professionnels", dit-il dans un entretien accordé à Reuters.

"Aujourd’hui, malgré tout, nous avons à faire à des groupes semi-amateurs qui sont sans doute moins performants, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne soient pas dangereux", ajoute-t-il, parlant de "Pieds Nickelés". "Plus on leur tape dessus, moins ils sont organisés."

Le juge souligne qu’avant le 11 septembre 2001, la France avait connu de très fortes alertes, déjouant notamment au dernier moment un projet d’attentat contre la cathédrale de Strasbourg en 2000 et démantelant de nombreux groupes.

L’accalmie dans la guerre civile avec les islamistes en Algérie, puissant moteur de l’activisme en France, puis la destruction après le 11 septembre 2001 des camps d’entraînement d’Al Qaïda en Afghanistan, par lesquels de nombreux Français étaient passés, ont soulagé l’antiterrorisme, dit Marc Trévidic.

"Après, ce sont les terroristes qui s’adaptent, avec les moyens du bord. Donc, ils vont vers la simplicité, vers l’attentat kamikaze. Ils vont recruter à la va-vite, à droite et à gauche, de manière pas forcement sophistiquée", dit le juge.

"AMATEURS"

Cet amateurisme et ce retour à une forme "d’artisanat" terroriste peut cependant constituer un risque, pense ce juge de 46 ans qui vit sous haute protection policière.

"On peut faire faire n’importe quoi à un amateur. II est recruté très vite sur internet, il est à peine formé, on lui demande pas la Lune techniquement. On lui demande grosso modo d’être kamikaze. Donc, nous n’avons pas du tout affaire aux mêmes personnes, mais ça reste dangereux."

Le juge Trévidic n’a plus de dossiers sur les filières de recrutement et d’acheminement en Afghanistan ou en Irak de djihadistes mais dit constater une progression de l’utilisation d’internet pour les "embauches" d’activistes.

Il arrive quelquefois qu’un réseau se constitue avec des gens qui ne se sont jamais parlé ailleurs que sur internet, dit Marc Trévidic. "Les proies sont plus faciles, ce sont généralement les jeunes qui ne réfléchissent pas beaucoup, sont en mal de vivre, qui voient ça comme quelque chose d’excitant".

Le profil général des nouveaux activistes est moins efficace et professionnel selon le magistrat, puisque l’appui d’Etats comme dans les années 1970 avec Ilich Ramirez Sanchez, dit "Carlos", ou de l’Afghanistan sous les taliban offrait d’autres moyens techniques et des possibilités de formation.

SYRIE ET LIBYE, SOURCES DE MENACES ?

Outre l’organisation Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le juge craint notamment une action du régime syrien, rudement ébranlé par une révolte réprimée dans le sang qui dure depuis mars, et fragilisé par un isolement diplomatique croissant.

"La nouvelle source de danger sera un retour du terrorisme d’Etat, c’est-à-dire de groupes terroristes sponsorisés par des Etats qui trouveraient un moyen d’arranger leur situation sur la scène internationale en faisant des attentats."

Le Pakistan, berceau de la lutte contre l’occupation en Afghanistan et zone de repli des chefs d’Ail Qaïda - c’est dans ce pays qu’Oussama ben Laden a été tué par des forces spéciales américaines le 2 mai dernier - est bien sûr sur sa liste.

"Qu’il y ait un double jeu des Pakistanais, c’est une évidence", estime Marc Trévidic. "On ne comprend rien."

Le juge, qui a des enquêtes en cours sur des actes anti-français perpétrés dans les années 1980 et imputés au régime syrien, craint le professionnalisme de Damas.

"C’est la Syrie qui fait peur. La Syrie est un régime très fort qui a toujours su justement utiliser certaines armes. Un régime dictatorial acculé peut utiliser certaines armes."

La Libye, où circulent des armes, et peut-être des missiles sol-air après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, est aussi une source potentielle de troubles. Il ne songe pas au "chômage technique" malgré la mort d’Oussama ben Laden.

"Le djihad international a un avenir. Simplement il n’a plus de figure. C’est un avenir sans visage, on ne sait pas trop vers quoi ça va tourner. Mais le terrorisme existait hier, il existera demain. C’est une forme de criminalité et il faut vivre avec".

Le Point.fr - Publié le 7 septembre 2011


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