Procès Carlos : "Il a détruit le monde, brisé ma vie"

Les vies ont été différentes, menées à Marseille, Mulhouse ou Tlemcen. Mais toutes les victimes de l’attentat de la gare Saint-Charles du 31 décembre 1983 racontent les mêmes cicatrices, les mêmes difficultés à surmonter le traumatisme vécu, à "digérer" les images de guerre auxquelles aucun d’entre eux ne s’attendait, trente secondes plus tôt. L’un était homme d’équipe à la SNCF, l’autre mécanicien sidérurgiste à Ghazaouet en Algérie... Alors que la cour d’assises spéciales de Paris examine aujourd’hui les faits commis à Marseille, quelques unes des victimes de cette Saint-Sylvestre 1983 livrent leurs souvenirs.

Daniel Amenc avait pris son service huit minutes avant l’explosion de la bombe placée dans un casier des consignes. Chargé d’accrocher et décrocher les locos "en fond de gare", il dépose ses gants sur un gros radiateur dans un local. "J’ai vu cet énorme radiateur en fonte me passer devant, le faux plafond est tombé, j’ai été projeté". Sous la marquise de la gare, la première image qui s’est imprimée dans la mémoire de ce jeune cheminot de 21 ans, c’est "la poussière, la fumée et ce silence effrayant".

Hanté depuis 28 ans

Puis "tous ces gens qui gisaient partout, ces visions d’horreur". Son chef de service et l’autre homme d’équipe de sa brigade s’affairent à éteindre les débuts d’incendie, lui, court d’un gémissement à l’autre. "Puis les ambulances arrivent, la police verrouille tout" et cette image, gravée pour toujours, digne d’un champ de combat : "Je voyais un homme qui sautillait sur un pied, l’autre était arraché, il n’avait pas l’air d’avoir mal". Il a fallu qu’il entende "ça c’est une bombe" pour que Daniel Amenc prenne la mesure de l’attentat.

Il est vite renvoyé à son travail car il faut faire circuler les trains. La SNCF lui adresse, un mois plus tard, ses "sincères remerciements" et une gratification de trois cents francs. Et puis, plus de nouvelles jusqu’à une récente convocation devant la cour d’assises au procès Carlos. Daniel Amenc n’a pas été blessé mais la bombe a ouvert une brèche chez cet homme, hanté pendant vingt-huit ans par des images qui resurgissent pour une attitude, un mot, un son, une odeur, un homme paniqué dans les lieux confinés, dans l’impossibilité de monter dans un avion...

"Je pleure pour un oui pour un non"

Il dira son traumatisme aux juges, l’abandon aussi des victimes à leur sort. Une "vie déstabilisée" qu’il veut évoquer sous le nez de l’accusé. "Il ne faut pas qu’on nous oublie tous autant qu’on est qui avons souffert de ça. Et puis, on ne va pas laisser toute la tribune médiatique à Carlos". De l’autre côté de la Méditerranée, à Tlemcen, Smaïne Seghiri se souvient encore de menus détails : les clichés qu’il venait de faire au photomaton, les trois francs donnés à une femme qui demandait la charité avec son fils. Le jeune homme âgé de 28 ans attendait son train pour Paris en vue de sa première rencontre pour des fiançailles.

"La bombe a explosé à ma gauche. En une fraction de seconde, un morceau de métal m’a tranché la fesse. Un jeune pompier a enlevé sa veste pour m’en faire un oreiller. Smaïne s’est réveillé deux jours plus tard mais, "depuis, je suis toujours fatigué. Vingt-huit ans que je suis fatigué moralement, je n’ai pas réussi à avoir une vie professionnelle normale, de vie conjugale non plus. Je pleure pour un oui pour un non". A la télévision algérienne, il a vu "Monsieur Carlos" brandir le poing "comme un héros".

"Un monstre"

"Pour moi c’est un monstre, qu’est-ce que je lui ai fait ? J’ai rien à voir dans tout cela. Pour un franc glissé dans une caisse de consigne, il a détruit le monde et m’a brisé la vie". Lors de la guerre civile en Algérie, dans les années 1990, les bombes quotidiennes frappaient une à une la mémoire de Smaïne. Ne pas laisser toute la parole à Ilich Ramirez Sanchez, tel est l’un des objectifs des victimes qui iront devant la cour d’assises - Smaïne Seghiri a obtenu son visa pour la France - mais la justice a aussi des comptes à solder avec ces victimes qui n’ont jamais été indemnisées.

Nicolas Keramidas, l’avocat de M. Seghiri déposera tout un dossier de certificats médicaux, de prescriptions d’antidépresseurs. "Bien sûr que c’est très tard, bien sûr que c’est trop tard, observe Me Denis Fayolle, avocat de Daniel Amenc, mais, pour les victimes, mieux vaut tard que jamais.

Luc LEROUX - La Provence - 18 novembre 2011


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