AZF : l’ex-juge Bruguière affirme qu’on a négligé la piste criminelle

L’ex-juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière, appelé à témoigner au procès en appel de l’explosion d’AZF à Toulouse, a persisté mardi à soutenir que l’enquête sur les causes de la catastrophe avait sous-exploité la piste criminelle.

Roger Marion, qui l’a précédé à la barre et qui était à l’époque directeur central adjoint de la police judiciaire (DCPJ), a au contraire pleinement soutenu le travail mené par les enquêteurs au lendemain de la pire catastrophe industrielle en France depuis 1945. Il s’est déclaré "extrêmement choqué" de la teneur d’un rapport établi par M. Bruguière à la demande de Total en 2010.

L’enquête n’a "pas exploré suffisamment la piste intentionnelle", a dit M. Bruguière, qui a quitté la magistrature en 2007 et qui est à 68 ans consultant pour des Etats et des industriels. On n’a "pas étudié en profondeur les fadettes", les factures téléphoniques détaillées, on a "perquisitionné trop tardivement" chez Hassan Jandoubi, un manutentionnaire d’AZF tué comme 30 autres personnes par la catastrophe du 21 septembre 2001.

Selon une note des renseignements généraux (RG) du 3 octobre 2001, dont la pertinence est contestée par M. Marion, Hassan Jandoubi aurait eu des relations avec des islamistes.

L’ancien juge a expliqué s’être "forgé (sa) conviction" en 2010 en prenant connaissance de l’ensemble du dossier quand il s’est vu confier une mission de consultant pour le compte du groupe Total, maison-mère de Grande Paroisse, propriétaire de l’usine.

L’hypothèse de l’acte criminel a été écartée lors de l’instruction. Celle-ci a retenu la piste d’un accident chimique dû à des négligences de Grande Paroisse et du directeur de l’usine Serge Biechlin. Poursuivis pour homicides involontaires, ils ont été relaxés en première instance en l’absence de preuve matérielle.

Dans son rapport, M. Bruguière conteste un "choix délibéré (...) d’une orientation univoque de l’enquête, celle de l’accident industriel". Avec une seule piste, "on n’a pas appliqué le principe de précaution judiciaire", a-t-il renchéri mardi.

Il a cependant reconnu qu’au début de l’enquête, en 2001, alors qu’il était à la tête des juges antiterroristes, il n’avait pas d’éléments en faveur d’une piste terroriste. Il l’a dit aux juges d’instruction chargés du dossier lors d’une rencontre dans son bureau parisien en novembre 2001.

"L’information qu’on avait à l’époque était que ce n’était pas un attentat d’Al-Qaida car il n’y avait ni revendication, ni retour d’information des services de renseignements avec lesquels nous étions en relation", a expliqué M. Bruguière.

"A aucun moment" au cours de cette réunion dans le bureau de M. Bruguière, "il n’est paru opportun de saisir la juridiction spécialisée antiterroriste", venait d’indiquer M. Marion, ancien chef de la Division nationale antiterroriste (DNAT).

M. Bruguière a été mis sur le grill par les parties civiles hostiles à l’industriel. Elles lui reprochent des considérations "idéologiques" et son "lien de consultant à client avec Total".

Lui a insisté sur les "constatations objectives" contenues dans son rapport. "Je ne suis pas là pour défendre la piste de l’attentat terroriste, je ne pointe pas quelqu’un du doigt, mais de mon point de vue il n’y a pas eu d’exploitation suffisante d’éléments alors qu’il y avait matière (...) qu’il y avait des contacts très probables de M. Jandoubi" avec des islamistes, a-t-il réaffirmé.

M. Bruguière a évoqué la "possibilité d’un scénario impliquant un groupe local non nécessairement lié à une mouvance connue", ce qui expliquerait l’absence de revendication crédible et de retour d’information des services de renseignements.

Pour M. Marion au contraire, les soupçons contre M. Jandoubi étaient nés de "rapprochements hasardeux" qu’avaient faits les RG et qui se sont révélés erronés.

AFP - Dominique BEAUJOUIN - 20 décembre 2011


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