Comment sont morts les otages français du Niger ?

L’armée a-t-elle commis une erreur au cours de l’opération de libération des deux otages français, Vincent Delory et Antoine de Léocour, 25 ans, otages d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) tués au Mali le 8 janvier 2011 ? Un an après le drame, la famille Delory, partie civile dans l’enquête judiciaire ouverte pour "enlèvement et séquestration" au pôle antiterroriste de Paris, s’interroge : alors que l’armée a fait preuve d’une grande transparence juste après le drame, elle semble réticente à aller au bout de la vérité et se contredit sur certains faits.
L’avocat de la famille Delory, Frank Berton, a annoncé, jeudi 5 janvier, qu’il allait demander un réquisitoire supplétif pour "homicide involontaire".

Un témoignage extérieur confirme que les forces françaises ont tiré sur le véhicule dans lequel les ravisseurs avaient placé les deux otages. La déclaration émane de Mohammed Ould M’Balle, alias Mouawiya, 23 ans, membre de la katiba (brigade) Al-Moulathamine, affiliée à AQMI. L’homme, entendu le 30 novembre à Nouakchott, a été incarcéré début février 2011 pour sa participation présumée à une opération contre "le ministère de la défense et l’ambassade de France" dans la capitale mauritanienne. Son groupe a participé à l’enlèvement des Français. Il en a fourni de nombreux détails et le nom des participants.

"EN RÉALITÉ, CE FUT UN CARNAGE"

Les deux jeunes hommes avaient été enlevés le 7 janvier à Niamey, au Niger. Leurs ravisseurs ont tenté de les conduire dans les sanctuaires d’AQMI au Mali. Le convoi a été intercepté le lendemain, juste de l’autre côté de la frontière. Le ministre français de la défense, Gérard Longuet, a indiqué mi- décembre qu’il refusait de déclassifier les minutes manquantes d’une vidéo de l’opération, dont disposent les militaires. Des images déjà dévoilées aux familles montrent la destruction par l’armée française de deux des trois véhicules du convoi des ravisseurs. Celles du pick-up blanc des otages demeurent secrètes. Ce 4×4, à proximité duquel Vincent Delory a été retrouvé atrocement mutilé et brûlé, a lui aussi été détruit. "Pourquoi a-t-on tiré sur le 4×4 en sachant que les otages étaient dedans ? Pourquoi ne pas l’assumer ?", demande Me Berton.

Dans l’opération, un risque maximal a été encouru, et assumé, par l’Elysée. Après une nuit de discussion entre Nicolas Sarkozy et son ministre de la défense d’alors, Alain Juppé, la décision de lancer l’assaut a été prise. De gros moyens ont été déployés, cinq avions (dont un Hercule C 130 transférant en direct les images à Paris), trois hélicoptères, 40 hommes des forces spéciales. L’assaut a démarré à 10 h 20. Le feu a cessé à 11 heures. "En réalité, ce fut un carnage", affirme Me Berton. Outre les deux otages, trois gendarmes nigériens et quatre ravisseurs sont morts. Les autres se sont enfuis.

Ce 8 janvier, Mouawiya était à Gao, au Mali, quand il a appris l’enlèvement. A l’annonce de la nouvelle, les combattants de sa katiba ont d’abord laissé éclater leur joie. Il raconte que son engagement djihadiste date de 2006, et qu’il a rejoint AQMI fin 2007, à la demande d’un émir local, cheikh Ibrahim Ould Hannoud. Son parcours l’a conduit à Tombouctou, au Mali, où il a été accueilli par Abou Faras, le coordonnateur du groupe, puis entraîné au combat par un autre chef, Bilal Al-Jazaïri. "J’ai passé deux ans là, puis j’ai rejoint la sariyat (brigade) Al-Moulathamine, sous la direction d’Abou Al-Abbas."

La katiba, explique-t-il, compte 40 combattants, d’origine algérienne en majorité, et un Mauritanien, Al-Hassan Ould Al-Khalil, surnommé Jelibib, impliqué dans les prises d’otages. Le groupe possède neuf 4×4 comme ceux qui vont embarquer les Français. Chacun est équipé d’armes fixées à bord, une mitrailleuse PK et un lance-roquettes RPG. Des Kalachnikovs supplémentaires sont disponibles. Le véhicule de l’émir, lui, porte un missile SAM7. Enfin, assure le djihadiste, le groupe est riche de 5 millions d’euros d’une rançon versée en échange de la libération de deux Espagnols, enlevés fin 2009 en Mauritanie.

Le jeune terroriste indique que la katiba de Moktar Belmoktar, l’un des deux principaux émirs d’AQMI au Sahel, est "le noyau" sur lequel la sienne a été fondée. Mais, précise-t-il, "l’émir Al-Abbas est celui qui a le plus de coeur", car il assure un "bon traitement" aux otages européens.

C’est, affirme-t-il, un membre de la secte islamiste nigériane Boko Haram qui a fourni l’information selon laquelle deux Français étaient présents à Niamey, le 7 janvier, au restaurant Le Toulousain.

La katiba Al-Moulathamine "avait un Land Cruiser camouflé à Niamey", muni d’une plaque togolaise. Huit individus y avaient pris place pour enlever les Français, selon Mouawiya.

Les premières sur place, les forces nigériennes, ont pris en chasse les ravisseurs. Elles vont le payer cher. Six de leurs hommes seront pris de force dans le convoi. Un des gendarmes otages a témoigné de la violence de l’assaut final, lui qui a récupéré la tête sectionnée d’un de ses collègues.

Le convoi fut "pris par surprise par des forces aériennes françaises qui les attaquèrent, mettant le feu aux trois véhicules", a témoigné le jeune islamiste mauritanien. A ce moment-là, "les deux otages se trouvaient à bord du premier véhicule, avec les mains attachées. Ils étaient encore sains et saufs. Par la suite, les éléments des katibas ont quitté le véhicule afin d’éviter les coups de feu." Il ajoute : "Les trois véhicules ont pris feu suite à l’attaque aérienne."

La justice française avait établi très vite que Vincent Delory n’était pas mort des balles de ses ravisseurs. Son corps comportait cinq impacts, mais aucun ne fut létal. Son décès est "à mettre sur le compte des effets thermiques dégagés par un foyer d’incendie", avait indiqué, dès le 23 février 2011, le procureur de Paris. Cette séquence fait l’objet de déclarations contradictoires des armées. Les conditions de l’opération furent certes délicates. Un vent violent soufflait. Les ravisseurs s’étaient mis à couvert d’une zone boisée, et ripostaient sérieusement. Des renforts ont dû être parachutés.

Une version officieuse a été fournie par l’état-major : tandis que deux groupes héliportés de commandos lançaient l’assaut, un tireur d’élite, depuis un troisième hélicoptère, a visé le moteur du 4×4 blanc avec une mitrailleuse M3M (12.7 mm). Peu après, le tireur détruit le pick-up beige. Trois minutes plus tard, la voiture blanche prend feu. Frédéric Beth, le commandant des opérations spéciales, a cependant indiqué au juge qu’il n’y avait pas eu de tir de M3M sur la voiture des otages et qu’il ne pouvait expliquer son embrasement.

Mouawiya a précisé que de l’essence était stockée à bord. Les sources militaires ont indiqué que le pick-up contenait aussi nombre de munitions. Peut-il y avoir eu un tir d’arme lourde qui aurait pulvérisé le 4×4 par erreur ? Le procureur de Paris avait indiqué, le 15 janvier 2011, qu’"un impact d’un projectile de 20 mm, c’est-à-dire un calibre qui pourrait se rattacher à l’armement utilisé et armant les hélicoptères de combat", était visible sur le pick-up bleu des gendarmes nigériens. L’état-major a fermement démenti que des armes lourdes aient été employées.

Quant à Antoine de Léocour, c’est "Fayçal l’Algérien" qui l’a tué, selon Mouawiya. Le bandit est sorti du pick-up blanc avec l’otage quand les tirs ont commencé, tentant de s’enfuir avec son précieux butin humain. "Mais devant l’incapacité de ce dernier de le suivre, il l’a abattu de plusieurs balles de sa Kalachnikov et l’a abandonné." Une balle à bout touchant dans la tête est responsable de sa mort.

Nathalie Guibert - LeMonde.fr - 6 janvier 2012


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