ATTENTAT DE ST-ETIENNE-DU-ROUVRAY : DES AGENTS DU RENSEIGNEMENT ASSURENT N’AVOIR "RIEN CACHÉ"

Une note d’un agent de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) de Paris qui identifie Adel Kermiche derrière une chaîne de propagande jihadiste sur la messagerie cryptée Telegram était au coeur des débats devant la cour d’assises spéciale de Paris.

"L’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray aurait-il pu être évité ? La directrice du service de renseignement qui avait identifié l’un des jihadistes très peu de temps avant les faits, a affirmé mardi au procès qu’ils n’avaient "rien caché".

Les parties civiles ont, elles, déploré une "occasion manquée" qui s’est révélée fatale.

Au coeur des débats mardi, devant la cour d’assises spéciale de Paris, une note du 22 juillet 2016 d’un agent de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) de Paris qui identifie Adel Kermiche derrière une chaîne de propagande jihadiste sur la messagerie cryptée Telegram.

Cette note ne sera jamais transmise à d’autres services, ni avant ni après l’attentat, et sera rendue inaccessible dans les serveurs de la DRPP le 26 juillet, sauf à quelques chefs.

La DRPP avait fait l’objet d’une enquête préliminaire en 2018, classée sans suite, après un article de Mediapart exposant ces décisions et précisant que l’agent, de nom de code 18-14, avait eu accès à un message d’Adel Kermiche évoquant une attaque dans une église.

Sur les cinq agents cités à témoigner, quatre avaient initialement affirmé n’être "pas aptes psychologiquement à être entendus". Deux ont finalement témoigné, à distance et anonymement, mais pas l’auteur de la note ni le supérieur responsable des deux décisions litigieuses (non-transmission et "sécurisation" du document).

Ce revirement ne signifie "absolument pas" que ces agents sont rétablis, mais ils ne voulaient "pas se +dérober+", a expliqué leur directrice, Françoise Bilancini, interrogée pendant près de trois heures.

La commissaire, arrivée à la tête de la DRPP en 2017, et deux supérieurs hiérarchiques de "18-14", l’un flouté, l’autre derrière un paravent, ont révélé que cet agent était directement en contact avec le jihadiste. Il l’avait mis suffisamment en confiance pour qu’il "lâche son numéro de téléphone", permettant son identification.

Le "cyberpatrouilleur" crée alors, le 22 juillet 2016 - quatre jours avant l’attaque - une fiche d’"identification", qui conclut que "ces informations seront transmises à la direction générale de la sécurité intérieure" (DGSI).

En effet, Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), où réside Adel Kermiche, ne relève pas de la compétence territoriale de la DRPP, explique Mme Bilancini, les mains fermement agrippées à la barre.

"On aurait pu envoyer les gendarmes"

Adel Kermiche est alors perçu comme voulant partir en Syrie et faisant l’"apologie" de l’attentat de Nice survenu dix jours plus tôt, mais sans "risque de passage à l’acte imminent". Il incite "en général" à commettre des attentats, mais "on est sur un discours qu’on retrouve sur des centaines de chaînes Telegram à l’époque", assure Mme Bilancini.

Cela explique que la note n’ait pas été traitée en priorité lorsque le sous-directeur adjoint, "18-11", revient de vacances le lundi 25 juillet, veille de l’attentat.

Dans un contexte d’inflation des signalements de radicalisation, "le traitement d’une telle note aurait pris plusieurs semaines" et, même si elle avait été transmise le vendredi soir, "ce n’est pas pour autant que le lundi ou le mardi matin, Kermiche aurait été interpellé", a-t-il estimé.

Un argument qui ne convainc pas Catherine Favre, avocate du diocèse de Rouen : "s’il y avait eu une coordination, on aurait pu envoyer les gendarmes chez la famille Kermiche".

Effacer la note ? "Pas illogique"

Car les éléments de la note, qui mentionne qu’Adel Kermiche appelle "à commettre des attaques contre les mécréants ici, comme ils le peuvent, en privilégiant la voiture bélier, chargée de bonbonnes de gaz", "vont au-delà de la simple apologie du terrorisme", a souligné Francis Szpiner, avocat de proches du prêtre assassiné.

Il y a "des éléments évidents" sur cette chaîne qui font qu’"on est déjà sur de l’association de malfaiteurs terroriste", renchérit l’une des avocates générale, évoquant le message audio où Adel Kermiche désigne les églises comme cible pour leur charge symbolique, et appelle à "couper deux ou trois têtes".

L’analyse de "18-14" s’est basée essentiellement sur ses contacts directs avec Adel Kermiche, qui disait rechercher "de l’argent pour repartir" en Syrie, après deux tentatives avortées, et non sur une "exploitation exhaustive" du contenu de sa chaîne Telegram, probablement par manque de temps, reconnaît "18-11".

Quant à l’ordre du sous-directeur ("18-10"), absent à l’audience, d’effacer la note de la partie du serveur accessible au service, les témoins la jugent "pas habituelle, mais pas illogique", pour éviter des fuites et une utilisation "malveillante" du document.

Ils ont "fait en sorte que nous, la société ne soit pas au courant", s’est ému Antoine Casubolo Ferro, avocat de l’Association française des victimes du terrorisme.

Crédit photos : Date : 01/03/2022 Auteur : T.L avec AFP Source BFMTV.com

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