Crash de « Dropped » : « Ce drame est notre réalité depuis 4 ans », confie la mère d’une victime

Quatre ans jour pour jour après le terrible accident d’hélicoptères sur le tournage de « Dropped », un jeu de TF 1, les familles des victimes déplorent les lenteurs de la justice.

Le 9 mars 2015, deux hélicoptères se percutaient à Villa Castelli en Argentine sur le tournage du jeu d’aventure « Dropped ». Ce quatrième anniversaire est douloureux pour les familles des deux pilotes argentins, Robert Abate et Juan Carlos Castillo, des trois sportifs candidats du jeu, Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine, et celles d’Edouard Gilles, Volodia Guinard, Brice Guilbert, Lucie Mei Dalby et Laurent Sbasnik, les cinq membres de l’équipe technique, salariés d’Adventure Line Productions (ALP), la société de « Koh Lanta » aux manettes de cette nouvelle émission de TF 1.

Quatre ans plus tard, pour les familles des victimes, la douleur est intacte. Elles ont obtenu des réparations financières pour ces accidents du travail. Et une victoire symbolique en avril 2018 quand ALP a été condamnée pour « faute inexcusable » par le tribunal des affaires de sécurité sociales (TASS) des Hauts-de-Seine. Mais la société de production a fait appel. Et le 22 novembre 2018, la Cour d’appel de Versailles a prononcé la « radiation » de la demande de la famille de Laurent Sbasnik, un des cameramen de l’émission.

Mais les familles attendent surtout les conclusions de l’enquête pénale, pour laquelle ALP est témoin assisté. Et l’enquête stagne. En ce triste jour d’anniversaire, les avocats d’ALP n’ont pas souhaité faire le moindre commentaire. Tout comme la société de production et la chaîne TF1.

L’impatience grandit donc face à cet interminable feuilleton judiciaire. Bénédicte Mei, mère d’une des 10 victimes, répond au Parisien-Aujourd’hui en France. Au nom de toutes les familles.

Ce lundi 9 mars 2015, comment apprenez-vous le drame de Villa Castelli qui a coûté la vie à votre fille Lucie ?

BÉNÉDICTE MEI. À 23 heures, ALP nous a appelés pour nous informer de la collision de deux hélicoptères. Aussitôt, la vidéo d’un habitant a offert au monde entier les images de ce crash : un vol de 190 secondes, un choc d’une violence extrême à 82 m d’altitude, deux hélicoptères s’écrasant au sol, l’explosion, l’incendie, la mort en direct de dix personnes… Ce drame est notre réalité depuis quatre ans. Nous, familles et proches, sommes aussi victimes de ce crash : une part inestimable de notre vie a sombré ce 9 mars 2015.

Tenez-vous la production responsable de cet accident ?

Dès ses premières conclusions, le Bureau argentin d’Enquêtes des Accidents de l’Aviation Civile a pointé le non-respect de la réglementation aérienne civile sur les vols en formation. Le 3 avril 2015, une information judiciaire est ouverte à Paris pour « homicide involontaire par violation délibérée d’une obligation de prudence et de sécurité ».

Quelles sont les conclusions de cette information judiciaire ?

Nous les attendons depuis quatre ans ! Nombre de nos questions restent en suspens : pourquoi ALP a-t-elle décidé d’improviser ce vol en formation ? Pourquoi ni autorisation de vol et ni plan de vol n’ont été déposés ? Pourquoi les personnes embarquées n’ont pas été informées sur les risques spécifiques du vol en formation ? Pourquoi aucune liaison radio entre les deux pilotes ? Pourquoi l’hélicoptère chargé de filmer les candidats dans le deuxième appareil n’était-il pas équipé d’une caméra gyroscopique ? Pourquoi un transport de passagers dans l’hélicoptère même où opérait le cameraman filmant porte ouverte ? Pourquoi ni pompiers ni ambulances sur place ?

Comment vivez-vous cette attente ?

Le temps judiciaire est long, éprouvant et injuste. Sept procédures civiles sont en cours en France. Nous assistons à toutes les audiences et supportons les contre-vérités assénées par les avocats d’ALP. Ils assurent que l’hélicoptère est le moyen de transport le plus sûr (pourquoi donc dix morts ?), que le pilote a été ébloui par le soleil (l’expertise n’a pas retenu cette hypothèse), que le vol n’a servi qu’au transfert des candidats et du personnel technique (mais les deux cameramen filmaient pendant le vol)… Aujourd’hui, ALP estime que l’affaire réglée : les assurances ont indemnisé les familles. Mais les victimes ne sont pas des biens de consommation. Nos proches n’auraient pas laissé leur vie dans ce tournage si la sécurité requise avait été respectée.

Pourquoi la justice tarde-t-elle à se prononcer ?

D’abord parce qu’ALP fait systématiquement appel des jugements. Ensuite car, de multiples procès se dessinent de part et d’autre de l’Atlantique pour démêler la chaîne des responsabilités. Cette toile d’araignée de procédures nous fait craindre que chaque tribunal attende la décision des autres tribunaux pour prendre la sienne. Nous nous sentons comme des vigies qui, inlassablement, rappelleront à la justice de ne pas enterrer ces victimes une deuxième fois dans l’oubli du temps qui passe et de ne pas nous enterrer avec.

Quelles sont vos relations avec TF1 et ALP ?

Inexistantes… On est consternés de voir ALP utiliser les émissions de télévision produites par d’autres filiales du groupe Banijay pour se défendre. Le 27 septembre 2018, Cyril Hanouna, dans « Touche pas à mon poste », conclut sans complexe un pseudo-débat autour d’une condamnation d’ALP pour « faute inexcusable » par le Tribunal des affaires de sécurité sociale, en disant : travailler sur une émission de jeu d’aventure, c’est prendre des risques, donc admettre la possibilité d’un accident… TF1 avait déjà donné un terrible avant-goût de ce cynisme : le funeste 10 mars 2015, le présentateur Louis Bodin commenta le crash en direct au journal de 20 Heures… devant les carcasses fumantes des hélicoptères contenant les corps de nos proches en train de se consumer. De la vraie téléréalité, un jeu d’aventure mortel pour de bon. Aucune excuse ne nous a jamais été présentée pour nos morts, objets d’un spectacle morbide proposé à des millions de téléspectateurs.

Faut-il interdire l’utilisation d’hélicoptères à la télévision ?

Cette catastrophe constitue le plus grave accident du travail collectif survenu ces dernières années dans une entreprise française… Est-il acceptable de décéder pour divertir des téléspectateurs ?

Source : Le Parisien
Auteur : Benoît Daragon
Date : 09/03/2019

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