Crash du Rio-Paris : le rapport qui cible Airbus

Les proches des victimes du Rio-Paris dévoilent un document sur le vieillissement prématuré des sondes de vitesse équipant l’appareil qui s’est crashé en 2009.

Dix ans après le crash du vol Rio-Paris AF447, qui a causé la mort de 228 personnes le 1er juin 2009, les juges d’instruction du pôle accidents collectifs du tribunal de Paris doivent bientôt rendre leur décision. On connaîtra alors le sort judiciaire d’Air France et d’Airbus, mis en examen pour homicides involontaires depuis 2011 dans ce dossier. La compagnie aérienne et le constructeur de l’A330, ou bien l’une et pas l’autre, pourraient être renvoyés devant le tribunal correctionnel ou bénéficier d’un non-lieu.

Mi-juillet, au grand dam des familles des victimes, le parquet de Paris avait requis le seul renvoi d’Air France et un non-lieu pour Airbus, considérant qu’« aucune faute pénale en lien causal avec l’accident ne peut être imputée au constructeur ». À ses observations en réponse, l’association Entraide et Solidarité AF447 a joint un document inédit sur les sondes Pitot Thalès AA, qui prouve selon elle que le constructeur ne pouvait en ignorer les défaillances.

Ce sont des tubes de nickel « grands comme la main » qui ont joué un rôle clé dans le crash du Rio-Paris. En provoquant des indications de vitesse erronées, le givrage simultané des trois sondes Pitot de l’Airbus A330 constitue, sans nul doute, le point de départ du décrochage de l’airbus A330. « Il est la cause originelle de l’accident », rappelle Me Sébastien Busy, avocat de l’association des familles des victimes Entraide et Solidarité AF447, qui s’étonne, dans ses observations aux juges, que le réquisitoire du parquet « règle en cinq lignes à peine cette question fondamentale ». « Si ce défaut avait été corrigé à temps, l’accident ne se serait pas produit », affirme lui aussi l’ancien pilote Gérard Arnoux, qui vient de publier un livre d’enquête sur la catastrophe.

Créée dans la foulée du drame, partie civile au dossier, Entraide et solidarité AF447 ne se résigne pas à l’idée que seuls les pilotes ou la compagnie Air France, si celle-ci était in fine renvoyée devant le tribunal correctionnel, soient désignés comme responsables du drame. Avant que n’intervienne la décision des juges d’instruction, elle a donc sorti de ses tiroirs un document qui prouve, selon elle, qu’Airbus « avait pleinement conscience » des défaillances de ces sondes fabriquées par l’équipementier Thalès. « C’est notre dernière cartouche », explique sa présidente, Danièle Lamy. « Nous gardions cette carte pour le procès », explique son fils Laurent Lamy, informaticien, très engagé dans le comité d’experts informel qui s’est soudé autour de l’association.

Daté de novembre 2004, intitulé « expertise d’une sonde Pitot », ce document élaboré pour Thalès leur a été transmis par une source anonyme il y a deux ans. Il détaille sur 36 pages les résultats de l’étude comparative du vieillissement de deux sondes ayant « environ 10 000 heures de vol ». L’une, très dégradée, est une Pitot AA (Thalès) qui présente une forte corrosion ; l’autre une Pitot Goodrich (fabriquée par Aérospace), peu dégradée. « Ce rapport, dont Airbus a vraisemblablement eu connaissance, démontre que Thalès savait que sa sonde était quasi HS après 10 000 heures de vol, analyse Laurent Lamy. La corrosion des tubes rendait le système de réchauffage inefficient. Or les sondes de l’AF447 totalisaient près de 19 000 heures de vol ! Soit quasiment le double… »

L’année précédant le crash avait vu une recrudescence des incidents faisant état de problèmes de givrage de sondes Pitot à haute altitude : onze répertoriés en 2008, dont huit à Air France. « Ce que les familles des victimes ne comprennent pas, c’est pourquoi Airbus, qui était informé de ces incidents, a fait en sorte que l’EASA (NDLR : agence de la sécurité aérienne en Europe, soit l’autorité de surveillance) n’émette pas de directive de sécurité pour interdire les Pitot AA avant l’accident », insiste Laurent Lamy. Pour ces parties civiles, le constructeur a donc sous-évalué leur dangerosité et maintenu à tort un classement inadapté dans l’échelle des risques — avec les conséquences que cela entraînait sur la formation et l’information des équipages.

« Airbus prétendait que l’entraînement au décrochage en haute altitude n’était pas nécessaire sur ce type d’avion, avance Gérard Arnoux. Les manœuvres d’urgence ad hoc n’existaient donc pas. » Pour les familles, le déficit d’information aux équipages concernant le givrage des sondes en altitude ayant contribué à l’effet de surprise des pilotes, suffisant aux yeux du parquet pour justifier le renvoi d’Air France, devrait l’être également pour Airbus. « Un débat judiciaire sans Airbus serait un débat tronqué », insiste l’association.

Source : Le Parisien
Auteur : Pascale Égré

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