Incendie du bar Cuba Libre : les gérants s’expliquent sur leurs négligences, ayant causé la mort de 14 personnes, devant le Tribunal correctionnel de Rouen

Trois ans après l’incendie du bar du Cuba Libre qui avait coûté la vie à 14 personnes lors d’un anniversaire s’ouvre le procès des deux gérants devant le Tribunal correctionnel de Rouen. La FENVAC sera présente aux côtés des parties civiles durant tout le procès et attend une sanction exemplaire après cette tragédie qui aurait pu être évitée.

Dans le cadre de cette instance, prévue du 9 au 17 septembre 2019, un compte-rendu d’audiences sera rédigé quotidiennement par la juriste de la FENVAC qui couvre le procès. Ce document pourra être mis à disposition des parties civiles sur demande pour celles ne pouvant y assister.

Jour 1 : Quand l’accumulation de négligences transforme une fête d’anniversaire en tragédie

Le procès du drame du Cuba Libre s’ouvre par l’audition des prévenus, les frères Nacer et Amirouche Boutrif, gérants successifs de l’établissement. Leur gestion du bar est méthodiquement décortiquée : l’extension non déclarée de leur activité de bar en dancing, suscitant des plaintes du voisinage et avertissements des forces de l’ordre ; leur bricolage du sous-sol en lieu et place de véritables travaux d’aménagements pour le transformer en club ; la non-information de leur bailleur quant à ces modifications, etc.

Les intervenants recherchent le mobile de ces négligences : simple velléité pécuniaire ou tentative désespérée pour maintenir l’activité du bar ? Sans expérience dans la tenue d’un commerce, la question se pose de savoir s’ils avaient clairement envisagé les risques découlant de leurs choix économiques. La journée se clôt par les larmes de Nacer lorsque son avocat lui demande s’il avait prévu qu’une bougie sur un gâteau d’anniversaire puisse être à la source d’une telle tragédie.

Jour 2 : L’émotion des intervenants impuissants face à la violence de ce drame

Cette deuxième journée commence par l’audition de deux sapeurs-pompiers mobilisés lors de l’incident. Ils décrivent les conditions difficiles dans lesquelles ils sont intervenus : l’accès au sous-sol était rendu laborieux par l’étroitesse de l’escalier, leur visibilité était fortement réduite compte tenu de l’importante fumée qui s’en dégageait, et au sol glissant s’ajoutait une mousse phonique fondue « qui tombait comme de la pluie ». L’installation de ce dernier matériau sur tous les murs de la cave est d’ailleurs incomprise par l’expert, compte tenu de ses propriétés inflammables.

Aux sapeurs-pompiers succèdent les témoignages d’un policier primo-intervenant ainsi que d’un major de police en charge de l’enquête. L’avocat de l’une des parties civiles soulève avec une forte amertume les circonstances dans lesquelles les familles ont été amenées à identifier leurs proches. La fin de journée s’achève par des questions sans réponses : pourquoi l’issue de secours était-elle fermée ? Pourquoi ne pas avoir alerté le plus rapidement possible les secours de l’existence de cette sortie ? S’y ajoute le douloureux regret de ne pas savoir si des vies auraient pu être épargnées si les indications des deux frères avaient été différentes.

Jour 3 : Les rescapés témoignent

L’émotion est palpable en cette troisième journée. Dans la matinée, les experts continuent de souligner la non-conformité du sous-sol de l’établissement aux mesures les plus élémentaires de sécurité. Patrick Porcelli, expert en prévention incendie, a ainsi confirmé que s’il avait eu connaissance du bar et de son agencement, il aurait « demandé au maire de prendre un arrêté pour péril grave et imminent ».

Les prévenus quant à eux réaffirment qu’ils n’avaient pas envisagé le risque d’incendie. Ils restent toutefois conscients des graves conséquences de leurs actes. À la question de savoir ce qu’il attend de ce procès, Nacer B. répond qu’il a bien conscience que « la perte d’un enfant est irremplaçable », et que les 5 ans de prison qu’il risque ne sont « rien » à côté d’une telle perte.

La journée se clôture par les témoignages des trois jeunes survivants du Cuba Libre. Ils ont affronté les flammes de l’escalier, le remontant sur un sol glissant, brûlant et escarpé. S’ils ne souffrent presque plus de séquelles physiques, ils conservent la trace d’un important préjudice psychologique : anxiété, angoisse, crise de panique, altération de leur vie sociale, ralentissement de leur vie professionnelle lorsque celle-ci est encore existante. Leur audition n’a pas laissé de doute quant au lien entre ces séquelles et le drame.

Jour 4 : Le deuil traumatique des proches face aux destins brisés de ces jeunes victimes

C’est avec une immense émotion et beaucoup de courage que les proches des victimes témoignent aujourd’hui devant le tribunal de leur indicible douleur causée par la perte de leurs proches dans d’effroyables conditions il y a trois ans.

Mettre des mots sur les plaies vives, c’est ce qu’ils tentent de faire. Ils décrivent ainsi les destins brisés de leurs enfants, des jeunes qui avaient un avenir devant eux, des projets de vie, des projets d’enfants. En même temps que ces vies ont été brisées, celles des proches se sont arrêtées. Ils se disent détruits et anéantis mais essayent de survivre. Rien ne compensera leur peine mais ils espèrent que les prévenus seront sévèrement punis.

Face à ce chagrin, Nacer. B, l’un des gérants, reconnaît avoir commis « des négligences » et déclare entendre la « tristesse et le désarroi » des familles. Il dit regretter « profondément » ce qu’il s’est passé.

Les avocats des parties civiles se succèdent pour plaider. Tout en soulignant le caractère non intentionnel des faits, chacun revient sur les circonstances extrêmement violentes de ce drame et insiste sur les manquements aux règles de sécurité élémentaires commis par les prévenus en rappelant qu’ils ne pouvaient les ignorer.

Pour les avocats intervenant au nom des victimes, des proches et de la FENVAC, le constat est clair. Les Frères B. ont délibérément contourné les obligations de sécurité et ont accumulé des fautes graves sur plusieurs années ayant mené à cette tragédie. Jamais ils n’ont entrepris une quelconque régularisation pour protéger leurs clients, ce, afin d’éviter de compromettre leur activité et donc de s’exposer à une perte financière.

Ces fautes ont causé le décès de 14 personnes et le traumatisme de nombreuses autres qui ont été exposées aux flammes, emprisonnées dans un incendie dévastateur sans aucune issue possible. L’angoisse extrême des victimes durant ces longues minutes ne peut être imaginée tellement elle a dû être effroyable. Chacune et chacun a eu conscience d’être en danger de mort imminente. C’est cette angoisse, spécifique car générée par les circonstances exceptionnellement graves de cet accident, que le tribunal devra prendre en compte à l’heure où il prendra sa décision.

La FENVAC, par le relai de son avocat, Me MANESSE, revient sur son combat pour la prévention afin qu’un tel drame ne puisse jamais se reproduire. L’expérience démontre que c’est grâce à des décisions de justice exemplaires que les acteurs de la sécurité collective, celle du quotidien, se responsabilisent et œuvrent pour une réglementation plus complète et des contrôles plus efficaces. Après le sacrifice de ces vies, tirer les enseignements de ce drame est une obligation.

Jour 5 : Comment réparer l’irréparable ?

Ce cinquième jour de procès est réservé aux plaidoiries des avocats des parties civiles. Un hommage est d’abord rendu aux 14 victimes décédées dans ce drame, aux traits qui les caractérisaient, aux parcours qu’elles ambitionnaient.

Les avocats se concentrent sur les conséquences de l’incendie pour les victimes et leurs familles. Qu’il s’agisse des proches des jeunes décédés, ou de ceux qui ont survécu de justesse, chacun a le droit d’obtenir la réparation des préjudices qui ont été détaillés la veille, même si celle-ci ne remplacera jamais un être cher. Le droit français repose sur le principe de la réparation intégrale, et c’est de cette intégralité qu’il est question aujourd’hui.

S’agissant de celles et ceux pris au piège dans les flammes, les avocats soulignent la conscience de la mort imminente qui les a envahi dans les secondes suivant le déclenchement de l’incendie. De cette atteinte spécifique découle un préjudice spécifique qui se doit d’être réparé.

Les familles des victimes, informées de la présence de leurs proches à l’anniversaire qui se déroulait au Cuba Libre, ont rapidement été alertées de la survenance de l’incendie sans pour autant savoir si leurs frères, sœurs ou conjoints avaient survécu. C’est cette attente désespérée qu’il s’agit de faire reconnaître par le tribunal, ces longues heures d’incertitudes, où en un mot tout espoir est anéanti.

Face aux assureurs qui estiment que seuls les ascendants, descendants ou conjoints des personnes décédées souffrent d’un préjudice d’attente auquel s’ajouterait un préjudice d’affection, les avocats soulignent l’injustice de cette situation pour les alliés, les frères et sœurs de ces victimes, et appellent ainsi le tribunal à prendre en compte leur souffrance.

Quid du lien d’amitié, qui peut être parfois tout aussi fort que celui du sang ? Les nombreux amis de ces victimes n’ont-ils pas également pleuré la perte injuste de leurs proches ?

Ces plaidoiries s’achèvent par un constat : les parties civiles n’ont pas de « haine » envers les prévenus, mais face à leur vie détruite, ils demandent aujourd’hui qu’ils assument « leur responsabilité jusqu’au bout ». Ces derniers ont d’ailleurs l’air abattu, semblant porter le poids de la culpabilité de ces 14 décès.

Il convient désormais d’attendre les réquisitions du Procureur qui les présentera lundi 16 septembre, juste avant les plaidoiries des avocats de la défense.

Jour 6 - 4 ans de prison ferme, sans aménagement de peine, requis à l’encontre des deux gérants du bar

Lundi 16 septembre 2019, le procès de l’incendie du Cuba Libre arrive à son terme. Un long et éprouvant procès pour les familles des victimes et les survivants, qui aura duré 6 jours.

Au cours de cette dernière journée, se succèdent le Procureur de la République, les avocats de la défense et les prévenus qui ont pu s’exprimer librement.

Dans ses réquisitions, le Procureur utilise des mots forts rappelant aux prévenus la gravité de leurs agissements. Il commence tout d’abord par rappeler que «  les jours des parties civiles sont comme des nuits depuis ce procès. Elles en attendent beaucoup, même si elles savent que ce procès ne pourra pas faire revenir leurs proches  ».

Face à la méconnaissance de la réglementation invoquée par les prévenus, le Procureur rappelle qu’ils savaient parfaitement entreprendre les démarches administratives afin d’obtenir les autorisations nécessaires «  lorsque c’était dans leur intérêt  », telle que la demande adressée à la préfecture pour obtenir une dérogation de fermeture plus tardive. Par ailleurs, Nacer B. exploitait un bar depuis plus de 10 ans, une expérience qui empêche de le considérer comme un novice en la matière.

Selon lui, les frères B. s’étaient attachés à la «  théorie de l’apparence  », en déclarant les travaux «  qui se verraient de ceux qui ne se verraient pas  », confirmant ainsi leur esprit attaché au principe du «  pas vu, pas pris  ».

La volonté de dissimulation sélective, s’inscrivant dans la durée, et ce, à l’ensemble des acteurs (au propriétaire de l’immeuble, à la mairie, à la police, à la préfecture) est évidente pour le Procureur.

C’est aussi une «  litanie de manquements  » que le parquet dénonce  : un escalier non conforme, un balisage quasiment inexistant, une mousse isolante inflammable interdite dans ce genre d’établissements, des extincteurs placés au mauvais endroit et pas révisés annuellement, pas de système de désenfumage, pas de système d’alarme. Devant de telles circonstances, pour le Parquet, «  ce drame était inévitable  ».

Face à autant de fautes, le parquet retient la circonstance aggravante de la violation manifestement délibérée à une obligation particulière de prudence ou de sécurité que les prévenus ne pouvaient ignorer et requiert 4 ans d’emprisonnement ferme, sans aménagement de peine, assortis d’une interdiction définitive d’exercice de la fonction de gérant pour chacun des prévenus.

La parole est ensuite donnée aux avocats de la défense qui qualifient les familles de victimes «  débordantes de dignité et d’humanité  ». Après avoir reconnu les fautes commises par leurs clients tout en soulignant leur bon comportement durant le procès, les conseils des prévenus insistent sur les manquements des autorités administratives, qui avaient, selon eux, des obligations en termes de sécurité publique et qui n’ont pas effectué les diligences nécessaires. Ainsi, la mairie, en vertu de son pouvoir de police, se doit de contrôler les établissements même lorsque ceux ci n’appartiennent pas à la catégorie de ceux devant être contrôlés périodiquement. En l’espèce, le Bar Cuba Libre n’avait pas été contrôlé une seule fois depuis 2003, à savoir l’année de rachat du bar par Nacer B. De même, les conseils indiquent que la police était au courant depuis 2014 de l’existence de cette salle de sous-sol transformée en dancing uniquement pour le week-end, et ce, dans le cadre d’une enquête pour travail dissimulé, qui fût ensuite classée sans suite par le Parquet de Rouen.

Enfin, les avocats des prévenus demandent la mansuétude du tribunal en réponse aux 4 ans d’emprisonnement fermes requis par le Procureur, rappelant la nécessité de juger en droit, de ne pas être influencé par l’émotion que peut générer ce genre de procès. Les conseils réaffirment le principe de la personnalisation des peines en considérant qu’une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis serait plus adaptée dans le cadre d’une infraction non intentionnelle.

Le procès s’achève sur les mots des prévenus dont ceux de Nacer B. qui déclare «  «  j’ai essayé d’apporter toutes les réponses pour vous permettre de me juger. Je pense tout le temps aux victimes, et j’y penserai toute ma vie  ».

La décision sera rendue le 22 octobre 2019.

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