La folie des cellules psychologiques

Le soutien moral aux victimes et aux témoins de faits divers se banalise. Certains dénoncent la multiplication et l’inefficacité de ces interventions menées par le Samu et la préfecture.

« Une cellule psychologique a été mise en place. » Ce tic de langage journalistique conclut de plus en plus de reportages, du drame au simple fait divers : inondations, attentats, catastrophes aériennes, accidents de la route… Dernier exemple en date la semaine passée, avec l’intervention de psychologues auprès des lycéens de l’établissement bordelais où un jeune homme a tenté de s’immoler. Créées en 1995 après les attentats du RER B, les cellules d’urgence médico-psychologique (Cump) effectuent plus de 250 interventions chaque année sur demande du Samu de chaque département. Comment travaillent ces professionnels de la détresse ? Peut-on mesurer l’efficacité de ces thérapies collectives d’un nouveau genre ? Réponse avec Christian Navarre, psychiatre, auteur de Psy des catastrophes, 10 années auprès des victimes (éd. Imago).?

Qui décide de la mise en place d’une cellule psychologique ?

La décision est prise à la suite d’une concertation entre le Samu et la préfecture, dans le cadre d’une catastrophe collective. L’intervention du Cump dépend notamment du nombre de victimes. La cellule se compose généralement de trois spécialistes des situations d’urgence (un psychiatre hospitalier, un psychologue et un infirmier). Elle est dépêchée en renfort sur les lieux du drame ou dans une salle réquisitionnée pour l’occasion, afin de soigner les blessés psychiques.

En quoi consiste son intervention ?

Les médecins commencent par évaluer l’état psychologique des victimes, afin de repérer celles qui doivent être hospitalisées. Ensuite, les discussions se déroulent en groupe, pendant 1 h 30 environ. « On aide les gens à verbaliser leurs émotions, à exprimer leur détresse avec des mots, à se déculpabiliser par rapport aux événements, raconte Christian Navarre. Nous essayons de prévenir l’état de stress post-traumatique qui peut durer des années et devenir un véritable handicap social. Nous prévenons les victimes qu’elles risquent de faire des cauchemars et d’avoir des flash-back dans les semaines à venir. On leur explique que c’est normal, mais qu’elles doivent consulter leur médecin traitant si ces troubles persistent. »

Pourquoi ce dispositif est-il nécessaire ?

Désorientés ou en état de stupeur, les témoins ou les proches de victimes d’une catastrophe ont souvent besoin de parler. « Nos sociétés occidentales n’ont pas l’habitude d’être confrontées à la mort, encore moins si elle est brutale. Nous avons tous une illusion d’immortalité et c’est extrêmement violent de prendre soudain conscience que nous sommes mortels. La présence de médecins en blouse blanche est rassurante. On rappelle aux victimes que la vie est pleine de risques et qu’il faut l’accepter même si c’est triste », indique Christian Navarre.

Quelle est son efficacité ?

Selon notre spécialiste, « l’efficacité des cellules psychologiques est très difficile à évaluer de façon scientifique ». Il souligne néanmoins que les victimes « ont l’air d’aller mieux à l’issue de la réunion ». « Nous recevons de nombreux témoignages de remerciements plusieurs semaines après le drame. Les premières heures sont très importantes pour la prise en charge du traumatisme », ajoute le psychiatre.

La mise en place de cellules psychologiques est-elle trop fréquente ?

Pour Christian Navarre, le dispositif est justifié dans 80 % des cas. « On nous reproche parfois de “survictimiser”, mais c’est parfois encore plus difficile d’être blessé psychologiquement que physiquement : personne ne perçoit votre souffrance car on ne voit pas ce qui se passe à l’intérieur de votre tête. Avant 1995, les victimes étaient complètement seules. Aujourd’hui, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse en mettant un psy derrière chaque fait divers. Mais entre les deux, on doit pouvoir trouver un équilibre », espère le médecin.


Témoignages - « J’aurais préféré avoir des infos ce jour-là »

Corinne, qui a perdu sa fille dans le vol AF447 Rio-Paris en juin 2009, et Sylvain, camarade de Cécile qui a perdu la vie dans un attentat au Caire en février 2009, n’ont pas été vraiment aidés par les cellules psychologiques.

En ce terrible jour du 1er juin 2009, Corinne, 55 ans, est à son domicile à Châtillon (93) lorsqu’elle apprend la nouvelle. L’avion AF447 reliant Rio à Paris s’est écrasé. A son bord, sa fille Caroline, 24 ans, qui venait de réussir le concours de professeur des écoles, et le mari de sa fille, steward à Air France. « Mon mari était à l’étranger ce jour-là. Il a fallu que j’appelle des amis pour m’accompagner à Roissy car je n’étais plus dans mon état normal. Sur place, nous avons été bien accueillis. Il y avait une équipe de médecins et d’infirmières ; toutefois, ils ne m’ont pas été d’une grande aide. Ils nous ont parlé. J’étais tellement atterrée que je n’étais pas attentive à ce qu’ils me disaient. Je voulais plutôt comprendre ce qui s’était passé et connaître les raisons de cet accident. Ma priorité n’était pas de savoir comment j’allais gérer mon traumatisme à ce moment-là. Je voulais des réponses et ce n’était pas ces personnes-là que j’attendais dans un premier temps. » Dans les mois qui ont suivi, Corinne et ses proches ont eu la possibilité d’avoir une aide psychologique. « Mon mari et moi n’en avons pas voulu, mais ma mère, qui était plus fragile, a pu consulter un médecin. »

« Mes amis m’ont plus aidé »

Sylvain, 19 ans, a lui aussi affronté une tragédie en février 2009, lorsqu’un attentat au Caire a blessé 25 personnes, dont une dizaine d’adolescents originaires de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) partis en colonie de vacances. Cécile, 17 ans, camarade de classe de Sylvain, n’a pas survécu à l’explosion. « C’était la panique entre nous. On était effondrés pour Cécile, et on était sans nouvelles d’un autre copain hospitalisé au Caire. On ne parlait que de ça entre nous, ça devenait obsessionnel et presque malsain. C’était les vacances scolaires à ce moment-là mais le proviseur avait quand même mis à notre disposition des psychologues dans une salle de classe. Je sais que certains ont apprécié. Moi, je ne les ai vus qu’une fois et je leur ai à peine parlé. J’avais l’impression qu’ils ne pouvaient pas comprendre ce qui se passait. J’ai surtout parlé avec mes copains et mes parents, et c’est ça qui m’a aidé. »

France Soir - Marie-Laure Hardy et Alexandra Gonzales - 23/11/10


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