Terrorisme : Un suivi judiciaire pour les condamnés pour terrorisme même après leur peine ? Une proposition de loi inquiète

La commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté ce mercredi une proposition de loi controversée sur le suivi des personnes condamnées pour terrorisme

La proposition de loi, déposée en mars par la députée LREM et présidente de la commission des Lois Yaël Braun-Pivet, vise à instaurer de nouvelles mesures dites « de sûreté » pour suivre les personnes condamnées pour terrorisme après leur peine de prison.
Adopté ce mercredi par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, ce texte sera débattu lundi 22 juin dans l’hémicycle.
Plusieurs acteurs de la chaîne judiciaire dénoncent un « dévoiement dangereux  » de la justice pénale.

Une « fuite en avant sécuritaire » ou un « outil supplémentaire » pour lutter contre le terrorisme ? La proposition de loi adoptée mercredi par la commission des lois de l’Assemblée nationale risque de faire débat. Porté par la députée LREM Yaël Braun-Pivet, le texte vise à créer de nouvelles « mesures de sûreté  » pour les personnes condamnées pour terrorisme qui continueraient de présenter un « danger » pour la société et ce même une fois leur peine purgée.

Selon les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, près de 150 détenus condamnés pour terrorisme devraient sortir de prison entre 2020 et 2022. Et ces fins de peine cristallisent aujourd’hui les craintes de nombreux acteurs de la chaîne judiciaire. Déjà susceptibles d’être visés par des mesures de surveillance administrative, ces détenus pourraient donc bientôt faire l’objet de mesures judiciaires supplémentaires. Que prévoient-elles ? Et quelles sont les inquiétudes suscitées par ce dispositif ? 20 Minutes ​fait le point.

Pourquoi la majorité propose ce texte ?

Comme chaque année depuis trois ans, députés et sénateurs ont été chargés d’évaluer la loi antiterroriste dite « Silt » votée en 2017 pour prendre le relais de l’état d’urgence. A cette occasion en février dernier, la droite sénatoriale, par la voix de Philippe Bas et Marc Philippe Daubresse, a déposé une proposition de loi quasi-identique à celle déposée quelques semaines plus tard à l’Assemblée par la députée LREM Yaël Braun-Pivet.

Contactée par 20 Minutes, l’élue explique : « Lors de nos travaux, nous avons mené des auditions qui nous ont permis de constater qu’il existait un trou dans la raquette en matière de suivi des sortants de prison condamnés pour terrorisme. Tous les acteurs nous ont dit qu’il fallait renforcer les dispositifs judiciaires existants pour éviter la récidive. Avec cette proposition de loi, on essaie de combler ce vide. »

Pour autant les chiffres sur la récidive des personnes condamnées pour terrorisme manquent, reconnaît la députée LREM : « On ne dispose pas encore de données parce que le phénomène est encore trop récent et on fait face à des personnes qui commencent tout juste à sortir de prison ».

Une enquête réalisée par un chercheur de l’Institut des relations internationales Egmont, à Bruxelles et publiée en avril dernierdémontrait toutefois une « surestimation » du risque de récidive pour les terroristes djihadistes.

Un élément balayé par Yaël Braun-Pivet qui justifie la nécessité de cette proposition de loi par les analyses des acteurs judiciaires en charge de la question terroriste : « Cette question de la récidive préoccupe sérieusement le Pnat (parquet national antiterroriste) et les services de renseignement  », pointe-t-elle ajoutant que certains attentats récents ont eu lieu en détention par des individus qui purgeaient leur peine.

Quelles sont les mesures envisagées ?

Concrètement, le texte prévoit la mise en place de mesures de suivi pour des personnes déjà condamnées pour terrorisme et ayant purgé leur peine. Ces mesures ne seront prises qu’après un avis rendu par une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté (CPMS).

Au terme d’une évaluation d’une durée d’au moins six semaines, cette structure devra déterminer le niveau de « dangerosité » des individus qui doivent sortir de prison. Son avis sera transmis à la juridiction régionale de la rétention de sûreté (JRRS) chargée de déterminer les mesures judiciaires de suivi. Envisagé dans la première version du texte, le placement sous bracelet électronique a finalement été abandonné après l’examen en commission.

Mais la majorité des mesures prévues par la proposition de loi ont été retenues. Ainsi, la personne condamnée pourra, à l’issue de sa peine, être interdite de paraître dans certains lieux désignés par la juridiction ou de rencontrer certaines personnes, être obligée de pointer jusqu’à trois fois par semaine dans un service de police ou de gendarmerie, ou encore être contrainte d’obtenir l’autorisation préalable de la juridiction pour tout changement d’emploi ou de résidence.

Décidées au cas par cas lors d’un débat contradictoire en présence du détenu et de son avocat, ces mesures pourront faire l’objet d’un recours, assure la présidente de la commission des lois. Ces restrictions de liberté pourront être renouvelées pendant cinq ans pour les personnes condamnées à des délits terroristes, et pendant dix ans pour les auteurs de crimes.

Autre point important, ces mesures pourront être rétroactives, souligne la rapporteure du texte. Cela signifie qu’elles pourront s’appliquer pour des personnes condamnées avant la promulgation de cette loi. « Tout l’enjeu de ce dispositif est de permettre une application immédiate. Or, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si la mesure de sûreté adoptée est trop restrictive, elle ne peut pas être rétroactive. C’est pour cette raison que nous avons tenu à instaurer un certain équilibre. Par ailleurs, le Conseil d’Etat a d’ores et déjà approuvé notre dispositif  », développe Yaël Braun-Pivet.

Quelles inquiétudes cette proposition de loi suscite-t-elle ?

Les inquiétudes à l’égard de ce texte sont nombreuses. Et les débats qui doivent débuter lundi 22 juin prochain s’annoncent houleux.

Pour l’avocat Mathieu Quinquis, responsable de la commission pénale pour le SAF (Syndicat des avocats de France), l’esprit même de cette proposition de loi est critiquable. « Ce texte entre dans un mouvement initié sous Nicolas Sarkozy avec la création de la rétention de sûreté. Avec cette nouvelle loi, on considère que la condamnation et l’exécution de cette peine ne suffisent plus à la société pour prévenir un risque de récidive. Cela va aussi contribuer à mettre au ban de la société des personnes qui ont déjà payé leur dette à la société et à qui on dit désormais : Terroriste un jour, terroriste toujours », dénonce-t-il.

D’autant que selon lui, le risque de récidive de ces détenus émane de précédentes lois votées par le Parlement. « Pour justifier ce texte, on pointe des mesures jugées insuffisantes en matière de lutte contre la récidive. Mais il serait bon que le Parlement fasse un bilan des lois adoptées ces dernières années ! Quand Mme Braun-Pivet déplore les ’sorties sèches’ de certains détenus condamnés pour terrorisme on peut s’interroger : A qui la faute ? », poursuit l’avocat.

« Cela va aussi contribuer à mettre au ban de la société des personnes qui ont déjà payé leur dette à la société »

Dans une récente interview accordée à 20 Minutes, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, pointait elle aussi le manque de suivi pour les détenus radicalisés pendant leur séjour en prison : « Une loi de 2016 ne permet pas aux détenus condamnés pour terrorisme de bénéficier de mesures d’aménagement de peine, d’une libération conditionnelle, d’un placement sous bracelet électronique, d’une réduction de peine, d’une permission de sortie (…) S’ils sortent sans y avoir été préparés, cela sera dangereux, pour eux comme pour la société  ».

Une responsabilité reconnue par la députée de la majorité et présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet : « C’est un effet pervers de la loi de 2016. » Le député Ugo Bernalicis (La France insoumise) voit en ce texte, un aveu d’échec du gouvernement : « Le gouvernement a failli à sa mission de prévention de la récidive par une gestion inadaptée en détention de ces détenus-là. Si on estime qu’ils représentent encore un problème à leur sortie, cela veut dire qu’on n’a pas fait le boulot sur la lutte contre la récidive. Et on y répond avec une fuite en avant sécuritaire ».

Enfin, la majorité manque de données suffisantes sur cette question de la récidive, estime la secrétaire générale d’Unité magistrats (FO), Béatrice Brugère : « L’une des critiques que l’on peut émettre concerne les données relatives à la récidive de ces détenus. De quoi parle-t-on ? Est-ce qu’il s’agit d’un phénomène résiduel ? Si c’est le cas, on peut légitimement s’interroger sur la valeur ajoutée de cette proposition de loi.  »

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