Collision au passage à niveau de Saint Médard : ouverture du procès en appel, la SNCF conteste sa responsabilité dans ce drame

Ce lundi 23 septembre 2019 s’ouvre le procès en appel du drame de Saint-Médard. 9 ans après la collision du TER Rennes/Saint-Malo avec un poids lourd sur le passage à niveau n°11, la justice doit une nouvelle fois se pencher sur l’étendue de la responsabilité de SNCF et RFF (aujourd’hui SNCF Mobilités et SNCF Réseau).

À l’origine de l’accident, au triste bilan de 3 décès et près de 50 blessés, le tribunal correctionnel de Rennes relevait par jugement en date du 2 juillet 2018 tant les négligences commises par le chauffeur du convoi exceptionnel que les lacunes du transporteur ferroviaire dans la prise en compte des risques de ce croisement. Les multiples incidents antérieurs sur le PN11 (40 blessés en 2007 dans des circonstances similaires) et les rapports du BEA-TT établis à leur suite auraient dû inciter la société à mettre en œuvre de nombreuses mesures de sécurité adaptées à la dangerosité du passage. Alors que le conducteur était condamné à 36 mois de prison avec sursis, SNCF et RFF se voyaient infliger chacun une amende de 300 000 euros.

La SNCF a cependant immédiatement interjeté appel de ce jugement. Elle conteste sa responsabilité dans cet accident, arguant du fait que ses installations respectaient la réglementation en vigueur. La société reporte la faute sur le conducteur du poids lourd, révélant les carences de la loi s’agissant de la sécurité des passages à niveau.

Pourtant, quelques secondes supplémentaires entre l’abaissement des barrières et l’arrivée du train auraient certainement permis d’éviter le drame sur ce croisement dangereux, à visibilité réduite, où les trains peuvent arriver jusqu’à 140 km/h, ce qu’avaient déjà mis en exergue les précédents accidents. Indifférente à l’égard des avertissements qui lui avaient été formulés pour prévenir un nouvel accident, la SNCF semble l’être tout autant à l’égard des victimes soulagées par la décision en première instance. Ce second procès les replonge dans un long périple judiciaire, source d’incertitudes.

La stratégie de défense de la SNCF suscite amertume et incompréhension, d’autant qu’il semble qu’aucun élément nouveau ne soit rapporté aujourd’hui. L’association Solidarité Saint-Médard a fait part de ses regrets quant à ce choix procédural.

Les associations de victimes de catastrophes ferroviaires fédérées au sein de la FENVAC attendent une confirmation de la décision de première instance qui constituait une véritable avancée dans la sécurisation des passages à niveaux et du rail de manière générale, devoir de la SNCF.

Jour 1 : 8 ans de procédure, un nouveau procès et des plaies encore ouvertes.

Devant la Cour d’appel de Rennes, s’ouvre aujourd’hui le procès concernant la collision entre un TER et un camion au passage à niveau de Saint-Médard le 12 octobre 2011.

Le Président, sa conseillère et son conseiller ouvrent l’audience. A la lecture du rapport des faits, des mains se serrent dans la salle. Chaque élément de l’accident est évoqué, trop vite pour certains considérant leur importance dans la détermination des responsabilités, trop longuement pour d’autres au regard des souvenirs que cela fait remonter. Les victimes sont venues nombreuses, espérant la confirmation du jugement de première instance, voire peut-être des réponses de la part de la SCNF.

Le conducteur du poids lourd est d’abord auditionné par la Cour. Mission humanitaire en Afrique, auto-entrepreneur, moniteur de kayak, celui qui « s’est toujours considéré comme une victime », selon un dernier rapport de suivi versé au dossier en cours d’audience, a su faire preuve de réinsertion sociale et professionnelle.

Viennent le tour des représentants de SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Ou plutôt de SNCF et RFF (Réseau Ferré de France) à l’époque des faits, comme ils ne manquent pas de le préciser plusieurs fois. C’est qu’il s’agit de ne pas faire de mauvaise presse, ce sont de toutes autres personnes qui se présentent aujourd’hui. Effet de manche peu utile dès lors que la Cour n’oublie pas de mentionner leur casier judiciaire, notamment les homicides involontaires dont a déjà été déclarée coupable la SNCF par le passé.

L’après-midi s’ouvre avec les témoignages de trois officiers de police judiciaire. La topographie particulière du passage à niveau est relevée par l’un d’entre eux : une route sinueuse, traversée par une voie ferrée sur un dévers, alors que la voie se rétrécie sur le croisement. Le terme d’accidentogène ne laisse pas indifférent : outre les erreurs commises par le chauffeur routier, l’enjeu central de cet appel concerne les responsabilités pénales de SNCF et RFF, retenues en première instance. Or les antécédents de ce passage suggèrent que, bien qu’averties, ces entités sont restées inertes dans la sécurisation du passage. Un autre enquêteur conclut : il est déconcertant de constater que le sombre bilan de l’accident d’avril 2011 a eu pour conséquence la réalisation rapide de travaux, contrairement aux accidents antérieurs.

C’est de cette absence d’action dont il commence ensuite à être question. Si le département n’est pas mis en cause dans l’accident, il n’en demeure pas moins que son représentant, appelé à témoigner, se décharge partiellement sur RFF. S’agissant des recommandations de travaux émises par le BEA-TT à la suite d’un accident de 2007 sur ce passage, il estime que « ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire seul ». A l’avocat de la défense de lui demander "Pourquoi vous renvoyez la balle à quelqu’un d’autre ?". C’est oublier que ce n’est pas d’une balle qu’il s’agit, mais de vies bien réelles, troublées, blessées, voire ôtées.

La journée se clôt par le témoignage de cet ancien membre du CHSCT de SNCF. Ancien conducteur, il a formulé des propositions à la suite de l’accident de Saint-Médard pour éviter de futurs drames. Aucune n’a été retenue. Les victimes sont encore plus amères lorsque l’Avocat général se donne pour mission de décrédibiliser ces mesures sur le plan de leur viabilité pratique et économique. C’est l’incompréhension dans la salle.

Oscar Wilde n’avait peut-être pas tort : les gens connaissent le prix de tout, mais ils ne savent la valeur de rien.

Jour 2 : "On améliore à chaque fois qu’il y a des morts"

La veille, le Président demandait au conducteur du TER s’il avait le sentiment d’être assez protégé. « Pour être protégé, il faudrait supprimer tous les passages à niveau » lui répondait-il.

La suppression du PN 11 est désormais actée, même si elle ne sera vraisemblablement effective qu’en 2020. Mais, ce second jour d’audience, se pose la question de savoir pourquoi il a fallu autant de morts et de blessés pour que cette disparition soit véritablement envisagée.

En début de matinée, sont appelés 2 experts judiciaires qui ont étudié les circonstances de l’accident. Les parties civiles saluent leurs interventions, plus précises et moins contradictoires qu’elles ne l’étaient en première instance. La reconstitution en 3 dimensions qu’ils ont effectuée de l’accident est présentée à la Cour, ce qui n’appellera que de légères interrogations quant à la précision de celle-ci et aux choix retenus par les experts dans les différents scénarios qu’ils ont sélectionnés.

SNCF Réseau a également tenu à présenter sa reconstitution. Pour les représentations 3D, il y a du temps et de l’argent ; pour les travaux de sécurisation d’un passage à niveau, c’est une toute autre histoire .... D’autant que la représentation s’avère d’une fidélité discutable. Selon celle-ci, et à mettre de côté le fait que le poids lourd a désormais la taille d’une péniche, l’ensemble routier veille scrupuleusement à rester sur sa voie (alors que les experts s’accordent à dire que le poids lourd devait franchir la ligne continue centrale pour pouvoir traverser le passage à niveau), et s’immobilise près de 14 secondes au milieu du passage à niveau, sans qu’aucune manœuvre ne soit tentée.

Pour l’Avocat Général, l’affaire ne semble pas prêter à discussion : tout est de la faute du chauffeur routier, quitte pour le représentant de l’intérêt général, à affirmer que même si M. Chauvet pouvait légalement conduire son véhicule sur cette voie, c’était quand même « limite limite ».

L’audition du directeur de la Direction sécurité, sûreté et risque de SNCF réseau, marque le début des débats de l’après-midi. Cité comme témoin, celui-ci n’en a pas moins consulté les notes d’audience de première instance, ce qu’il déclarera sans aucun mal à la Cour. De là à douter de son objectivité, il n’y a qu’un pas... Interrogé sur l’absence du PN11 sur la liste des passages à niveau préoccupants, il précise que désormais, on ne parle plus de passage à niveau préoccupant, mais de « passage à niveau inscrit au programme de sécurisation. Car sinon, [préoccupant] cela veut dire qu’ils sont dangereux ». Espérons qu’à défaut de travaux, ce changement de dénomination soit de nature à effectivement diminuer la dangerosité de ces passages.

S’ensuit l’audition des prévenus, à commencer par le chauffeur routier. Comme en première instance, il reconnaît ses erreurs, même s’il ne s’explique toujours pas comment il a pu ni ne voir les signaux lumineux, ni n’entendre les alertes sonores.

Les représentants de SNCF Mobilités et SNCF Réseau sont ensuite appelés. Les débats se cristallisent sur ce qu’ils auraient pu ou du faire après les accidents antérieurs : augmentation du délai d’annonce, éloignement du shuntage (dispositif permettant la détection de l’arrivée d’un train et déclenchant le passage à niveau), réduction de la vitesse, etc. Autant de mesures qui, et les experts l’ont bien explicité, auraient laissé 5 secondes de plus avant l’arrivée du TER, soit le temps maximum qu’il fallait encore au chauffeur pour se dégager du croisement. Or rien n’a été fait jusqu’à ce que l’accident se produise, et l’avocat d’une partie civile le souligne amèrement « On améliore à chaque fois qu’il y a des morts ». C’est sans compter le fait, selon ces représentants, qu’un TER n’a pas vocation à se transformer en tramway ; la SNCF a un intérêt social supérieur, elle offre des services aux voyageurs. Pourtant, les voyageurs présents dans la salle d’audience auraient semble-t-il fait la concession d’un léger retard.

Crédit photo : Ouest-France

Jour 3 : Au possible, nous sommes tenus.

Cet avant-dernier jour d’audience commence par l’audition des parties civiles souhaitant témoigner. C’est en tout, près d’une quinzaine de personnes qui se relaient au pupitre. Victimes présentes dans le train, compagnes ou compagnons, mères ou filles, toutes ressentent le besoin de s’exprimer. Certaines parleront même de thérapie hors de la salle, et à cet égard la Cour fait preuve d’écoute, d’attention, et laisse chacun s’exprimer comme il le désire.

C’est d’abord l’incompréhension qui domine ces récits. La collision de 2011 a eu lieu au même horaire que celle de 2007. Par conséquent, des victimes ont vécu les 2 accidents. Comment leur expliquer que rien n’a été fait en 4 ans, qu’aucune mesure préventive n’a été prise, voire même pensée, afin d’éviter qu’un drame plus important ne se produise ? L’idée se répète : « Ils ne parlent que de chiffres, l’humain ils ne savent pas ce que c’est », « les victimes ne sont pas des statistiques », ou encore « je n’accepte pas que des personnes aient joué avec ma vie, pourquoi dois-je purger une peine pour une faute que je n’ai pas commise ? ». Si aucune colère n’est formulée à l‘égard du chauffeur du poids lourd, qui a toujours reconnu sa responsabilité, tel n’est pas le cas s’agissant de la SNCF, Réseau ou Mobilités, qui par son appel a rouvert des plaies à peine pansées.

Les témoignages sont pluriels, et pourtant le nombre de victimes de l’accident reste bien inférieur à celui des personnes présentes dans la salle. Les témoignages l’expliquent : « les assureurs ont appelé le lendemain matin » dit une mère dont le fils était alors à l’hôpital. Ce n’est pas la seule qui relève leur insistance, proche de l’acharnement. Aviva, assureur du chauffeur routier, a ainsi cherché à conclure le plus d’accords transactionnels possibles dès les premières heures du drame, proposant des indemnisations dérisoires, et profitant de l’état de faiblesse des victimes. Cela ne sera jamais assez répété : de tels accords ne doivent être conclus que de façon réfléchie, à tête reposée, en disposant si possible de l’avis d’un expert en la matière.

La matinée s’achève par l’audition du Président de l’Association Solidarité Saint-Médard PN11, également membre du conseil d’administration de la Fenvac. Il explique comment la SNCF est restée sourde après l’accident à toute proposition qui lui a été remontée, jusqu’à ce que, pour régler le problème de la dangerosité du passage, le département ne décide d’agir seul en construisant un viaduc. Il cite un dicton breton : « il y a les disous et les faisous ! ». Le ton monte lorsqu’il dénonce les réquisitions du procureur en première instance, puis l’attitude dont a fait preuve l’Avocat général jusqu’à présent en affichant une position proche de celle des avocats de la défense (encore que cette interprétation de la salle ne pourra être confirmée que demain lors de ses réquisitions). La magistrature debout s’offusque qu’on lui fasse la leçon sur son rôle, ce à quoi Maître Chemla, avocat de Solidarité Saint-Médard et de la Fenvac, répond que lui ne se gênera pas de le faire.

Les émotions s’apaisent quelque peu l’après-midi. Encore que celle-ci est inaugurée par la plaidoirie de l’avocat de SNCF Réseau ET Mobilités, en tant que parties civiles. Car si ces deux entités se renvoient parfois la responsabilité, toujours est-il que du côté des parties civiles, c’est un avocat unique qui les représente. Elles se considèrent comme victimes, concédant toutefois qu’une rame peut être réparée, au contraire d’une vie.

Les plaidoiries des avocats des parties civiles se poursuivent. Faute pénale, lien de causalité, et préjudices subis sont minutieusement décrits devant la Cour. Plusieurs fois, le spectre de l’accident d’Allinges, du 2 juin 2008, où sept collégiens avaient trouvé la mort, resurgit avec une amère interrogation. En 2013, SNCF et RFF, dont la culpabilité avait été reconnue pour cet accident aux circonstances similaires, avaient choisi de ne pas faire appel pour favoriser l’apaisement des victimes. Les victimes de Saint-Médard n’y ont pas droit. Heureusement, il n’y avait pas d’enfants à Saint-Médard, c’était un mercredi ; mais des enfants y ont quand même perdu leurs parents.

Jour 4 : SNCF, responsable mais non coupable ?

L’Avocat Général énonce ses réquisitions. En préambule, il souhaite adresser quelques mots aux victimes, mesurant leur difficulté à évoquer à nouveau le drame de Saint-Médard. La situation ne lui est d’ailleurs pas inconnue, il occupait déjà son siège lorsque la Cour a eu à étudier l’effondrement de la passerelle du Queen Mary II à Saint-Nazaire. Pour autant, il prévient rapidement : ses réquisitions ne conviendront pas aux victimes.

Si selon lui la responsabilité de la SNCF, Réseau ou Mobilités, ne fait aucun doute, tel n’est pas le cas de sa culpabilité. La loi pénale, d’interprétation stricte, nécessite d’identifier l’organe de la personne morale responsable, et une faute qui, par un lien de causalité, a occasionné un ou des préjudices. Les préjudices, physiques, moraux, ont bien été décrits la veille. Les autres éléments ne sont toutefois pas, à ses yeux, suffisamment caractérisés pour démontrer la culpabilité de la SNCF. Il compare la situation à un carrefour routier : si un véhicule s’engage alors que le feu est rouge, et cause un accident, le responsable de la voirie routière n’est pas mis en cause.

Pourtant, l’Avocat Général ne conclut pas véritablement ses réquisitions, preuve peut-être d’un certain malaise, voire d’un doute. Son verbatim est sous-entendu, il n’exprime qu’implicitement la relaxe de la SNCF. S’agissant du chauffeur routier, comme la procureur en première instance, il demande à ce qu’il soit déclaré coupable d’un manquement délibéré à une obligation de prudence, là où le Tribunal n’avait reconnu qu’un simple manquement, sans la circonstance aggravante de délibéré.

En seconde partie de journée commencent les plaidoiries des parties intervenantes. Peu de surprises de ce point de vue-là. AVIVA cherche à engager la responsabilité de la SNCF pour réduire son indemnisation, et salue le jugement du Tribunal correctionnel qui avait refusé d’indemniser des préjudices spécifiques et autonomes aux victimes, notamment l’angoisse de mort imminente. Très modestement, ses conclusions suggèrent l’efficacité du système indemnitaire de la compagnie : sur 120 dossiers, seuls 16 sont encore en contentieux aujourd’hui. C’est oublier que la veille, des victimes témoignaient de la réception de chèques avec la mention « bon pour accord » dès les premières semaines après l’accident.

SNCF Réseau puis Mobilités présentent ensuite leurs derniers éléments, déjà bien entendus les jours précédents : le passage à niveau était en parfait état de fonctionnement, toutes les obligations légales et règlementaires ont été respectées, etc. Comprenons que s’ils sont là aujourd’hui, c’est parce la souffrance des victimes a appelé la recherche d’un grand nombre de coupables. La salle en demeure indifférente, en quatre jours les victimes se sont habituées à ces arguments.

A la question du Président aux prévenus si ceux-ci désirent rajouter quelque chose, chacun adresse quelques mots aux familles. M. Chauvet leur demande pardon, pour tous les malheurs infligés, passés, présents, et futurs. Beaucoup iront lui serrer la main à la fin de l’audience.

Le délibéré est annoncé pour le 10 décembre 2019.

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