Plusieurs rescapés du Bataclan se sont retrouvés lundi en marge des hommages officiels, deux ans après les attentats de Paris et Saint-Denis.
« J’étais près de la console de son. Ils étaient à un mètre de moi, c’est ce qui m’a sauvée, car les balles passaient au-dessus. Quand ils ont arrêté, j’ai foncé vers la sortie de secours en me disant : De toute façon, mourir pour mourir... » « Moi j’étais près du bar. Je suis resté longtemps dans la rue avec les secours et j’ai vu des choses horribles. Mais je ne pouvais pas les laisser. » Elsa et Franck ne se connaissaient pas. Ils se sont parlé hier après-midi, sans tabou ni larmes, deux rescapés du Bataclan qui se rencontrent pour la première fois dans une salle municipale du XIe arrondissement de Paris, à l’écart des hommages officiels.
Après les commémorations publiques, l’association de victimes Life For Paris réunissait ses adhérents pour un moment privé autour de victuailles et de boissons. Dans un coin de la salle Olympe-de-Gouges, plusieurs rescapés et parents de victimes présentent leurs réalisations, livres, BD, spectacles... Franck montre à Elsa le clip de « Comme une fusée », chanson dédiée à Stéphane Albertini, tombé au Bataclan. « Nous sommes tous les deux otages / Je revois ton visage / Tes Yeux / Leur naufrage », chante Franck, alias Cap’tain Boogy, sur sa guitare bluesy. « Il était dans la rue quand je suis sorti de la salle, explique le Nordiste barbu. J’ai essayé de l’aider. Cette chanson, c’est la conversation que j’aurais aimé avoir avec lui. La prochaine sera inspirée de Mon Bataclan, la BD de Fred Dewilde, grâce à qui je me suis remis à la musique. Depuis deux ans, beaucoup de projets avancent grâce au réseau d’amitiés qui se sont créées. »
« J’appréhendais beaucoup de revenir à Paris »
Elsa revient de la commémoration devant la mairie du XIe arrondissement. « Je n’avais pas pu venir l’an dernier, j’étais au fond du trou, confie la rescapée de 40 ans, qui vit à Grenoble. J’appréhendais beaucoup de revenir à Paris. Les dernières fois, cela ne s’était pas bien passé. Mais là, ça va. Et puis on a eu l’excellente surprise de voir Eagles of Death Metal jouer deux titres à la fin de la commémoration. Je suis arrivée pleine de solennité et repartie pleine d’énergie. Et je suis contente de rencontrer les autres adhérents. Curieusement, cette journée m’a fait du bien. »
L’après-midi avance et la salle se remplit doucement de discussions et de musique. Rudy fait écouter le premier disque de son duo Nite Nite. « C’est le disque que l’on rêvait de faire avec Christophe, mais Christophe était au Bataclan, soupire-t-il. J’ai mis deux ans à le finir en gardant ses parties de basse. » « Cet album est un cadeau inestimable pour moi et mes enfants, qui pourront toujours entendre les notes de leur père, avoue Caroline, la femme de Christophe, les yeux rougis. C’est un acte de résistance contre ces gens qui veulent nous plonger dans le silence. Le silence est parfois assourdissant à la maison, mais cette musique, ils ne pourront jamais nous l’enlever. »
Seul un tiers des 750 membres de Life for Paris était là hier. « Le 13 novembre est une étape difficile que chacun vit à sa manière, explique Arthur Dénouveaux, 31 ans, le tout nouveau président de l’association. C’est dur, les quatre minutes de lecture des noms des victimes. C’est dur, la foule des gens en larmes. Mais ce petit rendez-vous amical et convivial est bénéfique pour beaucoup, surtout ceux qui sont isolés le reste de l’année. » Notre conversation s’interrompt. Deux femmes, l’une en fauteuil roulant, l’autre marchant sur des jambes artificielles, serrent Arthur dans leurs bras avant de partir. « Nous sommes des survivantes de l’attentat du marathon de Boston, expliquent Celeste et Michelle. Nos associations sont amies et nous sommes venues leur apporter notre soutien. A Paris comme à Boston, ils ne gagneront pas. L’amour est plus fort que la haine. »
Date : 14/11/17
Auteur : Éric Bureau
Source : Le Parisien