9 ans après le crash du vol air algérie en 2014, les familles attendent toujours le procès de Swiftair

Au terme de plusieurs années de procédure, les juges d’instruction parisiens ont renvoyé la compagnie espagnole qui réalisait le vol AH5017 qui s’est écrasé en juillet 2014 au Mali avec à son bord 116 passagers dont 54 Français. Mais le procès prévu au mois d’octobre est reporté en raison d’une question qui va être soumise à la justice européenne.

Depuis le 25 avril dernier et l’annonce officielle des dates auxquelles devait se tenir le procès à Paris de la compagnie aérienne espagnole Swiftair après le crash d’un vol Ouagadougou-Alger le 24 juillet 2014, les familles des 116 victimes, dont 54 Français, s’étaient organisées pour assister aux débats dans l’espoir d’obtenir une vérité. Une perspective qui s’éloigne encore pour ces proches alors que le procès a été reporté sine die le 8 juin dernier.

Il y a 9 ans, le vol AH 5017 d’Air Algérie s’est écrasé en plein Sahel, dans le nord du Mali. Dans l’accident de cet avion qui effectuait un vol Ouagadougou-Alger sont morts 110 passagers - dont 54 Français, 23 Burkinabés, des Libanais, des Algériens - et six membres d’équipage, tous espagnols. La compagnie madrilène réalisait le vol. Depuis le début de la procédure, elle conteste toute responsabilité.

"Divers manquements"

Une information judiciaire avait été ouverte en France pour déterminer les causes de l’accident. Les boites noires étaient découvertes, celle qui enregistre les conversations n’a pas pu apporter d’éléments. Celle qui enregistre les commandes a pu être exploitée, permettant de retracer l’ensemble des gestes réalisés par les pilotes et co-pilotes.

"Les données indiquent clairement qu’ils se sont aperçus du décrochage mais les pilotes ont fait l’opposé de ce qu’il fallait faire dans leur situation", résume Suzanne Aillot, présidente de l’association de victimes du crash.
En pleine nuit, alors que l’avion traversait une zone intertropicale orageuse, la non-activation du système d’antigivrage avait conduit à la formation de cristaux de glace dans des capteurs de pression, entraînant la décélération automatique des moteurs, sans réaction appropriée de l’équipage et jusqu’au décrochage fatal.

Les juges d’instruction avaient estimé que "divers manquements de la part de la compagnie" avaient joué un rôle dans l’accident, en particulier une "formation lacunaire" de l’équipage. Une interprétation les conduisant à renvoyer Swiftair, en tant que personne morale, devant une juridiction pour "homicide involontaire". La compagnie devait être jugée du 2 au 26 octobre par la 31 chambre correctionnelle.

Non bis idem

Le 8 juin dernier, lors d’une audience de mise en état devant le tribunal correctionnel de Paris, un rendez-vous prévu notamment pour que les avocats des parties communiquent leurs conclusions et pièces justificatives par écrit, les conseils de Swiftair ont demandé à la cour de transmettre des questions préjudicielles, c’est-à-dire une question sur laquelle le juge saisi ne peut se prononcer, à la Cour de justice de l’Union européenne.

En l’état, la compagnie espagnole met en avant que la justice de son pays, qui avait elle aussi lancée une enquête à la suite du crash, a rendu un non-lieu provisoire au terme de la procédure. Concrètement, cela signifie que les investigations n’avaient pas établi de fautes mais le juge se laissait le pouvoir de reprendre l’enquête sans même attendre des réquisitions du parquet.

Forte de cette décision, la société estime que son cas a déjà été jugé et invoque le principe du non bis in idem, à savoir qu’on ne peut être jugé deux fois pour les mêmes faits. Dans le même temps, la procédure pénale espagnole ne permet pas de poursuivre une personne morale, à savoir une compagnie dans ce cas, pour "homicide involontaire".

Une procédure sécurisée

La deuxième question porte sur "le fait de savoir si le non-lieu prononcé dans un État membre au bénéfice de personnes physiques fait ou non obstacle à ce qu’une personne morale soit poursuivie dans un autre État membre pour les mêmes faits", indique une source judiciaire.

"Le simple fait d’écrire dans un non-lieu provisoire qu’une expertise, réalisée par ailleurs par un expert pour lequel on pourrait soulever un conflit d’intérêts, n’établit pas de fautes permettrait de suffire à considérer qu’on a bénéficié d’un jugement, et ce alors même qu’on ne peut pas être jugé", s’étonne Me Sébastien Busy, avocat de la quasi-totalité des familles de victimes françaises.

Cette question du non bis idem a déjà été soulevée par la défense de Swiftair au cours de la procédure. Et les juges d’instruction et la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris ont fait valoir que cette question était irrecevable n’étant pas un moyen de nullité. En transmettant désormais ces questions préjudicielles à la justice européenne, le tribunal correctionnel de Paris sécurise sa procédure, préférant trancher ces questions en amont du procès.

"Une violence inouïe" pour les familles

Pour les familles, ce report est "incompréhensible". "On est assez désemparés, c’est un mélange de colère, de tristesse, d’incompréhension", explique Suzanne Aillot, qui a perdu son fils de 33 ans dans le crash.

"Swiftair cherche tous les moyens pour s’exonérer de sa responsabilité, ils sont prêts à incriminer n’importe qui, y compris leur personnel, sans même se poser de questions."

Plus que la défense avancée par la compagnie, c’est aussi le planning choisi pour transmettre ces demandes. "C’est d’une violence inouïe", résume la présidente de l’association des victimes du crash, originaires de la France entière, mais aussi d’Espagne, d’Amérique du Sud ou encore du Burkina-Faso. "Certains s’étaient déjà organisés pour venir", plaide-t-elle. À cela s’ajoute, la préparation psychologique entamée par ces proches dès l’annonce des dates du procès.

"Avec l’annonce du procès, notre chagrin nous est revenu de manière peu atténuée", poursuit Suzanne Aillot.

Une nouvelle audience devant le tribunal correctionnel de Paris doit se tenir le 4 octobre pour examiner l’avancée de la procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne. Si cette dernière répondait dans un sens favorable à Swiftair, un procès pourrait ne jamais avoir lieu.

Article écrit par Justine Chevalier publié sur :
https://www.bfmtv.com/police-justice/9-ans-apres-le-crash-du-vol-air-algerie-en-2014-les-familles-voient-le-proces-reporte_AN-202307260657.html

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