A Paris, un "circuit court" pour les délits terroristes

Pour désengorger les cabinets des juges d’instruction, le Tribunal de Paris organise des audiences pour rapidement juger les infractions mineures liées au terrorisme, sur le modèle des comparutions immédiates. Des avocats craignent que cette logique quantitative ne nuise aux droits de la défense.

L’audience a lieu chaque premier mardi du mois depuis le début de l’année. Elle a été décidée par la présidence du Tribunal de Grande Instance de Paris face au nombre de plus en plus important de dossiers terroristes dont sont chargés les juges d’instruction. Dans cette procédure rapide, le tribunal juge les infractions les moins compliquées, telles l’apologie du terrorisme, ou la consultation habituelle de sites internet djihadistes. Ou encore des dossiers d’entreprise terroriste individuelle "simples". On juge aussi des combattants français présumés morts en zone de combat irako-syrienne. Car sans preuve formelle de leur décès, la justice considère qu’ils sont toujours vivants et ils sont jugés en leur absence pour association de malfaiteurs terroriste.

Les affaires (théoriquement) simples

Lors de l’audience du mois de mai, un jeune de 19 ans était poursuivi pour avoir voulu commettre un attentat sur les Champs-Elysées, à Paris. Les faits semblent graves. Mais quand s’avance à la barre Julien C., on imagine mal le jeune homme capable d’un attentat. La présidente du tribunal elle-même reconnaît : "on n’a pas l’habitude de voir des gens comme vous". Elle va essayer tout au long de l’audience de savoir si le prévenu est dangereux ou s’il s’agit juste d’un post-adolescent mal dans sa peau et affabulateur.

Il est reproché à Julien C. de s’être procuré une machette et des couteaux afin d’égorger des passants au hasard sur les Champs-Elysées. C’est en tout cas ce que laissent penser des messages postés sur Facebook. En mars 2016, Julien C. est signalé à la police par une camarade de classe. Sur Facebook, le jeune publie une image de fusil d’assaut, puis une photo de couteaux accompagnée d’un message : "Tiens Florian, tu prends lequel ?" Dans une autre discussion, le même Florian interroge Julien C. :

- "Salut Mohammed, c’est pour quand le djihad ?
- Quand Trump et Le Pen gagneront les élections.
- Et l’attentat à la Tour Eiffel, c’est toujours ok quand tu reviens de Syrie ?"
- Je ne rigole jamais.
"

Julien n’est jamais allé en Syrie. Entendu au commissariat, il parle d’une "mauvaise blague". Sa sœur, qui insistera pour être entendue par les policiers, dira qu’elle a peur pour son frère. Elle estime qu’il n’est pas dangereux, mais influençable. "Je lui ai déjà dit de faire attention à ce qu’il postait (sur les réseaux sociaux, ndlr)". "Vous dites beaucoup de choses. On ne sait pas si c’est pour vous rendre intéressant, plaire à votre interlocuteur", dit la présidente.

Julien a été élevé selon des principes catholiques. Pourtant, il dit à certains de ses amis qu’il est musulman, à d’autres qu’il est juif. Pendant un temps, il exprime à ses parents le souhait de ne plus manger de porc. "Mais il accepte de manger du saucisson", selon sa sœur. Le profil de Julien est insaisissable. Sa dangerosité aussi. Questionné par la présidente du tribunal sur une éventuelle conversion à l’islam, il répond : "une idée qui m’était venue une fois, mais envisageable à aucun moment". Sur Facebook, il jure par Allah, parle du prophète Mohammed. Mais sa vie numérique est chaotique. La présidente fait la liste de ce qu’il affiche comme centres d’intérêt sur le réseau social : nazisme, skinheads, Pokemon Go, Hitler, Islam en France. Son livre préféré ? Mein Kampf. "Il a une grande bouche", reproche sa sœur. "Vu de l’extérieur, c’est assez confus", euphémise la présidente du tribunal.

"On se demande ce que vous avez dans la tête"

Sur Facebook, le jeune insulte abondamment les auteurs des attentats du 13 novembre à Paris. Mais en avril 2016, suite à un avertissement de son responsable de stage en entreprise, il poste : "Envie de me faire exploser en public tellement j’en ai marre". Il évoque "une même tuerie qu’au Bataclan". Encore des propos inquiétants. Pourquoi ? "Je pensais que ça attirerait les forces de l’ordre, qu’on comprenne mon appel au secours".

Julien est un jeune mal dans sa peau. Etudiant en restauration et hôtellerie, le Conseiller principal d’éducation de son établissement le qualifie de jeune "introverti, souvent seul". Une camarade parle d’un élève "bizarre". Après sa première audition, les enquêteurs vont mener une perquisition chez le jeune homme et vont trouver de nombreux couteaux, ainsi qu’un katana et une carabine à plomb.

C’est lors des auditions par les enquêteurs que Julien va tenir des propos inquiétants, sans que l’on sache s’il était conscient de ses réponses. Sur son compte Facebook, la police retrouve des conversations dans lesquelles il fait part d’un malaise. Aux policiers il explique qu’il a eu l’idée de partir en Syrie pour mourir. Il voulait mettre fin à ses jours "en emmenant avec [lui] des gens innocents". "J’avais dit ça lors de l’audition, mais à aucun moment j’en aurai été capable", dit-il devant le tribunal.

Placé en détention provisoire pendant plusieurs semaines, il est suivi par un psychologue auquel il explique ne pas aller bien depuis le collège, notamment à cause d’une image de "bon à rien". La présidente entend bien ce malaise, "mais en même temps on se demande ce que vous avez dans la tête". Car Julien, même s’il dit être incapable de tuer, dispose de nombreux couteaux à son domicile. Une fascination transmise par son grand-père. Et il a exprimé des envies meurtrières. "J’avais des idées", reconnaît le jeune homme. "Et des armes", complète la présidente, qui a l’impression que le prévenu a préparé quelque chose mais qu’il s’est arrêté.

Les experts relèvent chez Julien une "certaine immaturité" et une "tendance à l’affabulation". Mais aussi un "sentiment de haine". Il fera lui-même un parallèle entre son état d’esprit et "ce qu’a fait Breivik en Norvège". "Ce n’est pas rien !", reprend la présidente qui rappelle les 77 victimes du terroriste norvégien d’extrême-droite. Concernant la détresse évoquée par Julien, la magistrate lui rappelle que "depuis plusieurs années, on a l’habitude de voir des personnes passer à l’acte et dont l’appel au secours n’a pas été entendu".

Pour le procureur, on est en présence d’une "accumulation de rancœur sociale". "Ce dossier ce n’est pas que des paroles", poursuit-il. Pour le représentant du parquet, la culpabilité de Julien ne fait pas de doute. On est en présence d’une entreprise terroriste individuelle. Mais sa place est-elle en prison ? "Vous allez devoir prendre un risque, résume le procureur. L’incarcérer et risquer d’aggraver sa situation ou le laisser libre et risquer de le voir passer à l’acte". Il requiert une peine de quatre ans de prison, dont deux avec sursis et mise à l’épreuve. Mais il ne demande pas l’incarcération de Julien, se basant sur les rapports positifs rédigés par le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation.

Il sera finalement condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis et mise à l’épreuve. Julien n’a pas été envoyé en prison.

Lors de sa plaidoirie, l’avocat de Julien a souligné la procédure choisie pour juger son client. Me Franck Landon, du barreau de Versailles, regrette l’absence d’information judiciaire confiée à un juge d’instruction. Seule procédure qui garantit à ses yeux le contradictoire :

J’estime que ce sont des dossiers qui sont d’une certaine complexité, et qui notamment nécessitent des investigations contradictoires sur la personnalité de l’auteur présumé : des examens psychiatriques, des auditions des membres de la famille. Et cela ne peut être fait que dans le cadre d’une information judiciaire.

Il s’offusque de la mise en place de ce "circuit court terroriste" mis en place pour simplement désengorger les cabinets d’instruction.

Quand on détermine un choix procédural par rapport à des raisons économiques, cela n’a aucun sens. En réalité, ce sont des affaires complexes, avec un enjeu pénal majeur. Pour l’entreprise individuelle terroriste, l’auteur encourt dix ans de prison et le parquet n’hésite pas à requérir des peines de prison fermes à l’encontre d’auteurs présumés qui n’ont aucun antécédent judiciaire.

Les combattants présumés morts

La fin de l’audience est consacrée au jugement de combattants français partis combattre en Syrie et qui ont été déclarés morts par leurs proches. Le tribunal correctionnel juge ces personnes pour éviter les mauvaises surprises. Il est déjà arrivé par le passé que des combattants soient déclarés morts alors que ce n’était pas le cas. Alors dans le doute, le tribunal les juge pour association de malfaiteurs terroriste. En l’absence des prévenus, les dossiers sont rapidement traités. Le temps pour la présidente de lire le rapport des enquêteurs démontrant leur présence en zone irako-syrienne, et pour le procureur de requérir la peine maximale de 10 ans de prison.

Ce jour-là, le tribunal juge Aka G., un Amiénois de 30 ans, converti à l’islam à l’âge de 24 ans et parti en Syrie fin février 2013. Le 17 septembre 2015, le frère d’Aka est contacté via Skype par une personne utilisant l’identifiant de son frère. L’interlocuteur lui indique que son frère a été tué par un tireur d’élite deux jours plus tôt dans la ville d’Alep. "Je n’ai pas de raison de remettre en doute ce que dit le frère du prévenu, explique la présidente. Mais je n’en sais rien".

Elle lit la lettre envoyée par le prévenu à sa mère avant de rejoindre la Syrie :

Salut maman, j’espère que tu vas bien. Je t’écris cette lettre car je m’apprête à rejoindre la Syrie. Si tu l’as reçue, c’est que j’y suis déjà. Maman, cette religion est le rayon de soleil qui a illuminé ma vie. Je n’oublie pas les livres que tu as lus à ma place et que tu as résumés pour moi au collège. LOL.

En moins d’une minute, le procureur requiert la peine maximale de 10 ans "justifiée par mesure de sûreté". C’est finalement la peine que prononce le tribunal.

L’autre dossier est sensiblement identique. Il concerne deux frères origines de Savoie. Messaoud M. et Abdelmajid M., âgés de 25 et 27 ans. Ils sont partis combattre en Syrie, et leur famille a été informée de leur mort fin 2015 par d’autres combattants sur place. Là encore, en l’absence de preuves tangibles, ils sont déclarés coupables d’association malfaiteurs terroriste et condamnés à 10 ans de prison.

Source : franceculture.fr
Auteur : Abdelhak El Idrissi
Date : 7 juin 2017

Crédit photos : Source : franceculture.fr Auteur : Abdelhak El Idrissi Date : 7 juin 2017

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