Accident de Brétigny : les premières victimes indemnisées

Le 12 juillet 2013, le déraillement d’un train Intercités à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne, faisait sept morts et des dizaines de blessés. Un an après, alors que l’enquête se poursuit et que des experts soulignent les défauts d’entretien des voies par la SNCF, l’indemnisation des victimes commence à se concrétiser. Trente-deux victimes ont déjà accepté une offre d’indemnisation, sur les 84 à qui la SNCF a proposé une somme définitive parmi les 177 personnes qui ont déclaré un préjudice corporel ou psychologique.

Comment s’organise ce processus ? « Ceux qui ont eu une proposition d’indemnisation souffrent d’un préjudice “faible” : il s’agit en général de témoins qui ont subi un choc psychologique », avance Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). Une explication à laquelle n’adhère pas Pierre (le prénom des victimes a été modifié) : « Je connais une victime qui n’a pas de blessure physique et qui est passée en même temps que moi, alors que j’ai failli perdre un membre dans cet accident. On a l’impression que c’est la loterie. »

Le processus d’indemnisation passe par une expérience douloureuse : l’expertise. Comme toutes les victimes, Pierre a dû voir un médecin et un psychiatre experts pour faire juger son état. Il ressort de ces rendez-vous d’expertise secoué : « Cet interrogatoire est traumatisant. Côté psy, ils cherchent à amplifier les moindres aspects négatifs de votre vie avant l’accident, pour minimiser son impact. Côté physique, ils demandent de décrire la scène de l’accident avec force détails. Il faut revivre tout ça, un an après… »

« C’EST TRÈS INTRUSIF »

Pierre est loin d’être le seul à avoir mal vécu cette expertise, précise M. Gicquel. « C’est très intrusif, les victimes doivent apporter la preuve de tout. Mais l’expert, c’est son métier, doit douter de tout. L’expertise est ardue des deux côtés, car comment traduire le préjudice physique ou psychologique en somme d’argent ? », s’interroge le secrétaire général de la Fenvac.

L’Etat a nommé un haut fonctionnaire, Philippe Cèbe, pour coordonner l’ensemble du dispositif d’aide aux victimes. Les médecins experts, en accord avec le médecin-conseil de la victime, évaluent le préjudice sur une échelle de 1 à 7. Puis, ils se reportent à un référentiel : la nomenclature Dintilhac, une classification normalisée pour évaluer les préjudices corporels. Les experts transmettent ensuite leur rapport au cabinet Diot et à Axa, courtier d’assurances et assureur de la SNCF, qui chiffrent un montant. La SNCF choisit dans tous les cas la fourchette haute.

« Toute victime a le droit à une réparation intégrale de son préjudice subi ; c’est la base du droit. Mais le caractère exceptionnel de Brétigny a ajouté la notion de préjudice permanent exceptionnel. Ainsi, le préjudice est entendu de la manière la plus large possible, au profit de la victime », explique M. Cèbe.

« UNE VRAIE DÉMARCHE QUALITATIVE DE LA SNCF »

Même s’il déplore un « manque de transparence » dans ce processus, M. Gicquel reconnaît « une vraie démarche qualitative de la SNCF en faveur des victimes, qui ont des garanties que les victimes d’autres accidents n’ont pas ». Ainsi, si les victimes sont libres de refuser la proposition d’indemnisation, elles sont assurées de recevoir quoi qu’il en soit 80 % de cette somme. Et elles gardent de toute façon le droit de poursuivre leur action judiciaire contre la SNCF.

Le récent rapport des experts judiciaires qui accable la SNCF peut-il changer la donne ? « Ce rapport n’influe pas sur le montant des indemnisations, car ce processus est déconnecté d’un éventuel procès pénal, explique M. Gicquel. Mais il suscite la colère des victimes et augmente leur niveau d’exigence. Ils regardent les propositions d’indemnisation d’un œil nouveau. »

Laure, qui attend une proposition d’indemnisation, s’énerve : « On a proposé 9 400 euros à une victime. Pourquoi pas 9 452,63 euros ? Les dirigeants de la SNCF jonglent avec les millions quand ils parlent de raboter les quais ou du prix d’une grève, mais ils deviennent très soucieux du détail quand il s’agit d’assurer la maintenance ou d’indemniser les victimes. »

Emmanuelle Bour - lemonde.fr - 12 juillet 2014

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