Parmi les 228 morts du vol Rio-Paris, il n’y avait que 72 Français. Mais il existe déjà deux associations de victimes. Soumis à des pressions contradictoires, les proches des passagers sont aujourd’hui incapables de s’entendre. Quelques jours seulement après le crash, l’Association pour la vérité et pour la défense des droits des victimes du vol AF447 apparaissait sur le Net et prétendait regrouper 50 familles.
Mais elle est loin de faire l’unanimité. Les fondateurs de l’association Entraide et Solidarité, qui tiendra son assemblée générale constitutive à Paris le 12 septembre, ne se retrouvent, à l’évidence, ni dans son intitulé ni dans son mode de fonctionnement. Ils lui reprochent notam- ment « un lien ambigu » avec un avocat.
Démarchage interdit
Quelques jours après le drame, les premières familles étaient contactées par le cabinet anglais Stewart Law, épaulé par l’un de ses confrères parisiens. Ce dernier avait mis ses locaux, une secrétaire et son téléphone à la disposition de ces nouveaux clients. Ce qui lui a valu d’être sévèrement sermonné par son Ordre.
Le bâtonnier de Paris a rappelé dans un communiqué qu’un cabinet ne saurait être confondu avec une association de défense. En France, il est contraire aux règles de la profession de démarcher la clientèle. Une obligation déontologique dont se moquent ouvertement les cabinets anglo-saxons et qu’essaient aussi de contourner certains de leurs collègues français.
Saisi par une famille, un avocat a ainsi annoncé avec tambour et trompette le dépôt d’une plainte pour mise en danger de la vie d’autrui. Une information judiciaire ayant déjà été ouverte, celle-ci n’avait aucune utilité, si ce n’est d’inciter les victimes à se rapprocher de l’avocat en question, bien qu’il n’ait pas forcément de compétence en la matière.
Pactole
« La mort d’un riche propriétaire enrichit ses parents. La mort d’un ouvrier prive sa famille d’un soutien », relevait, il y a quelques années, Michel Perrier, l’un des spécialistes du droit de la réparation. Les crashs du tiers-monde suscitent rarement d’empoignade juridique. Les émissaires dépêchés par les pools d’assureurs des compagnies ne rencontrent pas grande opposition quand ils distribuent quelques milliers d’euros aux familles des victimes, en échange de leur renonciation définitive à toute action judiciaire.
Il n’en va pas de même dans les pays développés, où un mort a un tout autre prix. Un Boeing ou un Airbus rempli d’Occidentaux qui tombe peut « générer » jusqu’à plusieurs centaines de millions d’euros de dommages-intérêts. La chute du Concorde au Bourget s’est ainsi négociée à hauteur de 1 million par siège. D’où l’appétit féroce des avocats américains, qui accaparent jusqu’à 40 ou 50 % des sommes obtenues.
Objectif USA
En vertu des conventions internationales, l’indemnisation est à la charge des compagnies aériennes. Le montant des sommes allouées fluctue selon le niveau de vie du pays ou l’action judiciaire intentée, le pouvoir d’achat de la victime mais aussi des jurisprudences de chaque État. Le préjudice moral (le prix de la douleur) n’existe pas en Allemagne, le préjudice économique (la perte de revenus pour les proches parents) peut être ou non plafonné.
En principe, le lieu du procès est celui où le transporteur a son siège ou celui de la destination finale du vol. Mais certaines législations autorisent des assignations dans le pays de résidence du disparu.
Chaque crash est un cas à part qui donne lieu à diverses stratégies pour transférer le procès dans les pays où les réparations sont les plus généreuses. Au sein même des pays riches, tous les disparus ne sont pas logés à la même enseigne. L’Américain arrive toujours en tête de ce palmarès sordide. Il laisse davantage à ses proches qu’un Européen, dont la valeur macabre reste sans commune mesure avec celle d’un Africain.
Au lendemain d’une catastrophe, les avocats profitent de la moindre opportunité pour tenter de délocaliser l’affaire aux USA. Le droit américain est le seul à prévoir des dommages punitifs excessivement élevés. Après le crash de l’A330 au large du Brésil, le cabinet Stewart Law a ainsi fait miroiter aux familles la possibilité d’une telle assignation, un logiciel apparemment défaillant de l’appareil étant de fabrication américaine.
« On ne peut pas laisser croire cela aux gens. Dans 99 % des cas, les tribunaux outre-Atlantique refusent de juger ces affaires », insiste l’avocat bordelais Me Jean-Pierre Bellecave, associé du cabinet franco-espagnol Martin-Chico et Associés, le numéro un européen en matière de défense des victimes de catastrophes aériennes.
Dans le crash de Charm el-Cheikh, l’avion, le loueur de l’appareil et les moteurs étaient américains. Le cabinet Martin-Chico et Associés, qui pilote la défense de l’association des victimes, ferraille depuis cinq ans pour ouvrir une brèche dans la forteresse du « forum non conveniens », cette doctrine au nom de laquelle la justice des États-Unis se refuse à statuer sur les requêtes des ressortissants étrangers, même s’ils ont été lésés par des firmes américaines.
Si les familles des passagers de l’A330 n’obtiennent pas gain de cause aux USA, elles pourront toujours revenir en France, où elles sont assurées d’être indemnisées. Quitte à laisser quelques plumes à ce jeu du qui perd gagne. Les avocats anglo-saxons dont elles se sont entourées prélèveront 40 % des sommes accordées, alors que leurs collègues français se contentent de 10 à 20 %.
« Des comportements choquants »
« On est vraiment dans le marketing et la part de marché. À croire qu’une seule chose importe : ferrer le poisson ! » Administrateur de la Fenvac, la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs, Stéphane Gicquel ne décolère toujours pas devant les comportements dont il a été le témoin au lendemain du crash de l’A330 d’Air France entre Rio et Paris. « Quelques jours seulement après la catastrophe, trois ou quatre cabinets d’avocats anglo-saxons démarchaient déjà les familles et tentaient de profiter de leur désarroi. Avec toujours le même discours : eux seuls étaient capables de leur apporter la vérité. »
Immédiatement après un accident aérien, les proches des disparus n’ont forcément qu’une seule préoccupation : savoir ce qui s’est véritablement passé. Ils ignorent encore que les enquêtes s’éterniseront pendant des années, qu’elles seront émaillées d’expertises et de contre-expertises qui ne feront pas forcément toute la lumière sur les causes du crash. « Ils courent un marathon, pas un sprint. La première chose que nous leur disons, c’est de ne pas se presser. Ils ont le temps », assure Stéphane Gicquel.
Sous le choc et dans la confusion, certains s’empressent pourtant de signer des conventions d’honoraires avec les avocats qui les sollicitent. Ce n’est pas illégal mais pas forcément sans risque. Rompre avec un avocat anglo-saxon est extrêmement onéreux et très compliqué. C’est plus facile avec un français. « Mais certaines pratiques anglo-saxonnes commencent à déteindre, déplore Stéphane Gicquel. On a l’exemple d’un avocat marseillais qui a facturé 500 euros de l’heure TTC le travail effectué à un client qui l’avait quitté. »
Sud Ouest le 11 septembre 2009.
Auteur : Dominique Richard d.richard@sudouest.com