Assassinat de Samuel Paty : qu’est-il reproché aux six mineurs jugés à partir de lundi ?

Cinq anciens élèves du collège du Bois d’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, comparaissent devant le tribunal pour enfants de Paris pour "association de malfaiteurs" et une autre pour "dénonciation calomnieuse". Ils seront entendus à huis clos jusqu’au 8 décembre.

Son assassinat par un terroriste islamiste avait suscité un immense émoi dans tout le pays, il y a un peu plus de trois ans. Le premier procès dans le cadre de l’attentat qui a coûté la vie à Samuel Paty s’ouvre lundi 27 novembre. Six adolescents comparaissent devant le tribunal pour enfants de Paris, où ils seront entendus jusqu’au 8 décembre, à huis clos, puisqu’ils étaient mineurs au moment de la mort du professeur d’histoire-géographie.

Alors que le procès des huit suspects majeurs aura lieu fin 2024, ce premier volet concerne cinq élèves du collège du Bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), accusés d’avoir désigné Samuel Paty à son tueur, le jour de son assassinat. Ils comparaissent pour "association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées" et sont actuellement en liberté, sous contrôle judiciaire.

Une sixième mineure, la fille du prédicateur Brahim Chnina, sera quant à elle jugée pour "dénonciation calomnieuse". C’est par elle qu’a commencé l’engrenage qui a mené à la décapitation de Samuel Paty. Scolarisée en 4e au moment des faits, et alors âgée de 13 ans, elle avait accusé l’enseignant d’avoir diffusé des "caricatures obscènes" lors d’un cours le 5 octobre 2020 et demandé aux élèves musulmans de sortir de la classe, afin de ne pas les choquer. Elle prétendait avoir tenu tête à son professeur et avoir été exclue deux jours pour cette raison.

Un mensonge à l’origine du drame
En entendant cela, son père, Brahim Chnina, a publié plusieurs messages vindicatifs sur Facebook, le 7 octobre, invitant ceux qui le suivaient à "écrire un courrier au directeur de l’école pour virer ce malade [Samuel Paty]". Il a également posté le 8 octobre une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux. Le même jour, il a déposé plainte contre l’enseignant, accompagné de sa fille, pour "diffusion d’image pornographique". Il a également rencontré la principale du collège, accompagné du prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, pour exiger le renvoi de Samuel Paty.

Après le drame, les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste (Sdat) ont rapidement découvert, en interrogeant ses camarades, que la collégienne n’a jamais assisté au fameux cours, qui avait en fait eu lieu le 6 octobre. Par ailleurs, Samuel Paty n’a jamais demandé aux élèves musulmans de quitter la salle de classe : il a simplement proposé à ceux qui le souhaitaient de détourner le regard, en montrant une caricature quelques secondes seulement.

Après avoir nié les faits pendant ses deux premières auditions, l’adolescente a fini par avouer avoir menti. Exclue du collège en raison de ses bavardages, elle a inventé ce mensonge pour couvrir son exclusion, selon son audition citée dans le réquisitoire définitif du Parquet national antiterroriste (Pnat), consulté par franceinfo. L’adolescente a été mise en examen pour "dénonciation calomnieuse", après sa plainte mensongère. Son avocat, Mbeko Tabula, assure que sa cliente, désormais âgée de 16 ans, "n’aurait pu s’imaginer que les choses allaient dégénérer de cette manière", ajoutant que "la tragédie de la décapitation de Samuel Paty continue de la hanter. Elle se reconstruit et se prépare à affronter un jugement aux enjeux considérables".

Une liasse de 300 euros pour désigner Samuel Paty
Quant aux cinq autres mineurs, il faut revenir au jour de l’attaque, le 16 octobre 2020, pour comprendre les charges qui pèsent contre eux. Vers 15 heures, l’un des jeunes collégiens âgé de 14 ans au moment des faits, Sofiane*, est interpellé par le terroriste, Abdoullakh Anzorov, qui se trouve dans une rue adjacente. L’homme qui va passer à l’acte lui propose 300 euros contre l’identification de Samuel Paty à la sortie des cours. L’adolescent accepte.

Il a reconnu lors de sa deuxième audition avoir compris qu’Abdoullakh Anzorov voulait "frapper ou tuer" l’enseignant. "Je me doutais qu’il allait faire une grosse connerie, car on ne propose pas une grosse somme d’argent comme cela", a-t-il déclaré aux enquêteurs. Il a ensuite nuancé son propos lors de sa troisième audition, soutenant : "Je croyais qu’il allait se battre (...) Au fond de moi, je ne croyais pas qu’il allait le tuer". Le terroriste lui demande par ailleurs d’appeler la fille de Brahim Chnina, pour vérifier la véracité de ses accusations concernant Samuel Paty. Sur haut-parleur, la jeune fille confirme sa version.

Une fois sa mission établie, Sofiane s’empresse de retrouver ses camarades et leur montre la somme, en petites coupures, "pour se vanter", a-t-il reconnu devant les enquêteurs. Il propose à plusieurs d’entre eux, dont ses quatre co-accusés, de l’aider à faire le guet, en compagnie de l’assaillant, pour attendre la sortie de Samuel Paty, en échange d’une partie de la somme, ce qu’ils acceptent.

"Il est là-bas le prof !"
Lors de leurs gardes à vue respectives, ils soutiennent qu’Abdoullakh Anzorov, avec qui ils ont échangé, leur a dit qu’il avait l’intention de "forcer" le professeur à "s’excuser par rapport à ce qu’il a fait et l’humilier". "Il ne nous a pas dit qu’il voulait le tuer", déclare l’un d’eux. Un autre reconnaît tout de même avoir trouvé "bizarre qu’un mec paye 300 euros juste pour des excuses. Avec les copains, on s’est imaginé des trucs, qu’il allait le tuer ou le kidnapper".

Toujours selon leurs dépositions, quelques minutes avant l’attaque, l’assaillant décide de se cacher au bout d’une allée, craignant d’être contrôlé par la police municipale, qui circule à ce moment-là. Il demande à une partie du groupe de le suivre et à l’autre de faire le guet. Vers 16h45, Samuel Paty finit par sortir, seul, du collège. Le petit groupe s’élance vers lui pour le désigner au terroriste, criant : "Il est là-bas le prof !" Le tueur enjoint aux élèves de quitter les lieux et suit le professeur quelques mètres en courant, avant de l’assassiner, en pleine rue. La police intervient quelques minutes plus tard pour l’abattre.

Une partie du groupe de collégiens qui s’était dispersé a tout de même eu le temps d’apercevoir le corps ensanglanté du professeur. C’est le cas de Sofiane, qui déclare, en larmes lors de sa deuxième garde à vue, avoir vu "le tronc du corps du professeur sans tête". "Il y avait du sang partout (...) Je ne me sens pas bien, j’ai honte", dit-il alors face aux policiers.

Le procès, "une épée de Damoclès" pour les jeunes accusés
"Il n’y a aucune indifférence de sa part à ce qu’il s’est passé, au contraire", souligne son avocat, Pierre-Alexandre Kopp, qui ne souhaite pas s’épancher avant l’audience. Dylan Slama, avocat d’un autre jeune accusé, observe beaucoup d’"appréhension et d’angoisse" chez son client. "Mais c’est aussi pour lui une forme de soulagement de voir cette échéance arriver, qu’il a depuis longtemps dans sa tête, comme une épée de Damoclès", précise-t-il.

"Il va falloir remettre les choses dans leur contexte et espérer qu’on comprenne qu’un enfant de 15 ans n’avait pas beaucoup de recul. C’est un drame que personne n’avait vu venir."

Dylan Slama, avocat d’un des accusés mineurs
à franceinfo
Tout l’enjeu pour la défense consiste à prouver que les collégiens n’avaient pas mesuré ce qui allait se produire. Le juge des enfants devra déterminer la capacité de discernement de chacun des protagonistes et leur degré d’implication. Poursuivre des mineurs dans un dossier terroriste "n’est pas une chose inédite, mais interroge", avait lui-même souligné, en octobre 2020, le procureur antiterroriste, Jean-François Ricard, en charge de l’affaire. Ils risquent tous jusqu’à deux ans et demi de prison.

*Le prénom a été modifié

Cet article est rédigé par Juliette Campion pour Franceinfo.

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