Une bombe, à proximité de la synagogue dans cette rue du 16e arrondissement de Paris, avait fait quatre morts et des dizaines de blessés le 3 octobre 1980. L’unique accusé, qui ne s’est pas présenté à l’audience ouverte depuis lundi 3 avril, est jugé par défaut. La cour d’assises spéciale a entendu ce jeudi 13 avril des parties civiles qui ont témoigné de la violence de l’explosion et des conséquences de l’attentat dans leur vie.
« Avec cet attentat terroriste, notre vie a changé à jamais ». Le fils aîné d’Aliza Shagrir, « réalisatrice » israélienne tuée par l’explosion de la bombe déposée devant la synagogue de la rue Copernic le 3 octobre 1980, était le premier des parties civiles à témoigner ce jeudi 13 avril devant la Cour d’assises spéciale de Paris. Cette dernière juge depuis le 3 avril Hassan Diab, absent à l’audience, soupçonné d’avoir déposé les explosifs qui ont fait quatre morts et 46 blessés.
L’universitaire libano-canadien de 69 ans est accusé « d’assassinats, tentatives d’assassinats et destructions aggravées, en lien avec une entreprise terroriste ». Ce qu’il a toujours contesté. Extradé vers la France fin 2014, ce professeur de sociologie était reparti vivre au Canada après avoir obtenu un non-lieu début 2018. Une décision toutefois annulée en 2021 par la Cour d’appel. L’attentat, jamais revendiqué, est attribué au Front populaire de libération de la Palestine-Opérations spéciales, groupe dissident du FPLP. Les renseignements ont désigné, en 1999, Hassan Diab comme celui qui a confectionné et placé la bombe sur une moto.
« Ma mère allait acheter des figues fraîches »
Cette « attaque a dévasté notre petite famille et même nos amis, a souligné Oron Shagrir, venu de Jérusalem. Il rappelle que sa mère « allait acheter des figues fraîches » avant de « rejoindre des amis quand elle a été tuée […]. Mes grands-parents n’ont jamais pu surmonter cet assassinat […] Quant à mon père, il n’a jamais refait sa vie, mais l’a dédiée à la mémoire de ma mère jusqu’à sa mort en 2015. » Il parle aussi d’un « vrai traumatisme » pour son frère cadet, qui « était venu à Paris avec sa mère durant les vacances ». Lui-même explique qu’il « n’arrivait pas à assimiler l’idée » que sa mère « si intelligente et pleine de vie soit tuée dans une attaque contre une synagogue dans un pays étranger ».
« Je me suis dit qu’il pleuvait dans la synagogue »
Ce 3 octobre 1980, l’office avait débuté à 18 h, rappelle à la barre de la cour d’assises le rabbin Michael Williams, âgé de 78 ans. « Il y avait beaucoup de monde. On célébrait cinq bar-mitsvah et bat-mitsvah, rappelle le rabbin. La bombe a explosé à 18 h 35. À ce moment-là, je me suis dit qu’il pleuvait dans la synagogue : la verrière venait d’éclater et nous recevions des petits morceaux de verre. On a entendu l’explosion une microseconde après », poursuit-il.
Pouvez-vous décrire ce que vous avez ressenti ? demande le président. « Notre réaction a d’abord été de continuer. Quelques secondes plus tard, on a vu qu’il y avait des blessés […]. On s’est rendu compte que ce n’était pas possible. On était stupéfaits. Il y avait beaucoup de confusion », poursuit le rabbin qui évoque les victimes, dont Philippe Bouissou, jeune motard de 22 ans, qui se rendait chez sa petite amie. « Pendant vingt ou vingt-cinq ans », ses parents « décédés aujourd’hui » venaient chaque 3 octobre « à la tombée de la nuit pour se recueillir devant la synagogue. On mettait des fleurs blanches aux fenêtres », raconte-t-il.
Avant lui à la barre de la cour d’assises spéciale, la fille du chauffeur Jean-Michel Barbé, 41 ans, avait aussi dit sa « vie à jamais fragilisée » depuis qu’il « n’est plus jamais rentré ». La quatrième personne décédée, Hilario Lopez Fernandes, était gardien d’immeuble. Il a succombé à ses blessures deux jours plus tard à l’hôpital.
« Mon réflexe a été de me cacher sous l’autel »
Les « corps des victimes », mais aussi les « éclats de verre partout », les « voitures en feu », c’est la « vision de chaos » que garde en mémoire Corinne Adler quand elle est sortie de la synagogue. Ce 3 octobre 1980, elle y célébrait sa bat-mitzvah, « le passage vers la vie d’adulte, vers la majorité dans la religion juive », explique-t-elle. L’adolescente se trouvait « derrière l’autel » quand elle a « entendu l’énorme déflagration ». La verrière « est tombée et mon réflexe a été de me cacher sous l’autel, poursuit celle qui se souvient avoir « pensé que des rafales de mitraillettes allaient suivre ».
Comme « rien n’arrivait, je me suis relevée et je suis allée près du rabbin qui voulait d’abord continuer l’office […]. Puis j’ai rejoint mes proches et on est tous sortis », se souvient-elle encore. Précisant aussi les conséquences de ce « traumatisme enfoui » avec lequel elle a appris à vivre et « fonctionner ». Ne commençant à se « considérer comme une victime » que trente ans plus tard.