ATTENTAT DE LA RUE COPERNIC : « ON A ETE SIDERE PAR LA MANIERE DONT LES VICTIMES ONT ETE TRAITEES »

TERRORISME Le 3 octobre 1980, une bombe explosait devant la synagogue Copernic, à Paris. A l’époque, la prise en charge des victimes était loin d’être celles que l’on connaît aujourd’hui.

Le 3 octobre 1980, une bombe placée devant la synagogue de la rue Copernic, dans le 16e arrondissement de la capitale, a fait quatre morts et 46 blessés.

Près de 43 ans après les faits, le procès de cet attentat s’est ouvert devant la cour d’assises spéciale mais sans le principal suspect, reparti au Canada il y a trois ans.

Une vingtaine de victimes ou proches des victimes se sont constituées partie civile.

A la cour d’assises spécialement composée, à Paris,

« Il n’y a pas un jour qui passe sans penser que l’irréparable peut encore frapper. » L’irréparable a fait irruption dans la vie de Patricia Barbé, le 3 octobre 1980. « J’allais avoir 16 ans », souffle-t-elle, les mains accrochées à la barre de la cour d’assises spécialement composée. Son père, Jean-Michel, chauffeur pour une famille juive, patientait devant la synagogue de la rue Copernic, dans le 16e arrondissement de Paris, lorsqu’une bombe a explosé en face de l’édifice religieux. Il est mort sur le coup, comme trois autres passants. Quarante-six personnes ont été blessées.

Aux magistrats qui jugent – en son absence – Hassan Diab, soupçonné d’avoir confectionné et déposé la bombe, Patricia Barbé, cardigan noir et cheveux au carré, raconte comment cet événement a « bouleversé et construit [sa] vie ». Elle a choisi de lire une lettre à la cour pour raconter cette peur qui ne la quitte jamais : « Et si l’horreur frappait encore ? » Une crainte qui l’habite à chaque fois qu’elle embrasse ses enfants. Elle prend toutefois soin de ne pas en faire « trop » pour ne pas les inquiéter et leur faire porter « cette conscience aiguisée d’une vie à jamais fragilisée ». C’est ce qui frappe, ce jeudi matin, en écoutant ces témoignages, c’est la béance du traumatisme. Quatre décennies n’ont rien apaisé.

« Elle a été traumatisée jusqu’à la fin de ses jours »

A la barre, la gorge de Gérard Barbier, 70 ans, se noue, sa voix chevrote, lorsqu’il retrace cette funeste soirée. Ce soir-là, il était avec ses parents et son frère dans le magasin d’électroménager que tenait la famille, juste en face de la synagogue. « Ça explose. » Appuyé sur sa béquille, il peine à continuer, gagné par l’émotion. Un silence envahit la cour. Il reprend. « Je n’ai pas entendu le bruit mais j’ai subi comme un électrochoc, j’ai le corps extrêmement secoué. » Si son frère et lui ont été relativement peu touchés physiquement, ses parents sont grièvement blessés. Le pronostic vital de sa mère restera engagé une dizaine de jours. « Elle a été traumatisée jusqu’à la fin de ses jours », insiste-t-il.

L’époque était différente : aucune prise en charge psychologique n’était proposée. Ceux qui en ont bénéficié ont fait la démarche par eux-mêmes, parfois des années après. « Je ne me suis pas considérée comme une victime au début parce que personne n’était mort », explique Corinne Adler, qui fêtait ce jour-là avec quatre autres adolescents sa bat-mitzvah. Ce n’est que trente ans après les faits - et après avoir été contactée par l’association des victimes du terrorisme - qu’elle décide de se porter partie civile.

Les enquêteurs de l’époque n’ont pas pris la peine de recenser les quelque 300 fidèles qui se trouvaient dans la synagogue, encore moins de les auditionner et de les aiguiller dans leurs démarches. « En se penchant sur le dossier, on a été sidéré par la manière dont les victimes ont été traitées », confie l’un des deux avocats généraux. Quelles sont les conséquences de ce manque de considération ? Corinne Adler ne peut s’empêcher de faire le lien avec le suicide, il y a cinq ans, de l’adolescente qui fêtait sa bat-mitzvah avec elle, après des années de « profonde dépression ».

« On n’a pas réussi à avoir un entretien psychologique »

Pierre Pollashek, 81 ans, a même découvert ce jeudi, en pleine audience, que la photo de son fils se trouvait en double page dans Paris Match. On aperçoit le garçonnet hébété devant une victime. « Mon fils m’a vu ensanglanté et n’a jamais été pris en compte comme une victime alors qu’il avait 9 ans. On n’a pas réussi à avoir un entretien psychologique », déplore l’octogénaire, longue chevelure blanche retenue en catogan et lunettes à fine monture sur le nez. Ce jour-là, il se trouvait dans le magasin de Gérald Barbier avec son fils pour acheter des ampoules. Lorsque l’explosion se produit, la vitrine explose, le plafond de tôle leur tombe littéralement sur la tête. Si l’enfant est relativement peu touché, lui a reçu des dizaines d’éclats de verre notamment dans le visage. Il manque de peu de perdre la vue.

Pierre Pollaschek n’en fait pas mystère, sa vie et celle de sa famille ont explosé après l’attentat. « Ça faisait trop », explique ce fils de juifs autrichiens, dont le père est mort déporté pendant la Seconde Guerre mondiale. Lui, est parvenu à s’échapper d’un camp avec sa mère. Après l’attaque, sa femme est partie avec leur fille, ne supportant plus Paris. « Je suis resté seul avec mon fils. » A l’écouter, ce dernier reste profondément marqué. « Ça a influencé sa psychologie, il traîne ça comme un boulet, 42 ans et demi après il y a des traces assez lourdes », insiste-t-il, mettant notamment son célibat sur ce compte. « Il n’est jamais trop tard pour prendre cela en compte », tente le président lui indiquant notamment la présence des psychologues de l’association France Victimes.

Le temps et l’absence

Si le temps ne guérit pas, il fait disparaître les témoins et les proches des victimes. Seules une vingtaine de personnes se sont déclarées parties civiles dans cette affaire. Beaucoup de victimes ou leurs proches sont morts. Il n’y aura personne, par exemple, pour évoquer le sort d’Hilario Lopes Fernandes et de Philippe Bouissou, tués dans l’explosion. Le rabbin Michael Williams, qui a officié pendant 40 ans dans la synagogue, tient pourtant a rappelé une anecdote : tous les ans pendant « vingt ou vingt-cinq ans », les parents de Philippe Bouissou, qui avait 22 ans au moment de l’attentat, sont venus chaque 3 octobre au crépuscule, déposer des fleurs devant la synagogue. « Quand on était tenté d’oublier l’impact de l’attentat, leur présence empreinte d’émotion nous en rappelait l’intensité. » Une manière de replacer ces victimes oubliées au cœur de la cour d’assises.

Crédit photos : Article rédigé par Caroline Politi paru sur 20minutes.fr

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