Jawad Bendaoud mais aussi Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen se retrouvent à partir de ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Paris, pour le premier procès en lien avec les attentats de Paris. En attendant le procès français de Salah Abdeslam, sans doute pas avant 2020.
Deux ans et demi après les attentats du 13-Novembre, le premier procès en lien avec les attentats de Paris s’ouvre ce mercredi.
Dans le box, pas de Salah Abdeslam, mais trois prévenus : Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen.
Les deux premiers sont soupçonnés d’avoir aidé deux des terroristes du commando des terrasses, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh dans leur fuite, notamment en leur fournissant un logement.
Le troisième est le frère d’Hasna Aït Boulahcen, la cousine d’Abaaoud, morte avec les deux terroristes dans le squat de Saint-Denis, cinq jours après les attaques. Sa sœur l’aurait informé de l’aide qu’elle apportait à Abaaoud et Akrouh. S’il n’a jamais rencontré les deux terroristes, il n’a pas non plus prévenu la police des actions d’Hasna.
Quels sont les enjeux de cette audience, qui se tient durant trois semaines devant le tribunal correctionnel de Paris ?
1. Le premier procès des attentats de Paris
Ce n’est pas le procès de Salah Abdeslam, qui ne devrait pas se tenir avant 2020. Pourtant, il s’agit bien du premier procès en lien avec les attentats du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 morts, au stade de France, sur des terrasses parisiennes et au Bataclan.
"Les sanctions judiciaires vont commencer à tomber", estime Me Bernard Benaïem, qui défend des victimes du Bataclan.
Pourtant, pour Arthur Dénouveaux et Philippe Duperron, présidents des associations de victimes "Life for Paris" et "13 onze 15 - fraternité et vérité", les sentiments sont ambivalents.
"Ça nous remet face à la réalité des attentats", estime le premier. "Le procès apportera un éclairage sur les attentats mais ilne bouleversera rien", estime le second. Comme les autres victimes, tous deux auront les yeux tournés vers la Belgique.
A partir du 5 février, Salah Abdeslam comparaît devant une juridiction bruxelloise pour son implication présumée dans une fusillade au cours de sa cavale.
2. Un procès hors norme
Au moins 350 parties civiles, représentées par plus de 150 avocats, trois semaines de procès - fait rare pour une audience correctionnelle -, des débats retransmis sur écran pour permettre aux victimes de suivre l’audience.
C’est un procès en grand qui s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris.
Avec un élément supplémentaire, selon Arthur Dénouveaux : "à la machine judiciaire s’ajoute la machine médiatique."
BENDAOUD, SOUMAH, AÏT BOULAHCEN : QUI SONT LES MIS EN CAUSE ?
Ils seront trois dans le box : Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen. Qui sont les trois prévenus ?
Jawad Bendaoud, 31 ans, est soupçonné d’avoir hébergé deux des terroristes de Paris, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh. C’est dans "son" appartement que les deux djihadistes, accompagnés d’Hasna Aït Boulahcen, ont trouvé la mort lors de l’assaut du Raid et de la BRI, le 18 novembre 2015.
Petit caïd des cités, accro au cannabis et au crack, coupable de la mort de son meilleur ami, Jawad Bendaoud risque 6 ans de prison et 90000€ d’amende.
Mohamed Soumah, 28 ans, est l’homme contacté par Hasna Aït Boulahcen, qui cherche à héberger son cousin Abaaoud et son complice Akrouh. Il la mettra en lien avec Jawad Bendaoud, qu’il a rencontré à la faveur de petits trafics, notamment de drogue.
Condamné pour son implication dans un braquage lorsqu’il était mineur, il encourt, comme Bendaoud, 6 ans de prison et 90000€ d’amende.
Youssef Aït Boulahcen, 25 ans, est le frère d’Hasna Aït Boulahcen. Poursuivi pour "non-dénonciation de crime terroriste", il aurait été au courant des projets de sa sœur d’aider leur cousin belge Abelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh. Sans pour autant prévenir la police.
Jamais condamné, cet ambulancier encourt 5 ans d’emprisonnement.
3. Le procès de Jawad Bendaoud mais pas que...
Colérique, impatient, bavard : Jawad Bendaoud est un prévenu haut en couleur. La France avait découvert le "logeur de Daech" présumé le 18 novembre au matin, à la faveur d’une interview improbable et une arrestation rocambolesque, filmées par les caméras de BFM TV.
Il ne sera pourtant pas seul dans le box. "Bendaoud attire les projecteurs mais ils sont bien trois prévenus. Il ne faudra pas les oublier", prévient Me Astrid Ronzel, qui défend des victimes du Bataclan.
4. Qu’attendre du procès ?
Les débats devraient tourner autour de deux questions principales : les prévenus étaient-ils au courant que les hommes qu’ils aidaient étaient des terroristes ? Quelle sanction pour ces personnages "périphériques" des attentats de Paris ?
A la première question, le parquet de Paris et les juges d’instruction n’ont pas retenu l’élément intentionnel, caractéristique de l’association de malfaiteurs terroriste et renvoyé les prévenus devant le tribunal correctionnel et non devant la cour d’assises spéciale pour les affaires liées au terrorisme.
En clair : aucun élément ne permet d’affirmer que Mohamed Soumah et Jawad Bendaoud savaient qui ils hébergeaient, ni qu’ils envisageaient de commettre de nouveaux attentats.
" Ils avaient des doutes mais ça ne suffit pas pour caractériser l’association de malfaiteurs terroriste", relève Me Samia Maktouf, représentante d’une trentaine de victimes. Les prévenus ont toujours nié être au courant.
La deuxième question devrait être au cœur des plaidoiries et des réquisitions : sont-ils coupables, et si oui, quelle juste peine ?
Par leur silence, ils permettent à des terroristes de commettre leurs actes
Pour plusieurs avocats des parties civiles, ce procès à un message à faire passer.
"C’est le procès de ceux qui gravitent autour des terroristes, qui les aident. On les dépeint comme des petits caïds, des voyous, qui ne sont pas de vrais terroristes. On a tendance à ne pas leur accorder d’importance, mais il faut ouvrir les yeux. Ce sont des gens néfastes, nuisibles à notre société. Par leur silence, ils permettent à des terroristes de commettre leurs actes. Et des Jawad, il y en a d’autres. Un terroriste n’agit jamais seul, il y a toujours un premier cercle, une fratrie, de sang ou de combat, qui aide ces personnes à commettre l’irréparable", tranche durement Me Samia Maktouf.
Ce sont des complices ordinaires d’actes extraordinaires
"Ils privilégient leur intérêt personnel, pécuniaire. Mais pour 50€, on peut fermer les yeux sur le fait qu’on héberge des terroristes ? Ce sont des complices ordinaires d’actes extraordinaires", estime Me Bernard Benaïem, côté parties civiles.
La décision du tribunal de Paris est attendue le 14 février.
Date : 23/01/18
Auteur : Coralie DREYER
Source : Le journal de Saône et Loire