L’ex-juge tente de relancer la thèse terroriste, pourtant écartée lors du premier procès. Toulouse, correspondance.
Total a les moyens. Voilà maintenant que le groupe pétrolier s’offre les services de l’ancien juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière pour échafauder une vérité qui l’arrange. Depuis l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001, qui fit trente et un morts, le groupe pétrolier a déployé des efforts colossaux pour écarter la thèse de l’accident chimique et chercher à ce drame une cause extérieure. Des experts rémunérés par le groupe pétrolier sont allés jusqu’en Russie pour effectuer des tests. L’enquête interne de Total, malgré des moyens conséquents, n’a pu démontrer qu’un acte terroriste serait à l’origine de la gigantesque explosion.
Toutes ces tentatives n’ayant rien apporté de probant, Total fait donc appel à Jean-Louis Bruguière. Me ?Daniel Soulez-Larivière, avocat du groupe pétrolier, lui a commandé un rapport. Bruguière, n’est-ce pas, c’est un spécialiste du terrorisme. Voilà un gage de sérieux… Or l’ancien juge ne dit rien de bien nouveau, n’évoque pas d’élément déterminant qui aurait pu échapper à la longue enquête ou au procès-fleuve qui s’étala sur quatre mois, en 2009. Quels sont ces « ?lacunes ? », « ?fautes de procédure ? » ou « ?manquements graves ? » ??
Plus affligeant encore ? : Jean-Louis Bruguière tente de remettre au goût du jour la piste Hassan Jandoubi, du nom de cet ouvrier d’AZF tué par l’explosion. L’ancien juge reproche à l’enquête de ne pas avoir vérifié les appels sur les deux téléphones portables d’Hassan Jandoubi. Or l’enquête a passé au peigne fin la vie de cet ouvrier ? : son compte bancaire, ses relations, son emploi du temps… Jean-Louis Bruguière allègue qu’Hassan Jandoubi était lié à la « ?mouvance islamique toulousaine ? ». Des propos d’autant plus ignobles qu’ils ne sont pas prouvés. Hassan Jandoubi était un bon vivant, il buvait de l’alcool, sa sœur était mariée à un non-musulman sans que cela ne l’offusque… Pas vraiment le profil du terroriste islamiste.
Si la piste terroriste était si sérieuse, on peut se demander pourquoi la section antiterroriste ne s’est pas saisie du dossier, comme elle en avait les moyens. D’autant que cette section était à l’époque dirigée par… Jean-Louis Bruguière. Avec ce rapport, Total cherche-t-il à peser sur le procès en appel qui débutera le 3 ?novembre ?? Et où comparaîtront de nouveau Grande Paroisse, sous-filiale de Total, et Serge Biechlin, ex-directeur de l’usine. L’Association des familles endeuillées, qui ne croit pas à l’acte terroriste, demande la comparution comme témoin de Jean-Louis Bruguière. Son rapport fait penser au rapport Kouchner sur le travail forcé en Birmanie, commandé par le même groupe Total ? : il est là pour servir les intérêts du commanditaire.
Bruno Vincens - L’Humanité.fr publié le 11 février 2011.
