Il vaut mieux intervenir en deux temps : gérer l’urgence vitale et conduire à l’hôpital plutôt que tout traiter sur place.
Le damage control, cette formule magique semble aujourd’hui envahir tous les services de secours d’urgences. Des Samu-Smur aux sapeurs-pompiers en passant par les secouristes, tous ont adopté cette doctrine, issue de la médecine militaire et qui consiste à se limiter à stabiliser sur-le-champ un blessé grave, sans chercher à soigner ses lésions, pour le transporter rapidement vers une structure de soins. Le concept n’est pas si nouveau, puisqu’il a été forgé dans les années 1980, mais les attentats et la nécessité d’appliquer une « médecine de guerre » l’ont remis sous les feux de l’actualité.
À tel point qu’il y a trois mois, dans les Annales françaises de médecine d’urgence , trois grands noms du milieu, les Prs François Braun, Pierre Carli et Jean-Pierre Tourtier, mettaient en garde les convertis de la dernière heure : « En confondant vitesse et précipitation, nous risquons de lâcher la proie pour l’ombre, c’est-à-dire de sacrifier à la vitesse du transport la qualité des soins et la survie ! » C’est que le concept de damage control peut être mal compris.
« À l’origine, la notion de damage control vient de la marine américaine , expliquait le Pr Benoît Vivien, adjoint au chef de service du Samu 75, le 3 février dernier, lors d’une session de la 3e édition du salon Secours expo. Le principe est de faire la réparation immédiate des avaries les plus graves afin de maintenir le bateau à flot pour arriver jusqu’au port. »
Au début des années 1980, des chirurgiens américains prouvent qu’il vaut mieux intervenir en deux temps en cas de blessure abdominale avec choc hémorragique et troubles de l’hémostase (coagulation), que de vouloir tout traiter d’emblée. Autrement dit, une première intervention chirurgicale rapide afin de maîtriser les lésions vitales majeures, puis une seconde opération, 24 à 48 heures plus tard. « La mortalité est passée de 93 % à 35%, explique le Pr Vivien, c’était la démonstration qu’il valait mieux viser le rétablissement d’une physiologie la plus normale possible plutôt qu’une anatomie parfaite. »
Reconsidérer la doctrine
Les trois principales conséquences d’une hémorragie, qu’elle soit interne ou externe, sont l’hypothermie (chute de la température corporelle), l’acidose (modification chimique du sang) et la coagulopathie (diminution de la coagulation). Cette « triade létale » explique qu’il faille tout mettre en œuvre pour limiter l’hémorragie, car une fois que le cercle vicieux s’est enclenché, les réanimateurs ont bien du mal à en extirper le patient.
Les attentats qui se sont produits en France et ailleurs ont conduit les premiers secours à reconsidérer leur doctrine. Le garrot, par exemple, n’est plus considéré comme une prérogative médicale. « C’est souvent le seul moyen, quand la zone touchée permet d’en poser un, d’arrêter une hémorragie sévère, explique le Dr Patrick Hertgen, vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et médecin-chef du SDIS du Nord, et dans certaines situations, comme c’est arrivé lors des attentats de Paris, on peut dire que les garrots ont sauvé des vies. »
Car « le premier principe du secouriste est bien d’arrêter immédiatement le saignement, rappelle le Dr Meyran, directeur du Smur du bataillon de marins-pompiers de Marseille et médecin conseiller national de la Croix-Rouge française, idéalement par une compression manuelle suivie d’un pansement compressif. Si ça ne suffit pas, il faut utiliser le garrot ».
« L’un des premiers symptômes de l’hémorragie est une accélération de la fréquence cardiaque (le pouls, NDLR), puis, si le saignement n’est pas arrêté, une chute de la pression artérielle », poursuit le Dr Daniel Meyran. La doctrine du damage control veut évidemment que l’on arrête le saignement et que l’on administre une perfusion sanguine au blessé, mais modérément. L’objectif est bien de rétablir une tension artérielle suffisante (et éviter l’enclenchement de la triade létale) sans pour autant augmenter les saignements .
Outre l’arrêt de l’hémorragie, il est une autre action que peuvent mettre en œuvre les premières personnes présentes sur les lieux, c’est la lutte contre le refroidissement. Ne pas laisser la victime en contact direct avec le sol et la protéger du vent, idéalement avec une couverture de survie, augmente ses chances de survie. « Pour chaque degré corporel perdu au-dessous de la température normale de 37 °C, détaille le Pr Vivien, la coagulation diminue de 10 % ! Une victime dont la température corporelle est de 32 °C a déjà perdu la moitié de ses capacités de coagulation. »
Source : Le Figaro
Auteur : Damien Mascret
Date : 6 février 2017