Brest. Procès de la SNCF : le spectre de Brétigny

Quel rapport entre la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (7 morts, 32 blessés en 2013) et l’accident mortel survenu à La Roche-Maurice, dans le Finistère, en 2006 ? Les mêmes « tentatives d’influence » et le manque de coopération de la SNCF dans l’enquête la mettant en cause. À Brest, son procès pour homicide involontaire s’ouvre aujourd’hui.

21 novembre 2006. 16 h 49. C’est la dernière fois qu’Alla Caroff est aperçue vivante. En chemin pour la gare de Landerneau (29) où elle vient chercher sa fille, elle s’est arrêtée régler une facture à la pharmacie d’une commune voisine, à La Roche-Maurice. Cinq minutes plus tard, sa Peugeot 406 se présente sur le passage à niveau du bourg. Le choc est effroyable. Lancé à 118 km/h, le TER Rennes-Brest et ses 29 passagers viennent de pulvériser la voiture et son occupante. Que s’est-il passé ? Erreur ou faute de conduite de la victime, comme cela se produit « dans plus de 98 % » des accidents sur des passages à niveau ? Panne auto ? Dans ce dossier, l’enquête a conclu à « un raté de fermeture ». Le cauchemar de tout automobiliste : les barrières et les alarmes sonore et lumineuse ne se sont pas déclenchées à l’approche du train.

Les « réticences » de la SNCF

L’instruction a également mis en lumière de nombreux éléments permettant de douter de la réelle volonté de la SNCF de faire la lumière sur les causes de l’accident. Comme dans le dossier de la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, où des écoutes judiciaires ont révélé que la SNCF avait briefé et influencé des témoins avant leur audition. « Il y a les ingrédients du mensonge dans les deux dossiers », estime Gérard Chemla, avocat dont le cabinet est partie civile, dans les deux dossiers, pour la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). Dans le dossier brestois, pas d’écoute téléphonique. Mais, fait suffisamment rare pour être souligné, un juge d’instruction qui consigne « le manque de coopération global et constant de la SNCF », son « absence totale de communication et d’initiative », et même ses « réticences » à fournir les documents demandés par les enquêteurs. L’instruction révèle également que des témoins directs ont « subi, si ce n’est des pressions, à tout le moins des tentatives d’influence de la part de la SNCF ».
Incidents d’enquête

Deux agents SNCF, en poste à l’époque des faits, ont également fait part, au Télégramme, des « pressions » exercées, selon eux, par leur direction, avant et après leur audition par les enquêteurs. « J’ai été convoqué à une réunion où ma direction reprenait le déroulé de l’accident et expliquait que la victime avait contourné les barrières. Techniquement, c’était impossible », indique le premier témoin. « Moi, j’ai été convoqué pour rapporter ce que j’avais déclaré aux gendarmes. J’ai refusé malgré l’insistance de ma direction. Après, tout a été fait pour que ceux qui avaient osé dire la vérité pètent les plombs », assure le second, évoquant « un véritable harcèlement ». Plusieurs incidents troublants, mais sans conséquence pour l’enquête semble-t-il, ont, par ailleurs, émaillé l’instruction : scellés judiciaires brisés sur la motrice du TER accidenté, interventions d’agents SNCF sur la scène de l’accident avant l’arrivée des gendarmes, puis à nouveau le lendemain (confrontation houleuse avec les enquêteurs priés de « dégager »). « Il n’y a pas eu de volonté de cacher quoi que ce soit, estime une source proche de l’enquête. La priorité de la SNCF était de rétablir rapidement la circulation. Il fallait que ça roule ».

Les erreurs et l’oubli du premier expert

Il y a, enfin, le cas du premier expert, qui exclut tout dysfonctionnement du passage à niveau et démonte, notamment, un témoignage défavorable à la SNCF. Problème : les photos qu’il produit à l’appui concernent... un autre passage à niveau. Plusieurs autres erreurs (mauvaise voie mentionnée, etc.) seront par ailleurs relevées. Surtout, l’expert a omis d’indiquer au magistrat instructeur un fâcheux conflit d’intérêts : il a délégué une partie de son expertise à des agents... de la SNCF. Sa première conclusion à « un arrêt volontaire » du véhicule de la victime sur la voie (un suicide, donc), similaire à celle avancée par la SNCF, est ressentie par la famille comme « une insulte ». « Ma mère était quelqu’un de joyeux, s’indignait, en mai 2009, dans nos colonnes, sa fille Alona. Elle s’était mariée deux ans auparavant. Elle était heureuse. Elle voulait avoir un enfant ». Alla Caroff est décédée le jour de son 42e anniversaire. La petite famille devait fêter l’événement le soir même.

Source : letelegramme.fr
Date : 30/05/2016

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