La compagnie a effectué des dons de 10 000 à 50 000 euros à 35 victimes de l’accident ferroviaire de Brétigny. Une démarche exceptionnelle dans ce type de catastrophe.
Il y en a pour des centaines de milliers d’euros. La SNCF a confirmé, ce mercredi, avoir effectué « des chèques ou des virements » en faveur de trente-cinq victimes de l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge (Essonne), qui a fait sept morts et des dizaines de blessés le 12 juillet, comme l’avait révélé le Parisien. L’opération a été menée en toute discrétion dans les jours qui ont suivi le drame.
La compagnie a mis en place son propre barème : 50 000 euros pour les familles des personnes décédées et les victimes hospitalisées plusieurs jours ; 10 000 euros pour les blessés qui ont passé une nuit à l’hôpital. Ces versements ont été réalisés « au titre de l’aide de première urgence, pour les personnes les plus durement touchées », a précisé la SNCF à l’AFP. Il s’agissait de les aider à « couvrir les frais d’hospitalisation, frais de transport ou d’hébergement (de proches venus à leur chevet), ou frais d’obsèques ».
Un geste inédit ?
La SNCF assure qu’il s’agit d’une pratique « assez courante dans les cas d’accidents collectifs ». « C’est tout à fait inédit. Jamais une entreprise n’avait fait cela », explique au contraire Stéphane Gicquel, président de la Fédération des victimes d’accidents collectifs (Fenvac). Il est plutôt bien placé pour le savoir, puisque la Fenvac a assisté les victimes de nombreux accidents (explosion de l’usine AZF, crash du vol Rio-Paris, etc.). La méthode choisie par la SNCF est en effet singulière car il s’agit de dons, payés par la compagnie elle-même. Lesquels s’ajouteront aux indemnisations, versées par l’assureur de la SNCF. La convention d’indemnisation, qui a été présentée samedi aux victimes lors d’une réunion, prévoit d’ailleurs explicitement que les dons de la SNCF ne seront pas déduits du montant des indemnisations.
« C’est une bonne initiative. Je pense que c’est l’expression de l’émotion des dirigeants de la SNCF, qui sont sincèrement affectés par l’accident », estime Stéphane Gicquel. L’entreprise a précisé que « le fait d’avoir touché cette aide n’empêche pas les personnes de se constituer partie civile ou de porter plainte ». « Il n’y a eu aucune pression, confirme Gicquel. D’ailleurs, la Fenvac est en train de travailler à la constitution d’une association de victimes avec plusieurs familles de personnes décédées, afin de pouvoir peser sur le cours de la procédure judiciaire. »
Dans la semaine qui a suivi le drame, il avait alerté l’entreprise sur les besoins urgents auxquels pouvaient être confrontées certaines familles. « Mais leur décision était déjà prise, ajoute Gicquel. Elle l’a été presque immédiatement après l’accident, a été mise en œuvre dans les dix jours qui ont suivi », précise un porte-parole de la SNCF à Libération.
Difficile à justifier
Le geste de la compagnie ferroviaire pose tout de même des questions. D’abord sur les conditions de sa réalisation. Selon le Parisien, « dès le dimanche 14 juillet, soit deux jours après la catastrophe, des membres du comité exécutif de la compagnie ferroviaire ont fait le tour des hôpitaux pour offrir » cette aide d’urgence aux victimes. Ce que dément formellement l’entreprise. « Nous avons obtenu leur identité via la cellule d’accompagnement que nous avons créée le jour de l’accident. Nous avons ensuite contacté les victimes par téléphone et par courrier », précise un porte-parole.
Pour certains avocats, ces dons posent également un problème d’équité. « Tant qu’on ne leur demande pas de contreparties, distribuer de l’argent aux victimes n’est pas critiquable. Mais la SNCF ne peut pas faire des dons aux uns et pas aux autres, déplore le conseil d’une des victimes. Comment peut-elle justifier le fait qu’elle verse de l’argent à quelqu’un hospitalisé 24 heures, alors qu’une autre victime, qui peut avoir eu une incapacité totale de travail plus importante liée à un long suivi psychologique, n’aura rien touché ? »
Enfin, un expert estime que la SNCF s’est placée dans une situation juridiquement délicate : « Une entreprise peut verser des dommages et intérêts et des avances sur indemnisations, mais elle ne peut normalement pas faire des dons d’argent à des particuliers. Techniquement, je ne sais pas comment ils vont le justifier. »
Yann PHILIPPIN - Libération.fr - 02 octobre 2013