Le Figaro s’est procuré le rapport du Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre (ministère des Transports) qui entend faire le point sur l’accident du 12 juillet dernier ayant causé la mort de sept personnes. Environ 200 trains passent chaque jour en gare de Brétigny-sur-Orge. La maintenance des voies est au cœur de ce rapport de 118 pages. « Cette enquête a pour seul objet de prévenir de futurs accidents, en déterminant les circonstances et les causes de l’événement analysé et en établissant les recommandations de sécurité utiles. Elle ne vise pas à déterminer des responsabilités. En conséquence, l’utilisation de ce rapport à d’autres fins que la prévention pourrait conduire à des interprétations erronées. Les analyses qu’il présente permettent de disposer d’une première approche étayée des causes de cet accident. Elles restent à confirmer, à approfondir et à compléter, en particulier à partir des éléments qui ressortiront de l’expertise métallurgique en cours », prévient-il d’emblée.
Les deux passages les plus intéressants concernent d’une part la présence d’une fissure à l’endroit de la voie où s’est produit le déraillement, très antérieure à l’accident : « Le déraillement considéré s’est produit à environ 150 mètres en amont du quai n° 3, sur la traversée jonction double 6/7/8/9, et plus précisément sur le cœur de traversée de la file de droite de cet appareil de voie. Il a été provoqué par l’obstruction de l’ornière de passage de roue de ce cœur par l’éclisse intérieure du joint 1, le raccordant à une aiguille. Pour se loger dans cette ornière, cette éclisse a pivoté, lors du passage du train n° 3657, autour du corps sans tête du quatrième boulon du joint concerné. Pour ce faire, il fallait que les trois autres boulons de ce joint soient sortis de leur logement. Ce désassemblage est très vraisemblablement la conséquence d’une fissuration qui s’était développée depuis plusieurs mois dans l’âme de l’about du cœur de traversée incriminé, jusqu’à ce qu’un morceau s’en détache, entraînant des efforts anormaux dans le troisième boulon du joint éclissé 1 considéré. Sous ces efforts, la tête de ce boulon a rompu. Les trois autres boulons ont ensuite cédé, l’un en se dévissant, les deux autres par rupture de leur tête. » Selon le BEATT, la fissure dans l’âme du rail date de plusieurs mois, voire de deux à trois ans avant l’accident, et est à l’origine du déraillement. Cette fissure n’a pas été détectée par la tournée d’inspection du 4 juillet dernier, de même que les boulons sans écrou.
Le rôle de la pluie sur les boulons
Le BEATT défend les agents en charge de l’inspection des voies : « A priori, lors de la tournée de surveillance effectuée le 4 juillet 2013, seule la défaillance du troisième boulon du joint éclissé concerné était détectable. La moindre attention accordée aux anomalies affectant la boulonnerie par rapport à d’autres défauts des appareils de voie qui sont considérés comme plus critiques, ajoutée aux limites inhérentes à tout examen visuel, notamment lorsqu’il est effectué sur des voies en exploitation, a pu contribuer à ce que cette défaillance ne soit pas détectée. » Même constat à propos de la fissure : pour le BEATT, cette dernière n’était pas détectable à l’œil nu car elle était cachée par les deux éclisses intérieures et extérieures.
Autre point intéressant du rapport, l’état des boulons sur le lieu de l’accident : « Après un mois de juin très pluvieux, la dernière chute de pluie avant le jour de l’accident a eu lieu le 3 juillet 2013. Il est donc probable que la rupture des boulons n° 2 et 4 s’est produite après cette date. En revanche, la rupture du boulon n° 3 est significativement antérieure. De même, l’état très peu oxydé de la vis du boulon n° 1 permet d’estimer qu’elle est sortie de son logement après ce 3 juillet 2013. »
Et le BEATT d’écrire : « En résumé, et sous réserve des résultats des expertises à venir, il est vraisemblable que, par rapport à la date du déraillement du train n° 3657, la fissuration de l’about du cœur de traversée concerné (T1) s’est amorcée plusieurs mois avant ; la rupture du boulon n° 3 (T2) remonte à quelques semaines ; le dévissage du boulon n° 1 et les ruptures des boulons n° 2 et n° 4 (T3 et T4) se sont produits dans les jours précédents. »
Reuters 14/01/2014 - Anne Jouan et Valérie Collet pour Le Figaro, publié et mis à jour le 10/01/2014