« Cannes-Torcy » : procès spécial pour filière radicale

Vingt personnes accusées de terrorisme sont jugées à partir de ce jeudi à Paris. Pour cette audience exceptionnelle qui doit durer plus de deux mois, la cour d’assises obéit à des règles particulières.

Un dispositif exceptionnel pour une affaire tentaculaire. Ce jeudi s’ouvre aux assises de Paris le procès de la filière « Cannes-Torcy », le premier du genre pour un dossier jihadiste. Jusqu’au 7 juillet, vingt accusés seront jugés, notamment pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Deux d’entre eux répondront également des faits de « tentative d’assassinat ».

L’affaire débute en septembre 2012, avec l’attaque à la grenade d’une épicerie casher de Sarcelles, dans le Val-d’Oise (lire Libération du 17 décembre 2015). Un leader charismatique a soudé deux groupes de jeunes radicaux, l’un de Cannes, l’autre de Torcy (Seine-et-Marne) : Jérémy Louis-Sidney, abattu lors de son interpellation en octobre 2012. En tirant les fils, les enquêteurs mettent au jour d’autres projets plus ou moins aboutis : le braquage d’un McDo pour acheter des armes, des repérages autour d’un camp militaire du Var…

Mais, surtout, ils découvrent ce qu’un magistrat parisien décrit comme « un 13 Novembre qui n’a pas eu lieu » : en février 2014, Ibrahim B. est interpellé près de Cannes alors qu’il rentre de Syrie. Dans l’immeuble, la police exhume « trois engins explosifs artisanaux ». Des sources judiciaires estiment alors qu’un projet d’attentat « imminent » a été déjoué.

Qui compose la cour d’assises spéciale ?

Aucun juré populaire. Pour les affaires terroristes, une cour d’assises a été spécialement composée. En lieu et place des citoyens siègent des magistrats professionnels. Jusqu’à récemment, il y en avait six, plus le président. Désormais, après une loi votée en février 2017, ils ne seront plus que quatre. Avec la multiplication des dossiers criminels liés au jihad - et non délictuels, jugés par un tribunal correctionnel - le risque d’embolie aux assises augmentait. « Ce n’est pas une cour d’assises, c’est presque devenu un tribunal correctionnel qui peut condamner à perpétuité ! » objecte l’un des avocats en défense, Joseph Breham. Avec des conséquences autrement lourdes au vu des peines encourues - plusieurs encourent la perpétuité.

« Les magistrats assesseurs viennent de tous les services », indique la présidence du tribunal de grande instance de Paris (TGI), chargée de les recruter. Un appel au volontariat a été lancé dans la juridiction. « On ne croule pas sous les candidatures », regrette la présidence. Pendant deux mois et demi, les magistrats assesseurs devront en effet lâcher leurs dossiers et les confier à leurs collègues pour se consacrer exclusivement à cette audience gargantuesque. Aux quatre assesseurs s’ajoute un suppléant qui assistera à l’ensemble des débats, mais sans prendre part au vote.

Dans cette cour d’assises spéciale siégeront donc un juge d’application des peines, un magistrat instructeur, un magistrat « placé » (rattaché à la cour d’appel) et une civiliste qui fait habituellement du droit bancaire. Des matières très éloignées de la Syrie et des cellules jihadistes. « La présence de civiliste dans la formation ne me choque pas, tempère Alexia Gavini, avocate de l’un des accusés. Au contraire. C’est peut-être même la garantie d’un œil neuf et d’un appétit plus grand, ce qui enrichira les débats. »

La plupart des assesseurs ont d’ailleurs suivi la formation sur le terrorisme à l’Ecole nationale de la magistrature, précise la présidence du TGI. Quant aux juges d’instruction spécialisés, s’ils connaissent la matière, ils ne pourraient pas siéger comme assesseurs à cause du risque de collusion avec des dossiers toujours en cours.

Avant l’ouverture du procès, seul le président connaît le contenu de la procédure, les autres juges la découvriront au fil des audiences. D’où les deux mois et demi prévus par le président de la cour d’assises, Philippe Roux, pour étudier un dossier de plusieurs milliers de pages, entendre 80 témoins et 14 experts.

Comment la défense s’organise-t-elle ?

Les avocats de la défense ont obtenu qu’une réunion préparatoire soit organisée, le 30 mars, avec la présidence du tribunal de grande instance. L’occasion de définir un planning des audiences. Le dossier comprenant plusieurs sous-dossiers, tous les accusés n’auront pas besoin d’être présents chaque jour.

« Pour certains accusés moins impliqués, des disjonctions auraient pu être effectuées pour alléger la procédure et, par définition, l’ampleur du procès. Mais le choix a été fait de tout englober. J’ai un peu l’impression d’une justice au poids alors que l’individualisation doit bien évidemment toujours primer », regrette Me Alexia Gavini.

La réunion du 30 mars a aussi permis aux avocats de découvrir certaines étrangetés. Notamment une, de taille : les officiers de police judiciaire seront auditionnés de façon anonyme, dans une pièce à part et leur voix sera modifiée. Ils seront identifiés par un numéro alors qu’ils apparaissaient sous leur nom dans la procédure.

Un changement qui ne permettra pas de savoir précisément ce que chaque officier de police judiciaire interrogé a fait, par exemple dans le cas d’une filature. « Les droits de la défense sont beaucoup plus difficiles à exercer devant ces cours d’exception », souligne Me Breham.

Comment sont regroupés les détenus ?

Il a d’abord fallu regrouper les dix accusés détenus dans les maisons d’arrêt de la région parisienne. Un mouvement en contradiction avec la tendance actuelle : « On essaie de décharger la direction interrégionale de Paris des détenus terroristes et là il a fallu les regrouper », décrit Jocelyn Defawe, de l’administration pénitentiaire. Elvin B., l’un des accusés, a ainsi quitté la maison d’arrêt de Châlons-en-Champagne pour rejoindre Fresnes il y a dix jours.

Pour chaque audience, les détenus devront être extraits de leur cellule à l’aube, transférés sous bonne garde jusqu’au palais de justice, en plein cœur de Paris, et réincarcérés le soir dans leurs cellules respectives.

En fonction des maisons d’arrêt, les transferts sont assurés par l’administration pénitentiaire, la gendarmerie ou la police. Pour les deux accusés incarcérés à Fresnes, trois agents de l’administration pénitentiaire et un gradé les accompagneront dans le fourgon. La sécurité de la salle d’audience devrait également être renforcée pour un procès aussi sensible.

Source : liberation.fr
Auteurs : Pierre Alonso et Willy Le Devin
Date : 19 avril 2017

Crédit photos : Source : liberation.fr Auteurs : Pierre Alonso et Willy Le Devin Date : 19 avril 2017

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