Concordia : le scénario du naufrage

Les nombreux témoignages des passagers permettent de reconstituer le déroulé de la nuit du naufrage de vendredi.

Vendredi

Le Costa Concordia, transportant 4229 personnes dont plus de 3000 touristes, quitte en fin de journée le port de Citavecchia, près de Rome, afin de se rendre à Savone, à proximité de la frontière française. La plupart des passagers sont en train de dîner, ou ont regagné leur cabine pour se reposer.

• Aux alentours de 21h30 : Selon le journal italien Corriere della Sera, le commandant de bord, Francesco Schettino, appelle sur le pont supérieur le responsable des serveurs du bateau, Antonello Tievoli. Ce dernier était censé être en congés, mais n’a pas pu prendre ses vacances faute de remplaçant. « Antonello, viens voir, nous sommes tout près de ton Giglio ». Selon le témoignage du chef des serveurs auprès des gardes-côtes, le commandant du Costa Concordia veut lui faire plaisir en passant à proximité de l’île de Giglio, dont il est originaire. « Attention, nous sommes extrêmement près de la côte », aurait répondu Antonello Tievoli en se penchant sur le bastinguage.

Au même moment, deux passagers français originaires de Mérignac fument une cigarette sur un des ponts du navire. « Nous sommes passés très près de l’île. On avait l’impression qu’elle était sur le pont », expliquent-ils au quotidien Sud Ouest. En se penchant, ils aperçoivent un rocher. « Il arrivait à la hauteur du quatrième étage » sur les 17 ponts du navire, affirment-ils.

« Je voyais les récifs s’approcher de plus en plus près du bateau. On allait droit dessus. J’ai vraiment eu peur quand j’ai aperçu le rocher tout proche du bateau », explique un Marseillais en voyage de noces à La Provence. « J’étais à deux doigts d’en parler à un membre d’équipage. Et puis avec ma femme, on s’est dit qu’il n’y avait pas de risque. Que ceux qui pilotaient le navire savaient ce qu’ils faisaient. »

Quelques secondes plus tard, le bateau heurte la masse rocheuse.

• 21h30. « On a senti un choc très violent, tout ce qu’il y avait sur les tablettes a sauté en l’air et la lumière s’est éteinte », raconte un couple de retraités lyonnais. Les pannes d’électricité se succèdent sur le navire, qui commence à pencher sur la gauche. Dans les hauts-parleurs, des messages rassurants se succèdent. « Au micro, on nous a d’abord informés d’une panne du générateur, puis qu’il ne fallait pas s’inquiéter et rester dans nos cabines. Mais on n’a pas tout compris tout de suite. On a demandé à des Français de nous traduire. Et puis on a déduit qu’il fallait sortir. Beaucoup de gens étaient perdus. »

Certains passagers décident d’eux-mêmes d’aller chercher leur gilet de sauvetage. Le bateau se met soudainement à pencher du côté droit.

• Entre 21h30 et 23h. Les témoignages divergent quant à l’heure exacte de l’alerte générale, certains parlant d’une heure après le choc, d’autres d’une heure trente. De nombreux passagers expliquent l’incompréhension générale durant ce moment de flou. « On se regardait en se demandant ce qui se passait. De mémoire, il y a eu un deuxième message nous disant que la situation était sous contrôle. Je me suis dit que ce n’était quand même pas normal », raconte un passager lillois à La Voix du Nord. « J’ai vu des gens remonter très paniqués. C’était difficile de communiquer, il y avait beaucoup de nationalités différentes. » « Des gens étaient coincés dans l’ascenseur. Il n’y avait aucune information. L’équipage semblait perdu », expliquent les deux passagers originaires de Mérignac.

Au même moment, un couple sud-coréen en voyage de noces se réveille. Les époux tentent de sortir de leur chambre, mais le bateau penche tellement qu’ils n’y parviennent pas. « Nous avons fini par glisser au fond du couloir et nous nous sommes faits mal ». Les deux jeunes gens, âgés de 29 ans, décident de rester dans leur cabine, plongée dans le noir, et d’attendre d’éventuels secours.

• De 23h à 6h. L’alerte générale sonne. Les passagers sont appelés à rejoindre les chaloupes. Une longue attente commence, et la panique s’empare de la foule à mesure que les canots de sauvetage se font de plus en plus rares. Certains tombent en voulant monter sur un bateau, d’autres sautent volontairement dans une eau à 8°C. « Ceux qui nous ont aidés, ce sont les cuisiniers, les femmes de ménage, tous philippins. Ils se sont encordés pour nous aider à descendre dans les chaloupes. Nous avons pu monter au dernier moment, avant que le bateau ne se couche », confie le couple de Mérignac. Le témoin de La Voix du Nord affirme également que sa chaloupe a été mise à l’eau par du personnel de cuisine.

Plusieurs témoignages relatent la difficulté du personnel à mettre à l’eau les chaloupes. « Les goupilles étaient grippées. Impossible de les décrocher. Et les gens continuaient à affluer en masse. Sont arrivées deux personnes handicapées et une personne âgée. J’ai cru qu’elles allaient passer par-dessus bord. Rétrospectivement, je me dis que certains n’ont pas su être dignes d’être appelés des hommes », confie un passager originaire de Saint Crépin (Hautes-Alpes) au Dauphiné Libéré. Enfants et personnes âgées bousculés par des hommes valides afin d’accéder aux canots reviennent dans de nombreux récits.

Les chaloupes, pas assez nombreuses, auraient selon plusieurs témoins fait des allers-retours entre la côte et le navire pour récupérer de nouveaux passagers. D’autres n’ont pas eu la chance de pouvoir grimper sur une embarcation. Un couple originaire de Saint- Etienne a dû sauter à l’eau pour rejoindre à la nage la rive, raconte La Provence. Auparavant, il a dû briser une porte vitrée pour se dégager des couloirs intérieurs du navire.

• 23h40. Le commandant du navire est retrouvé sur le rivage de Giglio, alors que la plupart des passagers tentent encore de quitter le Costa Concordia.

• 3h15. Le commissaire de bord du navire, Manrico Giampietroni, aide depuis plusieurs heures les passagers à embarquer dans les canots de sauvetage. Alors qu’il se rend à la passerelle de commandement, le sol cède sous lui. « J’ai dû tomber de quatre ou cinq mètres et j’ai senti une grande douleur à la jambe », explique-t-il. L’homme constate qu’il se trouve dans le salon restaurant, où l’eau commence à monter doucement. Il monte sur une table pour se protéger. « J’étais dans le noir, j’étais terrorisé d’être tout seul dans l’obscurité même si je n’ai jamais perdu espoir ».

Samedi

• Matinée. Les passagers survivants ont passé la nuit à Giglio, certains dans l’église, la majorité dehors. Au matin, ils sont acheminés en bus vers le continent. Les Français rejoignent Marseille, point de départ de la croisière, avant de repartir chez eux. Selon le bilan provisoire, trois personnes sont décédées, dont deux retraités français originaires de La Rochelle et de Toulouse.

• 20h45. La justice italienne annonce l’arrestation et l’incarcération du commandant du navire, Francesco Schettino. Il est accusé d’homicide multiple, de naufrage et d’abandon de navire.

Dimanche

• 1h : le couple sud-coréen coincé depuis 30 heures dans sa cabine est secouru. Il raconte s’être nourri de biscuits et d’eau, et d’avoir crié sans relâche pour alerter les secouristes de leur présence. « Il faisait nuit noire dans la cabine. On ne pouvait savoir si c’était le jour ou la nuit que grâce à un rai de lumière qui passait dans un tout petit trou, dans le mur », explique la jeune mariée.

• 12h. Le commissaire de bord du navire, Manrico Giampietroni, est sauvé. « Quand j’ai entendu qu’ils arrivaient vers moi, qu’ils m’entendaient crier et pleurer, cela a été une expérience incroyable », raconte-il.

• 16h. Deux corps sont retrouvés à l’arrière de la partie immergée du navire. Il s’agit d’hommes de nationalité italienne et espagnole.

Lundi
6h. Les secours découvrent un nouveau cadavre dans l’épave du Concordia. On ignore sa nationalité. Il s’agit de la sixième victime du naufrage.

Le Figaro.fr - 16 janvier 2012


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