Dans une décision inédite, la cour d’appel de Paris a donné raison jeudi aux familles des victimes du crash aérien de 2004 à Charm el-Cheikh, qui souhaitent voir dépayser le procès civil aux Etats-Unis où, selon elles, la responsabilité de Boeing pourrait être mise en cause.
Le 27 juin 2006, en première instance, le tribunal de Bobigny avait jugé irrecevable la demande des familles d’écarter sa compétence au profit de la juridiction américaine.
Lors de l’audience du 22 janvier devant la cour d’appel de Paris, l’avocate générale avait jugé les requérants fondés à saisir une juridiction française pour l’interroger sur sa compétence, contrairement à ce qu’avait estimé le TGI de Bobigny.
Jeudi, la 1ère chambre civile l’a suivie et "a infirmé le jugement", une décision pour le moins inédite qui a réjoui les parties civiles.
"C’est la porte ouverte à un retour du dossier aux Etats-Unis", a concédé pour sa part Me Denis Chemla, avocat de l’équipementier aéronautique américain Honeywell.
"Nous allons étudier l’arrêt et décider si nous formons ou non un pourvoi en cassation", a-t-il ajouté, "très surpris par cette décision", qui constitue une véritable "innovation juridique".
"L’appel n’étant pas suspensif, demain, on y est (aux Etats-Unis, ndlr) !, On n’a pas fait tout ça pour rien", a réagi le président de l’association de défense des familles des victimes, Marc Chernet, exprimant "un extrême contentement" face à un arrêt ayant "valeur de jurisprudence".
L’hypothèse de la responsabilité du constructeur du 737 qui s’était abîmé en mer au large de la station balnéaire égyptienne le 3 janvier 2004 (148 morts dont 134 Français) n’a pas été établie dans l’enquête du BEA français qui a mis en cause le pilote.
Or pour les avocats des familles, un dépaysement du volet civil du dossier devant un juge américain "aboutirait inévitablement à la mise en évidence de défauts de fabrication" de l’appareil.
En 2005, le juge californien auquel avaient été soumis les intérêts civils avait invoqué la règle de "forum non conveniens", qui lui permet de renvoyer une affaire devant une juridiction étrangère s’il l’estime plus compétente.
Mais, rappelle l’un des avocats des familles, Me Arnaud Claude, il avait alors "expressément stipulé qu’il reprendrait le dossier en cas de refus français".
Si l’affaire est jugée aux Etats-Unis - d’ici trois à quatre ans - les plaignants pourraient bénéficier d’une disposition légale sans équivalent en droit français, la "discovery procedure".
Celle-ci contraindrait les sociétés américaines poursuivies (Boeing, le loueur d’avions ILFC, les équipementiers Honeywell et Parker Hannifin) à déposer sous serment devant un jury et à participer à un débat d’experts produisant des documents potentiellement compromettants.
"Le seul but recherché par nos clients : c’est la recherche de la vérité sur les causes de cette catastrophe", assure Me Arnaud Claude, d’autant plus satisfait que cette décision est "une première".
Selon son fils, Me Christopher Claude, avocat au barreau de New York, c’est en effet la première fois qu’une juridiction, non seulement française mais plus largement internationale, se déclare incompétente suite à une procédure de "forum non conveniens".
Le volet pénal lui se poursuit en France, à Bobigny. Le dossier a d’ailleurs changé de mains en janvier, le juge d’instruction Marc Sommerer ayant succédé à André Dando.
Dans un rapport récemment versé au dossier d’instruction, quatre experts indépendants évoquent "une déficience humaine" liée à une "absence de compétence" du pilote. Une expertise dont les parties civiles contestent l’impartialité vis-à-vis de Boeing.
AFP, le 6 mars 2008.