Daniel Larribe, ex-otage : "Nous éprouvions de la compassion pour certains de nos gardiens"

Deux jours après une première intervention dans le journal de 20 heures de France 2, l’ancien otage d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) dans le Sahel Daniel Larribe, libéré à la fin d’octobre, revient longuement sur sa détention dans un entretien avec l’hebdomadaire protestant Réforme, mercredi 6 novembre, en compagnie de sa femme Françoise, enlevée au même moment (septembre 2011) mais libérée cinq mois plus tard.

Les conditions de détention : "Nous étions bien traités"

Les sept otages, dont cinq Français, enlevés le 16 septembre 2010 à Arlit, au Niger, étaient "gardés par un groupe de sept à quatorze moudjahidins [combattant islamiste au nom du djihad], qui avaient deux véhicules, un chef et un imam", explique Daniel Larribe. Ces gardiens parlaient parfois "tamachek, la langue des Touareg", parfois "arabe", certains étaient "anglophones, venus du Nigeria ou du Ghana", d’autres "hispanophones, des Sahraouis des îles Canaries". "Nous n’avons jamais rencontré de gardes français, même si on nous a dit qu’il y en avait", ajoute l’ex-otage.

"Dans notre malheur, nous avions de la chance, car nous étions bien traités, affirme l’ex-otage. Ils nous ont nourris et soignés. Ils respectaient le Coran, qui dit que les prisonniers doivent être nourris, soignés et mis en sécurité."

Les prisonniers ont été frappés par la jeunesse des moudjahidins, avec qui la communication se limitait au "strict minimum". "[Ils] avaient entre 20 et 30 ans, parfois, ils étaient plus jeunes, ce pouvait être des adolescents de 15 ans, assure Daniel Larribe. Nous éprouvions de la compassion pour certains de nos gardiens qui étaient jeunes et malléables. Je me souviens d’un jour de bombardement, un gamin a dissimulé sous sa veste un sachet de lait en poudre pour nous le donner en catimini." "J’en veux plus aux gens qui les ont manipulés, comme Abou Zeid [chef d’AQMI, tué lors de l’opération militaire française en février 2013], mais pas aux gardiens qui exécutent les ordres", ajoute Françoise Larribe.

L’opération Serval : "Ils ont failli nous dézinguer !"

Avant même le lancement de l’opération militaire française contre les islamistes dans le nord du Mali, en janvier 2013, les otages sentaient "les prémices d’une intervention". "Au début de notre détention, il y avait une surveillance aérienne intense, avec un quadrillage systématique, qui faisait penser qu’une intervention aérienne ou terrestre était en préparation. Parfois, la nuit, ils prenaient des photos infrarouges", explique Daniel Larribe.

Quand elle a appris le début de l’opération, Françoise Larribe a "eu très peur". "Je savais que les otages étaient sous les bombes. Je l’ai dit au président Hollande, assure-t-elle. Je pouvais comprendre l’opération Serval, mais je ne comprenais pas que l’on engage la vie de quatre Français pris en otage sur place. Les quatre familles étaient très conscientes du danger."

Sur le terrain, Daniel Larribe explique que les otages ont "été exfiltrés par des moudjahidins qui voulaient [les] éloigner des zones de combat".

"Dans la nuit, nous avons été transportés dans l’ouest du Mali, vers une zone que nous ne connaissions pas du tout. Nous avons été ensemble environ cinquante jours. Comme Pierre et Marc [deux autres otages] pouvaient écouter Radio France internationale, ils nous donnaient des nouvelles politiques, du monde. C’est fin février 2013 que j’ai appris que François Hollande était le nouveau président de la France. J’ai aussi appris qu’Abou Zeid, le chef des moudjahidins qui nous gardaient, avait été tué le premier jour de l’opération Serval."

Après son retour en France, une de ses premières paroles à Jean-Yves Le Drian, le ministre de la défense, fut que l’armée française avait "failli [les] dézinguer lors de l’opération Serval !"

Le retour : "L’impression d’être des potiches"

Après leur libération, annoncée le 29 octobre par François Hollande, les ex-otages ont "dû subir les affres protocolaires au Niger puis à l’aéroport de Villacoublay". "C’était hallucinant. Toutes ces caméras, les hommes politiques, les ambassadeurs, le président du Niger... On avait l’impression d’être des potiches", déplore Daniel Larribe.

L’ancien otage explique pourquoi ses codétenus et lui n’avaient pas souhaité prendre la parole quand le président de la République les y a invités, en arrivant sur le sol français. "Nous avions déjà dit dans l’avion que nous ne souhaitions pas parler, affirme M. Larribe. Nous étions dans une fragilité psychologique."

Lemonde.fr - 07 novembre 2013


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