Dans la déroutante cellule terroriste de Cannes-Torcy, le cas Amselem

Le procès de la cellule djihadiste Cannes-Torcy se poursuit à la cour d’assise spéciale de Paris. Un procès marqué par les profils particulièrement atypiques des 19 prévenus. Parmi eux, Michaël Amselem, 27 ans. De descendance juive, le jeune homme est accusé d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme.

Sur le seuil de la cour d’assise spéciale de Paris, un père envoie à son fils cadet un dernier baiser après avoir tendrement porté à ses lèvres le bout de ses doigts. Ce père, 83 ans, un commerçant à la retraite, juif non pratiquant, s’apprête à témoigner dans le procès de la cellule terroriste Cannes-Torcy, qui se déroule dans la capitale jusqu’au 21 juin, aux côtés de son fils Michaël Amselem, un "enfant charmant", accusé depuis 2012 avec dix-neuf autres prévenus d’association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme. Le fils, 27 ans, libre sous contrôle judiciaire, à la taille fluette et aux épaules larges, "très attaché à la famille" - notamment à sa sœur "adorée", Jennifer, juive pratiquante - comparaît pourtant pour s’être radicalisé selon les magistrats instructeurs au contact d’une filière djihadiste et d’un gourou qui avait de son propre aveu, "la haine des juifs".

Comment Michaël Amselem en est-il arrivé là, à partager à l’été 2012 un studio sur la côte d’Azur à Cannes avec un ami d’enfance également mis en cause dans le dossier, et Jérémie Louis-Sidney, le gourou du groupe tué lors de son interpellation en 2012 ? Comment a-t-il accepté d’aller récupérer pour lui plusieurs kilos "de salpêtre" - du nitrate de potassium, possible composant d’engins explosifs – début septembre 2012 quelques jours après que Louis-Sidney lui a demandé d’appeler une association juive niçoise afin de pouvoir la "localiser" ? Lui-même ne semble pas se l’expliquer.

"Quand j’ai compris, je suis parti"

Des faits, il n’en sera de toute façon pas question ce mardi 2 mai à l’audience - ils seront exposés à partir du 16 mai - même si les chefs d’inculpation ne cessent de planer sur les débats menés autour de la personnalité du jeune homme. Bien que Michaël Amselem ne soit pas poursuivi, à l’instar de plusieurs autres co-prévenus, pour sa participation à l’attentat à la grenade commis le 19 septembre 2012 contre une épicerie juive de Sarcelles (Val d’Oise), son ADN a en effet été retrouvé sur un minuteur suspecté de servir à terme comme système de mise à feu. Ce système, le chef de la bande Louis-Sidney le manipulait d’ailleurs, tout comme le salpêtre qu’il travaillait dans un mixeur à Cannes, sous les yeux d’Amselem.

La scène, qu’il raconte en détail aux enquêteurs, aurait été l’élément déclencheur d’une prise de conscience tardive qu’il résume à l’audience par des phrases bien construites, une certaine aisance à l’oral et un "putain c’est chaud". Fraîchement converti à l’islam à l’époque, en quête de "réponses", Amselem a de fait expliqué avoir eu à ce moment là un déclic et décidé de quitter Cannes pour retrouver le domicile de sa mère, dans les beaux quartiers de Paris, quelques jours à peine avant l’attentat de Sarcelles. "Quand j’ai vraiment compris, je suis parti", a-t-il ainsi confié aux juges.

Les documents retrouvés sur son ordinateur portable lors de son interpellation interrogent cependant cette chronologie des faits. Plusieurs vidéos de propagande djihadiste téléchargées entre juin 2011 et mai 2012 montreraient en réalité, d’après l’accusation une radicalisation antérieure à son séjour cannois. Bien avant de rejoindre son ami sur la côte, Michaël Amselem se serait effectivement lui-même procuré une série de documents sur "Cheikh Oussama Ben Laden", "Abou Moussab al-Zarqawi", (ancien chef d’Al-Qaida en Irak) ou encore sur "Le chevalier de Toulouse", Mohammed Merah, le tueur au scooter qui a assassiné à Toulouse et Montauban sept personnes dont trois enfants juifs.

"Aucun problème"

Des vidéos d’autant plus surprenantes qu’au même moment, entre 2011 et 2012, Michaël Amselem part vivre quelques temps à Strasbourg au plus près de sa sœur, désormais installée comme leurs deux frères aînés en Israël. "Mes frères pratiquent, d’où le fait qu’ils soient partis en Israël, libres à eux", estime aujourd’hui le cadet face aux juges. L’islamisme radical, il en est quant à lui revenu lorsqu’il est parti de Cannes. L’islam, il l’a également quitté depuis malgré "une foi décuplée". "Je ne vais pas vous le cacher, je ne suis plus musulman," révèle-il à l’audience au cours d’une séquence qui cristallisera toute l’ambiguïté de son parcours.

Sportif et fumeur de joint, en décrochage scolaire mais multipliant facilement les petits boulots, dans une relation "fusionnelle" avec une mère "souvent absente", Amselem expliquera au président du tribunal avoir à la fois trouvé des "incohérences" dans l’islam et constaté à travers ses lectures que "l’interprétation" faite des "hadiths"** par les islamistes radicaux était parfois "vraie". "Ce que mon client veut dire" c’est que certains éléments peuvent être "vérifiables" dans les textes, s’empresse de préciser son avocat.

Vrai, vérifiable, actif, passif… la trajectoire de Michaël Amselem déroute alors que tout, à chaque fois, avait bien commencé. L’école primaire : "très bien passée". (…) Le collège : "plutôt bien passé", (au début). (…) Les petits boulots : Adidas, "il a été embauché". Monoprix, "il a donné satisfaction". (…) A Leroy Merlin, "ça s’est très bien passé". (…) La santé : "aucun problème". Les parents : "bonnes valeurs. Vraiment. Il n’a jamais manqué de rien, jamais eu à se plaindre de quoi que ce soit" ni même de leur divorce. "Ils ont fait en sorte de bien faire les choses". Alors pourquoi ? ont cherché à éclaircir les magistrats au cours de l’audience. Comment ce jeune "privilégié", selon ses propres termes, de descendance juive a-t-il basculé ?

Pourquoi quoi ? Interrogé à la barre ce mardi 2 mai, le père - entre déni et problèmes d’audition - n’est pas toujours parvenu à comprendre les questions...

**hadiths : Recueil des actes et des paroles de Mahomet et de ses compagnons, à propos de commentaires du Coran ou de règles de conduite.

Source : marianne.fr
Auteur : Patricia Neves
Date : 4 mai 2017

Crédit photos : Source : marianne.fr Auteur : Patricia Neves Date : 4 mai 2017

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