Drame de Rochefort : deux ans après, la douleur des familles reste vive

Deux ans après l’accident entre un camion et un car scolaire qui a coûté la vie à six adolescents, la douleur est encore à vif.

Les avocats qui accompagnent des victimes le savent, il y a des coups de téléphone qui en disent long sur la douleur ressentie. Le 14 décembre dernier, Me Régis Sainte-Marie Pricot a reçu l’un de ces appels. « Avec pudeur, mon client m’a juste demandé où en était son affaire. Je me suis demandé Pourquoi aujourd’hui ? En raccrochant, j’ai allumé la radio, et j’ai compris » : une collision entre un car scolaire et un train venait de se produire à un passage à niveau à Millas (Pyrénées-Orientales), tuant six adolescents.

Un drame qui fait inévitablement écho à celui que vivent, depuis deux ans, les familles d’Axel, Bastien, Florian, Kevin, Tanguy et Yoni. Vers 7h10, le 11 février 2016, leur car scolaire avait heurté, à hauteur de Rochefort (Charente-Maritime), un camion-benne dont la ridelle, ouverte à 90 degrés, avait cisaillé le bus sur toute sa longueur. Les six adolescents âgés de 15 à 18 ans, tous assis côté gauche, sont morts sur le coup. Deux autres ont été grièvement blessés. « Même si les circonstances ne sont pas les mêmes, l’accident de Millas a évidemment replongé leurs proches dans l’horreur », abonde Me Céline Tixier, qui accompagne deux de ces familles endeuillées.

Alors que l’instruction, qui s’approche de son terme, a mis en évidence une erreur humaine comme étant à l’origine du drame, deux ans après, ces familles vivent avec cette douleur encore à vif. « Certains sont dans la révolte, d’autres anéantis... relate Me Sainte-Marie Pricot. L’un de mes clients a perdu son fils unique, poursuit l’avocat. A son retour d’arrêt maladie, son entreprise l’a affecté au parcours entre Oléron et Surgères, le même que celui du bus dans lequel son fils est décédé... Il a démissionné. »

La souffrance des rescapés

Il y a aussi, outre les blessés, sept rescapés qui ont été confrontés à l’insoutenable. « Ce sont des choses que l’on espère ne jamais voir dans une vie et qu’ils sont trop jeunes pour assumer », décrit Me Tixier. Tous sont habités par la culpabilité, celle d’avoir été épargnés, simplement parce qu’ils avaient choisi un siège plutôt qu’un autre. Il y aussi le chauffeur du car, qui, trop éprouvé, a changé de métier. Et au-delà, les camarades des victimes, et une région traumatisée.

« Notre ville est marquée à jamais », confirme Hervé Blanché. Le maire de Rochefort garde de ce matin-là l’image d’un « carnage » mais aussi le « souvenir glacial » du moment où les décès ont été confirmés aux familles. « C’étaient des cris qui sortaient de leurs entrailles... » décrit-il, ému. Le procès à venir ne suffira sans doute pas à l’apaiser, même si les familles « ne veulent pas d’un bouc émissaire, mais qu’on établisse l’ensemble des responsabilités », décrit Me Tixier. Allusion à l’éventuelle mise en cause de l’entreprise Eiffage, employeur du chauffeur de camion, qui a longtemps été éloigné de la région par la justice pour sa sécurité. Son avocat, Me Thierry Sagardoytho, qui le dit « très affecté », a demandé des expertises complémentaires en ce sens. A Rochefort, un arbre du souvenir portant les noms des victimes a été planté, loin de la route où s’est déroulé le drame. Celle-ci est en effet promise à la destruction, dans le cadre de l’agrandissement à venir du port. « Ce sera un soulagement de la voir disparaître », souffle Hervé Blanché.

L’erreur humaine au cœur de l’enquête

Leurs conclusions sont aussi terribles qu’implacables. Les experts du BEA-TT (Bureau d’enquêtes sur les accidents de transport terrestre) viennent de rendre leur rapport sur la collision mortelle de Rochefort. Au cœur de leurs investigations : la ridelle du camion, cette paroi latérale que l’on peut ouvrir à angle droit, et qui, faute d’avoir été remontée, avait cisaillé le car scolaire sur toute sa longueur.

Un oubli du conducteur.

Cet homme de 23 ans, employé depuis trois ans de l’entreprise Eiffage, qui partait charger des graviers, a toujours assuré qu’en quittant le dépôt la ridelle était refermée. En tout état de cause, ajoute-t-il, il l’aurait vue dans ses rétroviseurs. Et cette ridelle de 83 cm de large, si elle avait été oubliée à l’horizontale, aurait nécessairement heurté le portail de l’entreprise ou des panneaux sur son passage. La reconstitution a prouvé le contraire. De même n’a-t-il pas remarqué que, 400 m après son départ du dépôt, un automobiliste avait dû faire un écart pour l’éviter.

Pas de dysfonctionnement.

Le camionneur avait constaté, un mois plus tôt, une fuite hydraulique sur le vérin arrière de la ridelle, qui n’avait pas été réparée. Mais les experts du BEA-TT estiment qu’elle n’a eu « aucune conséquence négative sur [son] bon fonctionnement ». Conclusion : celle-ci n’a pas pu s’abaisser seule. Par ailleurs, les dépistages d’alcoolémie et de stupéfiants se sont révélés négatifs, l’homme ne prenait pas de médicaments ayant pu altérer sa vigilance et avait dormi normalement la nuit précédente.

Des facteurs aggravants.

A 7h08, lorsque le conducteur du camion redémarre après avoir ouvert sa ridelle pour faire le plein de carburant au dépôt, il fait encore nuit. Il y a bien un éclairage, mais la partie gauche du camion se situe dans l’ombre : le conducteur a pu ne pas voir la ridelle ouverte, en dépit d’un coup d’œil dans le rétroviseur. De même, le chauffeur de l’autocar, en raison de la bruine et du manque de lumière, ne verra la ridelle qu’au dernier moment. Trop tard pour éviter le choc, sur cette portion de route particulièrement étroite.

L’absence d’alarmes.

Aucun signal — sonore ou visuel — n’existe sur ce type d’engins en cas d’ouverture/fermeture de la ridelle, ou plus tard, pendant la circulation. Leur présence aurait sans doute permis d’éviter ce drame, estime le BEA-TT, qui recommande « de rendre obligatoire l’installation dans la cabine » de ces dispositifs d’alerte. Ils « pourraient être remplacés/complétés par des dispositifs empêchant ou limitant à une vitesse très faible (par exemple 5 km/h) l’avancée du véhicule » lorsqu’une telle anomalie est détectée, ajoutent ses experts.

Date : 13/02/18
Auteur : Louise Colcombet
Source : Le Parisien

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