En Europe, la belle solidarité des victimes de terrorisme

Les associations tentent de s’organiser pour mieux s’entraider et faire entendre leurs revendications auprès des autorités.

Life for Paris. 13Onze15 – Fraternité et Vérité. V-Europe. Promenade des anges –14 juillet 2016. Presque chaque attentat djihadiste commis ces dernière années en Europe a donné naissance à une voire plusieurs associations de victimes. Aujourd’hui, celles-ci cherchent à unir leurs forces au niveau européen, avec deux objectifs principaux en tête : apporter un soutien mutuel à leurs membres et obtenir un accompagnement digne des victimes d’attentats dans toute l’UE.

Le 22 mars 2016, Thomas Savary a perdu sa belle-mère dans l’attaque terroriste perpétrée à l’aéroport de Zaventem. Deux mois plus tard, lui et d’autres victimes des attentats de Bruxelles ont décidé de rencontrer les associations Life for Paris et 13onze15 –Fraternité et Vérité, fondées après le 13 novembre 2015, afin de bénéficier de leurs conseils. En Belgique, il n’existait alors pas d’équivalent de l’AFVT (Association Française des Victimes du Terrorisme) et de la FENVAC (Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’accidents Collectifs). À l’exception d’un réseau de plaidoyer, Victim Support Europe.

« Nous avons ce vécu légèrement différent des autres que personne ne comprend »

« Quand j’ai rencontré pour la première fois Georges Salines, président de 13onze15, qui a perdu sa fille au Bataclan, ce qui était assez étrange, c’est qu’on se comprenait. Nous avons vécu des événements similaires : il a cherché sa fille pendant une journée, tandis que j’ai cherché ma belle-mère pendant quatre jours. Nous avons été victime des mêmes terroristes. Nous avons ce vécu légèrement différent des autres que personne ne comprend. Le 22 mars, j’ai parcouru tous les hôpitaux pour chercher ma belle-mère. L’attente, le fait de ne pas savoir, c’est ce que partagent les gens qui ont perdu un proche, à Nice, à Zaventem, au Bataclan », raconte Thomas Savary.

Un point de vue partagé par Caroline Langlade, présidente de l’association de victimes des attentats du 13 novembre Life for Paris. Selon elle, les victimes d’attentats tendent à traverser des étapes similaires et à réagir de la même façon à l’occasion de moments spécifiques tels que les commémorations.

« Ce n’est pas tant le terrorisme qui nous rapproche que d’avoir fait face à sa mort ou à la mort d’un proche dans des circonstances extrêmement violentes. On n’a même pas besoin de mots. En voyant Thomas [Savary], je mesurais ce qu’il traversait et je pouvais même anticiper ce qu’il allait affronter ensuite, par exemple au moment des commémorations, et lui dire comment se protéger », raconte-t-elle.

L’expérience précieuse des victimes d’attentats plus anciens

Les victimes des attentats perpétrés ces dernières années en Europe ont trouvé un soutien précieux dans les associations constituées après des attaques terroristes plus anciennes, notamment le massacre d’Utøya en Norvège. Ces dernières ont pu se structurer efficacement avec l’aide du Parti travailliste norvégien, car ce sont les membres de sa ligue de jeunesse qui ont été ciblés par Anders Breivik.

« Ce qui s’est passé à Utøya, ce n’était pas du terrorisme islamiste mais ça comportait des points communs avec le Bataclan : beaucoup de jeunes et l’utilisation d’armes automatiques. Nous avons travaillé ensemble sur le soutien psychologique. Les Norvégiens nous ont rassuré sur les désaccords que nous avions entre victimes, comme quoi ils étaient normaux. Ces associations organisent beaucoup d’activités qui permettent aux victimes de se retrouver », explique Georges Salines.

Selon Caroline Langlade de Life for Paris, les victimes d’attentats plus anciens apportent un soutien à plusieurs niveaux. Premièrement, elles permettent de se sentir moins isolé. Deuxièmement, elles apportent des conseils pratiques sur le suivi médical, psychologique et les démarches administratives. Enfin, elles permettent de se projeter vers un avenir plus serein, bien que le traumatisme demeure.

« Cela aide d’entendre : tu n’oublieras jamais, mais ça va s’apaiser et voici ce que tu peux faire si ça ne va pas. Avec Life for Paris, nous avons noué des relations avec des associations d’aide aux victimes plus anciennes, comme Victim Support Europe en Belgique et Voices of September 11th aux États-Unis. Nous avons comme marraine associative Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats en 1985 », détaille Caroline Langlade.

Une solidarité entre associations

À l’échelle de la France, les associations de victimes d’attentats ont agi ensemble sur différents dossiers. Plusieurs d’entre elles ont milité pour obtenir la reconnaissance du préjudice d’angoisse (« la reconnaissance d’une souffrance générée par la conscience d’une mort imminente ») par le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions). Elles l’ont obtenue fin mars.

« Nous avons eu de nombreux contacts avec les associations de victimes du 13-Novembre. Elles nous ont aidés à nous mettre en place, et nous avons eu des démarches communes. Nous avons interpellé les candidats à la présidentielle sur leurs propositions en matière de terrorisme et le FGTI sur la reconnaissance du préjudice d’angoisse », raconte Émilie Petitjean, présidente de l’association Promenade des Anges, qui regroupe des victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice.

Quelques semaines après les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, Thomas Savary, qui souhaitait créer une association de victimes, a pris contact avec Georges Salines, président de 13onze15 –Fraternité et Vérité. Ils se sont rencontrés à Paris, ce qui a permis à Thomas de dissiper ses incertitudes sur la création d’une telle structure.

« Thomas et son beau-père souhaitaient créer une association mais ils rencontraient des difficultés. Je leur ai conseillé de créer d’abord une page Facebook et un compte Twitter, je leur ai passé nos statuts pour qu’ils puissent s’en inspirer. On est resté en contact depuis. Pour nous, le 22 mars a une signification particulière car c’est le même commando terroriste qui a frappé à Paris et à Bruxelles », détaille Georges Salines.

Confronté au manque d’aide de la part des autorités belges, Thomas Savary et l’association V-Europe se sont tournés vers une autre association française, la FENVAC (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs) qui leur a apporté une assistance précieuse.

« Depuis novembre, on demande des locaux, parce qu’on gère 150 dossiers. Le Premier ministre et le Palais Royal ont dit qu’ils allaient en fournir, mais on n’a rien eu. Finalement, la FENVAC, a accepté de nous prêter des locaux gratuitement. Au final, c’est la France qui nous prête des locaux en Belgique, c’est ça qui est hallucinant », constate Thomas Savary en nous montrant le trousseau de clés remis par la FENVAC.

D’un pays à l’autre, une assistance de l’État très inégale

En Europe, les régimes d’aides aux victimes sont très inégaux. Les pays les plus exposés au terrorisme et aux catastrophes naturelles ont développé des systèmes adaptés. D’autres sont moins bien équipés. La France dispose par exemple d’un secrétariat d’État dédié et de d’un fonds spécifique, le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions), financé par une taxe dédiée sur les contrats d’assurance. À l’inverse, la Belgique, relativement épargnée par le terrorisme, n’était pas préparée à prendre en charge les victimes des attentats du 22 mars 2016.

« On n’a pas eu du tout d’accompagnement de l’État, la Belgique n’était pas prête. En France, dans les quarante-huit heures qui suivent un attentat, le FGTI peut contacter les victimes, sur la base du listing établi par le procureur de la république, afin de les accompagner financièrement mais aussi psychologiquement. En Belgique, il existe une commission d’aide aux victimes mais elle n’a pas le droit de les contacter. Pour ce qui est de l’indemnisation, elle est soumise à des évaluations : on a demandé à ma fille et à ma femme de faire un courrier pour expliquer en quoi ça avait changé leur vie d’avoir perdu ma belle-mère », dénonce Thomas Savary.

Au mois de mars, l’association Life for Paris a réuni plusieurs associations étrangères afin de dresser un état des lieux des dispositifs d’aide aux victimes en Europe. De grandes disparités apparaissent : en Espagne, les compensations financières atteignent minimum 250.000 euros, tandis qu’en Allemagne, elle se limitent à un euro symbolique.

« L’Espagne, l’Italie et la France sont les pays qui prennent le mieux en charge leurs victimes. La France indemnise à la fois les victimes françaises à l’étranger et les victimes étrangères en France. Notre souhait, c’est que chaque victime d’un attentat en Europe, peu importe sa nationalité, puisse bénéficier d’un accompagnement équivalent à celui du FGTI français, quel que soit l’endroit où elle réside », explique Thomas Savary.

Des efforts communs pour améliorer la prise en charge des victimes en Europe

Le terrorisme djihadiste est internationalisé, tout comme ceux qu’il frappe. Le 22 mars 2016 à Bruxelles, 24 nationalités différentes étaient représentées parmi les morts et les blessés. Or, une personne touchée par le terrorisme dans un autre pays que le sien ne pourra pas nécessairement bénéficier de l’aide aux victimes, parfois réservée aux nationaux. Si elle y a droit, mais qu’elle retourne dans son pays, l’assistance risque fort de s’interrompre.

« Le terrorisme n’a pas de frontières, l’aide aux victimes ne doit pas en avoir non plus. On demande que chaque pays crée un fonds de garantie pour prendre en charge les victimes. On aimerait aussi une cellule européenne sur le terrorisme, l’utilisation de la sécurité sociale européenne. En France, toutes les victimes ont accès aux mêmes droits en théorie, mais quand elles rentrent chez elles, elles doivent de nouveau payer elle-mêmes leurs soins », déplore Caroline Langlade, de Life for Paris.

Le 10 mars dernier, à la veille de la journée internationale des victimes du terrorisme, un premier pas a été franchi dans cette direction : une « feuille de route » commune a été signée par huit pays européens (Belgique, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, République tchèque et Roumanie). Il s’agit d’aider les victimes d’attentats de façon mieux coordonnée, « de façon que si on est victime ici ou là on ait les mêmes droits », selon les mots de François Hollande. À défaut de mieux prévenir le terrorisme, les pays européens sont-ils capables de prendre en charge dignement ses victimes ?

Source : slate.fr
Auteur : Antoine Hasday
Date : 19 avril 2017

Crédit photos : Source : slate.fr Auteur : Antoine Hasday Date : 19 avril 2017

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