FAUT-IL EXTRADER HASSAN DIAB ?

Le 3 octobre 1980, Gilles-William Goldnadel était au 26 de l’avenue Kléber lorsque, vers 18 h 40, il entendit une immense explosion. Le jeune avocat et sa consoeur, Aude Weill-Raynal, se précipitèrent aussitôt à 100 mètres de là où ils découvrirent une véritable scène de guerre. Devant la synagogue de l’avenue Copernic, « c’était l’horreur. Nous étions au milieu des cadavres ensanglantés et des blessés au visage arraché ». Ce premier attentat néonazi commis en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale fit 4 morts et 46 blessés. Mais il aurait pu en faire des centaines puisque dans la synagogue, une cérémonie religieuse regroupant 300 fidèles était sur le point de prendre fin.

Quarante-trois ans plus tard, ce n’est donc pas tout à fait un hasard si ces deux avocats se sont retrouvés du côté des parties civiles dans le procès qui, le 21 avril dernier, a déclaré le Libano-Canadien et ancien professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa Hassan Diab coupable de cet attentat. Malgré son refus de participer au procès, les juges de la Cour d’assises spéciale de Paris l’ont condamné à la prison à perpétuité après trois semaines d’audiences et huit heures de délibéré.

« Le gouvernement canadien se déshonorerait s’il n’extradait pas Hassan Diab, soutient Gilles-William Goldnadel. M. Diab a fait l’objet d’une condamnation par une justice qui est considérée internationalement comme sérieuse et équitable. Il y a des conventions d’extradition dans les deux sens entre le Canada et la France. Il faudra m’expliquer pourquoi le Canada n’extraderait pas Monsieur Diab. Il n’y a aucune raison pour cela. »

Pourtant, rien ne semble évident pour l’instant. « Nous examinerons attentivement les prochaines étapes de ce que le gouvernement français choisit de faire, ce que les tribunaux français choisissent de faire. Mais nous serons toujours là pour défendre les Canadiens et leurs droits », a déclaré le premier ministre Justin Trudeau à l’issue du procès.

Hassan Diab clame toujours son innocence. « Nous espérions que la raison l’emporterait », avait-il déclaré devant la presse à Ottawa, le 21 avril, parlant d’une situation « kafkaïenne ».

La piste palestinienne

Car, rien n’est simple dans cette saga judiciaire qui s’étire sur plus de quatre décennies. Si les policiers apprendront rapidement que la moto piégée qui a causé l’explosion avait été achetée par un homme qui avait résidé à l’hôtel Celtic et qui se présentait comme un ressortissant chypriote appelé Alexander Panadriyu, il n’en va pas de même pour la suite. Alors que le lendemain du drame 200 000 personnes descendaient dans la rue pour dénoncer un attentat néonazi, la justice française perdra un temps précieux avant de se résoudre à suivre la piste palestinienne.

Il faudra attendre 1999 pour que les soupçons se portent sur Hassan Diab et que la Direction de la sécurité du territoire (DST) affirme qu’il avait fait partie d’un commando arrivé d’Espagne peu avant l’attentat. On apprend alors qu’en octobre 1981, un membre du Front de libération de la Palestine — opérations spéciales (FPLP-OS) —, une organisation terroriste palestinienne dissidente, fut interpellé à l’aéroport de Rome avec en sa possession le passeport libanais d’Hassan Diab. Un passeport qu’il prétendra avoir perdu par hasard sur une route libanaise. Non seulement la photo ressemble au portrait-robot de Panadriyu, mais les tampons indiquent que Diab aurait rejoint l’Espagne peu avant l’attentat et l’aurait quittée peu après. Il s’agirait donc de la même personne.

En 2008, un mandat d’arrêt est lancé par le juge antiterroriste Marc Trévidic. À cette époque, Diab a déjà gagné les États-Unis, où il a poursuivi des études à l’université de Syracuse, avant de s’installer au Canada en 1987. Il faudra attendre 2014 pour que Diab soit extradé vers la France. C’est ici que la justice française va faire volte-face. Alors que le juge Trévidic est muté et que Diab est détenu depuis trois ans, en 2018, les deux nouveaux juges responsables du dossier prononcent, à la surprise générale, un non-lieu. Selon ses défenseurs, ce non-lieu révèle la fragilité des preuves contre Diab. Aussitôt relâché, il regagne le Canada accompagné par un émissaire de l’ambassade canadienne. « Ce qui est arrivé à Hassan Diab n’aurait jamais dû se produire », a déclaré Justin Trudeau en juin 2018 avant de promettre qu’il s’assurerait que « ça n’arrive plus jamais ».

« Des preuves accablantes »

Il faudra attendre 2021 pour que la Chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris invalide finalement ce non-lieu et exige un procès. Si Gilles-William Goldnadel ne s’explique pas ce non-lieu autrement que par des « raisons idéologiques » : il considère que les preuves de la culpabilité de Diab sont nombreuses. « Il n’y a pas que des analyses graphologiques concordantes, dit-il. Il y a la reconnaissance de Diab par l’employé qui a vendu la moto de l’attentat. Il y a le passeport de Diab retrouvé là où il ne le fallait pas. Ce sont des preuves accablantes. D’autant que sa défense a été pour le moins confuse sur sa présence au Liban à cette époque puisqu’il a cité deux dates différentes. Quant à ses fameux témoins, il a fallu attendre presque 40 ans pour que de soi-disant camarades d’université se souviennent providentiellement qu’il était dans le même amphithéâtre qu’eux lorsqu’il a passé un examen à la date de l’attentat. Mais de qui se moque-t-on ? »

En 2017, l’avocat Donald Bayne n’avait pas hésité à comparer le procès de son client à… l’affaire Dreyfus ! Selon la défense, l’inculpation ne repose sur aucune preuve matérielle démontrant que Diab était bien en France au moment de l’attentat. C’est aussi l’opinion du juge Jean-Marc Herbaut, qui avait prononcé le non-lieu (avec son collègue Richard Foltzer) et qui est venu témoigner au procès. Selon lui, les expertises graphologiques ne sont pas plus crédibles que la ressemblance de Diab avec un portrait-robot. Seul le passeport qu’il prétend avoir perdu lui pose problème, mais il a pu être utilisé par un tiers, a déclaré le juge, qui n’exclut pas une instrumentalisation par les services secrets israéliens. « Il existe des éléments contre Hassan Diab, mais trop ténus et contrebalancés par d’autres », a-t-il déclaré.

Ces explications à décharge n’ont visiblement pas convaincu la cour pour qui le passeport constitue une « pièce centrale », et les alibis de Diab demeurent « peu crédibles ». « Moi, je constate que la justice française a été tellement équitable à l’égard de Monsieur Diab qu’il a bénéficié d’un non-lieu totalement inespéré, dit M. Goldnadel. Il a été représenté par un avocat qui, à aucun moment, ne s’est rebellé contre la manière dont la justice française a agi à l’égard de l’accusé. Lui-même n’a pas cru devoir venir, pour des raisons qu’on peut parfaitement comprendre. Mais, en principe, quand vous êtes innocent, vous avez à coeur d’aller vous expliquer vous-même devant une justice qui est considérée comme équitable. »

À quand l’extradition ?

Le gouvernement français n’a pas encore demandé formellement l’extradition d’Hassan Diab que ses soutiens influents — parmi lesquels on compte Amnesty International et les critiques du NPD en matière de Justice et d’Affaires internationales Randall Garrison et Heather McPherson — pressent le gouvernement canadien de refuser. En théorie, les traités d’extradition signés par la France et le Canada ne permettent à la justice respective des deux pays de surseoir à une demande d’extradition que si cette demande est jugée « manifestement infondée ». Après qu’un juge a statué, la décision finale appartient au ministre de la Justice. Depuis l’extradition de Diab en 2014, des juristes réclament une réforme des procédures afin de les rendre plus contraignantes. Le principal intéressé réclame quant à lui 90 millions de dollars du Canada pour l’avoir extradé une première fois en 2014.

Au Canada, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a demandé au gouvernement canadien de respecter la décision des tribunaux français. Récemment, le quotidien Le Monde estimait qu’il y avait « très peu de chances » qu’une demande d’extradition soit exécutée au Canada « étant donné les tensions diplomatiques que cette affaire a déjà occasionnées entre Paris et Ottawa et en raison de la force du courant de soutien à Monsieur Diab ».

Pour Gilles-William Goldnadel, « si le Canada refuse l’extradition, ça veut dire que non seulement il manque à son devoir sur la loi d’extradition, mais que, d’autre part, il considère la justice française comme une justice de pacotille. Dans ce cas, je demande à la justice française de prendre les mesures de rétorsion nécessaires pour ne plus extrader vers le Canada. Le principe de réciprocité existe aussi en cette matière. »

Article par Christian Rioux publié sur :
https://www.ledevoir.com/monde/europe/790349/justice-faut-il-extrader-hassan-diab

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