LE FIGARO- Ayoub El Khazzanni, l’auteur présumé de l’attaque du Thalys ce vendredi, faisait l’objet d’une fiche « S ». Ce recensement n’a toutefois pas permis aux autorités d’appréhender le suspect avant son passage à l’acte. Quelle utilité revêt donc cette fameuse « fiche S » ?
Nathalie GOULET - Aujourd’hui des milliers de personnes font l’objet d’une fiche de renseignement. Il existe des fiches de renseignement à plusieurs échelons. La fiche S - pour sureté de l’État- recense notamment 5.000 personnes, dont des islamistes radicaux. Toutefois le plus étonnant depuis quelques années est de constater que la grande majorité des terroristes ayant commis des attentats sur le sol français faisaient l’objet d’une fiche « S ». Malgré tout, aucun d’entre eux n’a été intercepté avant le passage à l’acte. Dès lors, soit on arrête de parler de cette fiche, soit on la rend enfin efficace. Car un sentiment de lassitude se crée aujourd’hui autour de la fiche S. Il faut la rendre performante et véritablement utile. Des imams salafistes, en plus de faire l’objet d’un fichage, sont parfois soumis à un arrêté d’expulsion, mais restent malgré tout sur le sol français. Certes, on ne peut pas douter de la volonté du ministre de l’Intérieur de lutter activement contre le terrorisme. La classe politique est d’ailleurs véritablement mobilisée dans son ensemble : depuis Charlie, les moyens financiers en matière de recrutement, de logiciels, de matériels ou de formations ont même dépassé les 900 millions d’euros.
Vous présidez la commission du Sénat sur les moyens de lutte contre les réseaux djihadistes. Les améliorations adoptées par cette commission dans son précédent rapport peuvent-elles suffire à améliorer le système de renseignement français ?
Le dispositif légal, législatif et parlementaire est suffisant. En douze ans, quatorze lois sur le renseignement ont été votées. Les fichiers sont incontestablement un outil, le tout est de les rendre performants. Dans ce type de fichier soumis à la CNIL, la première embûche est la purge à laquelle il est soumis tous les deux ans. Il est alors intégralement vidé. Amedy Coulibaly ou Mohammed Merah sont restés longtemps très surveillés, puis ont été délaissés avant d’être retrouvés auteurs d’attentats. Cette prescription biennale doit sauter. Il faut un fichier développé sur le modèle de celui des délinquants sexuels, qui soit permanent et pour lequel les personnes fichées doivent faire la démarche de se déclarer, quitte à être informées qu’elles comptent parmi les personnes surveillées. D’autre part, ce fichier devrait être correctement tenu avec une identification très précise des personnes y figurant. Actuellement, des confusions peuvent parfois exister autour du nom et de la date de naissance. Leur état civil n’est donc pas toujours clair. En sus, ce fichier nécessite d’être régulièrement mis à jour, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Ayoub el-Kahzzani faisait l’objet d’une fiche de renseignement en France et avait été signalé par les services espagnols. Que peut-on en déduire concernant la nécessité d’une coopération européenne ?
La coopération européenne est essentielle. En Europe, il n’existe pas de PNR, le « Personal Name record » dont se sont dotés les États Unis, le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni et qui recense les passagers aériens. Ce fichier détaille l’intégralité des données personnelles des passagers d’un avion atterrissant sur leur sol. Leur identité, leurs habitudes alimentaires (s’ils mangent casher, etc.) ou leur historique de vols. La CNIL, et même au plan européen, le G29, s’opposent à cette pratique pour des raisons de protection des libertés. Si bien que comme Fernand Raynaud qui demandait le « 22 à Asnières » qui a fait rire toute une génération, pour obtenir un renseignement, à l’heure actuelle, il faut se tourner vers les États-Unis. En matière de renseignement le niveau européen est donc faible. A ce jour, nous devrions avoir l’obligation absolue de pouvoir échanger les fichiers entre pays de l’Union Européenne.