2000, 5000 ou 30 000 euros ? La nouvelle grille d’indemnisation proposée par le Fonds de garantie révolte les victimes, qui l’accusent de hiérarchiser les souffrances .
Manque de respect, trahison, hypocrisie... Au lendemain des annonces du Fonds de garantie, les victimes d’attentat et leurs proches sont en colère. "François Hollande avait pris un engagement : celui de réparer les vivants. Cet engagement n’est pas respecté par le nouveau gouvernement", s’énerve Caroline Langlade, présidente de l’association Life for Paris et rescapée du Bataclan.
Lundi, le conseil d’administration du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) était réuni pour décider des modalités de mise en oeuvre de deux nouveaux préjudices d’indemnisation spécifiques aux cas de terrorisme : le "préjudice d’angoisse de mort imminente" et le "préjudice d’attente et d’inquiétude" destiné aux proches.
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La reconnaissance de ces préjudices était une demande de longue date pour les associations de victimes. Lundi, elles sont tombées de haut en découvrant les modalités de leurs mises en application. "Le compte n’y est pas", s’indigne Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). "On ne peut pas hiérarchiser les souffrances de cette façon", complète Caroline Langlade, remontée contre ces propositions.
"La grille de réparation créée des discriminations"
Si pour le moment aucune grille précise d’indemnisation n’a été communiquée par le Fonds, les échelles et les conditions d’attributions sont très claires. Ceux qui y prétendent devront faire l’objet d’une expertise médicale et elle ne sera proposée "qu’à ceux qui n’ont pas encore perçu d’indemnisation -pénalisant ceux qui souhaitaient tourner la page au plus vite", détaille Emmanuel Domenach, également rescapé du Bataclan et vice-président de l’association 13 novembre.
Le "préjudice d’angoisse de mort imminente" sera indemnisé de 2000 à 5000 euros pour les rescapés et de 5000 à 30 000 pour les victimes décédées. Le "préjudice d’attente et d’inquiétude", attribué aux proches des victimes décédées, sera quant à lui échelonné de 2000 à 5000 euros.
Cette "hiérarchie des souffrances" est justement le point le plus problématique pour Emmanuel Domenach, pour qui cette grille de réparation crée des discriminations "terribles et absurdes". "Que faire de la personne qui était de l’autre côté des terrasses le 13 novembre, qui a tout vu et qui est intervenue pour aider les victimes, sans avoir été visée ? Et comment juger précisément le préjudice subi, par exemple, entre la personne qui est restée 5 minutes dans le Bataclan et celle qui y est restée 3 heures et demie ?" Seulement 3000 euros séparent l’indemnisation maximum du montant minimal. "L’amplitude des montants ne représente pas le vécu des victimes", regrette Emmanuel Domenach, prisonnier une quinzaine de minutes du Bataclan.
"Mettre dos à dos les victimes"
Jusque-là, le préjudice était pourtant reconnu d’un point de vue situationnel -par rapport à la présence d’une victime à un moment et un endroit donné. Une modalité préférable, selon les associations de victimes. "L’enjeu du préjudice d’angoisse était justement de reconnaître ce qu’il s’est passé à l’instant T", note Caroline Langlade, qui rappelle qu’au moment des faits, ni le rescapé, ni la victime décédée ne connaît l’issue de l’attentat. "La peur de la personne cachée sous des corps, avec la crainte de se prendre une balle dans la tête est la même pour celle qui survit et celle qui ne survit pas."
Cet état de fait s’applique également au préjudice d’attente et d’inquiétude des proches, selon Stéphane Gicquel. Il rappelle que seules les familles de personnes décédées ont droit à cette indemnisation, même si, "quelle que soit l’issue, leur attente a été la même".
"On met dos à dos les victimes mortes, celles qui ont survécu et leurs familles", souffle Caroline Langlade, rappelant que le décès entre dans le cadre d’autres préjudices et que, depuis le lancement de Paris For Life, les membres de son association veillent à ne pas créer "d’échelle de souffrance" entre les victimes. "Le soir du 13 novembre, toutes les victimes étaient dans la même situation. On ne doit pas analyser le postulat final plutôt que l’instant T !"
"Des économies sur le dos des victimes"
"Cela réduit le spectre des victimes à indemniser", constate Eric Morain, avocat de la Fenvac, qui s’inquiète de voir les victimes être "classées à tout prix dans des cases", sans que leur situation individuelle ne soit prise en compte. Face au grand nombre de cas, le gouvernement est accusé de chercher à réglementer les indemnisations, prenant en compte en priorité les contraintes budgétaires plutôt que la souffrance.
"On fait des économies sur le dos des victimes. Leur imposer cette expertise est une violence supplémentaire", estime Stéphane Gicquel, qui a la sensation que les victimes ne sont pas écoutées. "De ces deux postes de préjudices pouvaient découler une vraie reconnaissance de la souffrance des victimes et leurs familles. Cela aurait permis une meilleure prise en charge psychologique", déclare Caroline Langlade, amère.
Me Eric Morain assure que des victimes ont d’ores et déjà annoncé qu’elles protesteraient devant la justice. "Cela va accroître les contentieux et va faire office de jurisprudence." Une de ses clientes s’est manifestée dès mardi matin, raconte-t-il. "Dans son e-mail, elle m’a écrit : ’Nous ne valons donc rien’."
Auteur : Emilie Tôn
Date : 26/09/2017
Source : L’Express