Irma, José, Maria : Comment les enfants ont-ils vécu ces ouragans ?

Dans l’enfer des ouragans, quels sont les chocs auxquels les enfants ont été exposés ? Décryptage avec la cellule d’urgence médico-psychologique dépêchée sur place .

« T’inquiètes pas maman on va réparer la maison avec du scotch… » tente un petit garçon. Non loin une fillette reste mutique et un nourrisson refuse de s’alimenter… Après le passage d’Irma, 1000 personnes ont été accueillies à l’aéroport de Pointe-à-Pitre. La plupart de ces familles ont tout perdu... Au milieu des dégâts et de la détresse des adultes, comment les enfants ont-ils vécu Irma, José et Maria, ces trois ouragans qui ont provoqué 15 morts à Saint Martin et tué deux personnes en Guadeloupe. Les différents acteurs de la cellule d’urgence médico-psychologique nous éclaire sur leurs réactions, leurs traumatismes et leurs prises en charge.

Interview du Dr Louis Jehel

Psychiatre et responsable du CUMP pour les Antilles.

Comment sont arrivés les enfants que vous avez accueillis ?

Beaucoup étaient sidérés et terrorisés. C’était terrible de voir un tel épuisement physique. Ils avaient faim et soif. Les visages étaient raides, peu pleuraient. Les adolescents étaient pétrifiés.

Quels chocs ont-ils subi ?

Beaucoup étaient tristes d’avoir vu leur maison détruite, le toit éclaté. Le plus pénible a été la durée de l’ouragan, plusieures heures d’une brutalité inouïe, le bruit infernal du vent, le déchaînement de violence, la détresse des parents. Ensuite, ils ont ressenti un climat de peur, de tension et de la colère à l’aéroport, devant l’afflux des familles à évacuer.

Les adultes étaient eux aussi perdus ?

Dans leur détresse, certaines familles se sont déchirées, l’un des deux parents voulant rester, l’autre poussant pour partir. Les enfants étaient parfois confiés à des tiers pour évacuer vers la France... Ça c’est terrible. Nous avons créé des espaces de jeux dans l’aéroport de Pointe-à-Pitre, pour tenter de les apaiser et de calmer leurs inquiétudes.

Quel a été l’impact de la succession des ouragans ?

C’est une crise qui se rajoute à la crise. Cette succession augmente la tension chez des familles en grande fragilité matérielle et psychologique. D’où l’importance de mettre en place des moyens précoces, un dispositif rapide avec des équipes formées en pédopsychiatrie et des soins spécifiques. Nous avons beaucoup progressé dans ce domaine depuis les attentats de Paris et Nice. Nos équipes vont rester en relais sur place encore pendant encore 4 semaines.

Comment gérer l’après pour les enfants ?

Leur univers s’est effondré en quelques heures. Ils ont tout perdu, leur maison, leur île, leur réseau d’amis. Il faut partir, déménager, s’adapter à un nouveau climat. C’est un monde nouveau qu’ils doivent aborder. C’est très difficile. En France, on les aiguille vers des structures adaptées.

Quels sont les symptômes du choc à postériori ?

Des flashbacks, des troubles du sommeil, de la concentration et de l’apprentissage. Il faut réfléchir à la manière dont on va accueillir ses enfants. Car des mois de malaise sont à prévoir. Les conséquences sont importantes et longues. Beaucoup peuvent vivre avec un sentiment d’injustice, l’impression d’être doublement victime : d’abord on est blessé puis il faut partir et… se reconstruire.

Le témoignage du Docteur Dominique Mastelli, CUMP 67, dépêché à Fort-de- France.

Qu’est-ce qui diffère entre les adultes et les enfants ?

Face aux ouragans, les adultes ont des réflexes, les enfants ont moins d’expérience. Le traumatisme vécu diffère en fonction de la nature du choc, mais aussi de l’environnement. A savoir quels ont été les dégâts matériels subis, l’ambiance générale et le vécu des parents. La première chose que va faire un enfant dans une situation comme celle-ci c’est croiser le regard de sa mère. S’il lit de la stupeur et de l’angoisse, l’impact est immédiat.

Le nombre restreint de morts et de blessés a-t-il joué ?

Cela a été un facteur protecteur. Mais ce qui change pour l’enfant, c’est son rapport à la réalité en fonction de son âge. Avant 6 ans, l’enfant n’a pas conscience de la mort. Après il réalise qu’il est mortel. Et cette confrontation avec la mort provoquée par un ouragan de cet ampleur a un sérieux impact psychologique.

Comment fonctionne la cellule d’urgence médico-psychologique ?

L’organisation générale des CUMP est commune au niveau national. Depuis les attentats de Nice et Paris, nous avons intégré du personnel formé en pédopsychiatrie. Sur les catastrophes, nous montons des espaces séparés pour les parents et les enfants, avec des espaces de jeux et de dessin pour qu’ils puissent s’apaiser. A Fort-de-France nous avons accueilli 850 personnes, arrivées majoritairement de Saint Martin. Nous avons pu réalisé 100 consultations individuelles de 30 minutes et 200 prises en charge collectives, par groupe de 15/20, parmi les personnes réparties dans les hôtels.

Que recherchez-vous dans l’immédiat ?

Dans une première prise en charge, nous avons des techniques d’évaluation spécifiques pour détecter l’apparition de symptômes traumatiques, comme les troubles alimentaires, les troubles du sommeil, la régression dans le développement. Le fait que les enfants collent leurs parents à la recherche de surprotection ou qu’ils se replient sur eux-mêmes, parfois de manière quasi autistique. Dans les 10 jours qui ont suivi le passage d’Irma, nous avons été voir les familles dans les hôtels. Car parfois tout le monde résiste bien sur le coup, même dans le cas où des familles sont restées cloîtrées plusieurs heures, mais le choc se déclenche au moment d’un changement. Les parents se mettent à craquer parce qu’ils doivent organiser leur retour.

Nathalie Prieto, référente nationale en psychiatrie pour le CUMP.

Elle a fait partie de la mission présidentielle avec Emmanuel Macron et la ministre de la santé, qui s’est rendu le 12 septembre à Saint-Martin pour évaluer les besoins et les renforts nécessaires.

En tant que référente nationale en psychiatrie des cellules d’urgence, quelle est votre recommandation ?

Au plus fort de la catastrophe, pour les enfants, le plus important reste que les adultes tiennent le coup. Il faut s’assurer que l’entourage dont ils dépendent directement puissent les rassurer. Pour un bambin, un parent qui s’effondre, c’est un traumatisme majeur. Ce que j’ai pu constater, c’est qu’à chaque fois que les adultes résistent, les enfants tiennent aussi le coup pour ne pas surcharger leurs parents. Si l’adulte est errant, délirant ou démobilisé, il faut absolument le soutenir, car l’enfant va alors être dépendant d’une insécurité extrême. Quand on a tout perdu, ça reste très éprouvant psychologiquement.

Comment se reconstruire ?

Ce qui reste difficile dans le cas de ces catastrophiques cycloniques, c’est l’absence de sécurité extérieure. On ne peut pas se retrouver chez soi, avec ses objets familiers. Il n’y a nul espace de repos. Une blessure, on peut s’en remettre. Un impact psychologique peut durer toute la vie. Il faut s’en occuper très vite.

Source : la Parisienne
Auteur : Delphine Perez
Date : 21/09/2017

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