L’exigence du Président Wade d’ouvrir une information judiciaire au Sénégal sur l’affaire Le Joola (voir Le Quotidien N°2353) pourrait être peine perdue, puisqu’elle ne plaît guère au Collectif des familles des victimes piloté par Idrissa Diallo. Joint par téléphone hier, ce dernier considère cette décision comme de « la diversion, vu l’avancement que le dossier a connu en France ». En effet, M. Diallo estime : « Notre gouvernement est très embarrassé par l’écho que le dossier a connu cette année avec la sortie des magazines Weekend et La Gazette. » Donc, poursuit-il, les gouvernants veulent juste distraire et bloquer ce qui se fait en France et le Président a pensé juste nous faire avaler sa décision.
Idrissa Diallo indique que le Collectif des familles des victimes ne veut pas que Me Wade s’immisce dans cette affaire. Car, dit-il : « Depuis huit ans, il ne s’est jamais occupé de cette affaire. Il s’est même mis contre les familles des victimes en affrontant leurs avocats pour ceux-là qui avaient des mandats d’arrêt. Donc, nous n’allons pas accepter cette volonté subite d’ouvrir cette information judiciaire. Tout se passe bien en France, donc il n’a qu’à laisser le dossier évoluer là-bas. Le droit, c’est le droit. Que ce soit en Chine, en France, en Gambie ou au Sénégal, c’est le droit qui sera dit. » Il suggère ainsi à l’Etat de continuer « son comportement et de se mettre à l’écart de ce dossier. La Justice sénégalaise s’est disqualifiée, le Président n’a rien dit et aucune autorité n’a levé le plus petit doigt ». Amer, M. Diallo confie : « Madické Niang, alors ministre de la Justice, criait victoire lorsqu’on avait annulé les poursuites contre deux autorités. Ils n’ont qu’à continuer avec leur victoire et nous laisser avec d’autres juridictions qui pensent aux droits de l’homme. »
« Deux mille Sénégalais sont morts ! », a-t-il tenu à rappeler, « alors quelle que soit l’autorité impliquée, même si cela demandait une Cour d’assises, on devait le faire ». Par conséquent, M. Diallo demande qu’on ne charge pas le juge d’Evry - Jean-Wilfrid Noël - qui veut poursuivre les autorités sénégalaises. Il est d’avis que si les autorités sénégalaises ne travaillent pas bien, on doit les poursuivre dans d’autres pays. « Nous avons perdu des gens qui nous sont chers, l’Etat n’a rien fait alors qu’il est le premier responsable. Au contraire, il a pris des avocats contre les familles des victimes. Donc, il ne faut pas qu’on revienne sur cette histoire de colonisation, c’est du passé », fulmine-t-il. Il rajoute sur la même lancée : « C’est comme ceux qui parlent du monument de la Renaissance ; alors arrêtons avec ces histoires de colonisation. Il faut que les gens soient sérieux avec le peuple. Si ce sont les Français qui doivent arrêter nos autorités, nous sommes d’accord ! »
L’Association nationale des familles des victimes, quant à elle, « applaudit ». Boubacar Bâ, le porte-parole de l’association, indique : « Dès le départ, nous avions exigé que la lumière soit faite sur cette affaire. Un rapport a été demandé par le président de la République sur ce qui a été fait dans le cadre d’une commission indépendante. Sur la base de ce rapport-là qui est accablant, nous avons été les premiers en tant que responsables à être reçus par Me Wade en compagnie des familles hollandaises. Dans un souci de justice, nous avons souhaité rencontrer Wade, qui nous a accordé une audience et nous avons été présents en tant que familles sénégalaises. » Lors de l’audience, M. Bâ précise : « Nous avons été clairs en tant qu’association en disant que nous ne comptons pas porter plainte contre l’Etat. Mais cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir une ouverture d’information judiciaire. »
Boubacar Bâ déplore le fait qu’ils aient « quelque temps après, lu par voie de presse que l’information judiciaire ne peut pas s’appliquer dans le cadre du Joola, car le commandant étant le seul responsable et vu qu’il n’a pas survécu au naufrage, on a clôturé le dossier. Nous avions vigoureusement réagi (…) »
Mais aujourd’hui, le porte-parole de l’association souligne que « si Wade revient pour interpeler le ministre de la Justice sur l’ouverture d’une information judiciaire, en tant que familles des victimes, nous applaudissons. C’est une honte que d’être la risée du monde entier. On dit qu’il n’y a pas de Justice au Sénégal alors qu’on a des magistrats de qualité dans notre pays ». « Nous nous réjouissons de cette démarche pour qu’enfin il y ait une information judiciaire et que les gens qui ont été impliqués de près ou de loin dans le cadre de la gestion (soient jugés). Ce sera à l’honneur du pays. Car, cela permettra de situer les responsabilités afin que, plus jamais un drame pareille ne se reproduise dans le pays, même si les familles sont habitées par le pardon », ajoute-t-il.
Astou Winnie Beye - Le Quotidien - 16 novembre 2010