L’indemnisation, « une forme de reconnaissance » pour les victimes du 13 novembre

Jessica, 24 ans, a appris la nouvelle sur son lit d’hôpital. Toujours en soins aux Invalides, la jeune femme fait partie du millier de victimes qui ont déjà reçu une première indemnisation après les attentats du 13 novembre, à Paris et à Saint-Denis. En attendant que son état se stabilise et que l’ensemble de ses préjudices soit expertisé, cette étudiante a perçu une provision de 25 000 euros. « Quand je lui ai dit la somme, elle m’a dit : “Oh la la, mais c’est trop !”, confie sa sœur, Clara. Elle ne mesure pas tous les besoins qu’elle aura. »

Jessica ignore encore si elle pourra marcher à nouveau. La jeune femme fêtait son anniversaire à la terrasse du restaurant La Belle Equipe lorsque des tirs de kalachnikov l’ont atteinte. Ses proches se sont déjà mis en tête de lui trouver un logement adapté pour anticiper la sortie de l’hôpital. « Les indemnisations ne lui redonneront pas sa vie d’avant, mais elles lui garantiront au moins une sécurité que notre famille, plutôt modeste, n’aurait pas eu les moyens de lui offrir », assure sa sœur.

Cette famille n’est pas la seule. Le processus d’indemnisation concerne les ayants droit des 130 défunts, les 403 blessés (dont 41 toujours hospitalisés), ainsi que les 729 personnes sans séquelles physiques mais toujours en état de choc depuis les tueries d’il y a deux mois. « Liste évolutive », prévient le parquet de Paris, vendredi 22 janvier.

La veille, lors d’une réunion dans les locaux de l’association Paris aide aux victimes, la ministre de la justice, Christiane Taubira, a annoncé que le Fonds de garantie, organisme chargé d’indemniser les victimes du terrorisme, avait déjà « versé 15 millions d’euros de provisions et remboursé un million d’euros de frais d’obsèques » en l’espace de quelques semaines.

Un montant « dérisoire » par rapport au total que le Fonds de garantie versera aux victimes dans les neuf à douze mois à venir, lorsque leur état se stabilisera, insiste son directeur général, François Werner. A terme, l’indemnisation « pourrait atteindre » 300 millions d’euros, estimait Mme Taubira en décembre.

« Une réponse au terrorisme »

« A titre moral, ça fait du bien de savoir qu’on est soutenu, ça rassure, surtout si on n’est pas capable de reprendre son activité, si on se retrouve au chômage », explique Phyllie, rescapée du Bataclan. Toujours en état de choc, considérée comme une blessée psychique, la trentenaire est en arrêt maladie depuis deux mois. Une provision de 10 000 euros lui a déjà été versée.

Pour y prétendre, Phyllie a dû à la fois présenter un justificatif (son billet de concert) et un certificat médical attestant de son traumatisme. Comme pour toutes les victimes, la Sécurité sociale assume 100 % des frais médicaux, et donc des consultations auprès de psychologues. « Sauf en cas de dépassements d’honoraires… »

« Il ne faut pas avoir de fausse pudeur. L’indemnisation, c’est d’abord une nécessité pour beaucoup de gens », tranche Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac). « Mais ce n’est pas qu’une question d’argent, il s’agit aussi d’une forme de reconnaissance. » Soucieux des questions d’insertion et de réinsertion professionnelle, le dirigeant voit aussi dans cette aide « une réponse au terrorisme », à plus forte raison pour les cinquante enfants orphelins que prend en charge l’Etat en tant que « pupilles de la nation ».

Alimenté par des contributions prélevées sur chaque contrat d’assurance, le Fonds de garantie a prioritairement contacté les familles endeuillées et les blessés physiques. « Nous travaillons avec la liste fournie par le procureur de la République, mais nous pouvons bien sûr intégrer des personnes qui n’y figurent pas », ajoute François Werner. Tous les versements déjà effectués correspondent à la réparation du préjudice moral.

Accéder à l’enquête

L’évaluation des préjudices économiques, censée établir dans les mois à venir le manque à gagner causé par les attentats, nécessitera une expertise médicale ou psychologique au cas par cas. Le plus compliqué ? Que le montant total des indemnisations semble cohérent pour les familles concernées. « Nous devons faire en sorte qu’il n’y ait pas de désaccord profond, précise M. Werner, et qu’on n’ajoute pas une difficulté supplémentaire à des victimes qui ont déjà tout un parcours à faire. »

D’où le besoin, pour certains, de faire appel aux services d’un avocat. « Le but des terroristes était de détruire l’humanité et la citoyenneté des victimes, il ne s’agit donc pas de mettre les victimes ensuite dans des cases, les faits qu’elles ont subis ont déjà été suffisamment déshumanisants », estime l’avocat Frédéric Bibal, spécialiste en droit du dommage corporel.

« Face à ce monstre procédural qui fait déjà plusieurs dizaines de tomes et qui va devenir une espèce de masse absolument ingérable, poursuit Me Bibal, l’un des grands enjeux pour les avocats résidera dans leur capacité à mutualiser leurs informations. » Sous sa coordination, une réunion mensuelle se tiendra au parquet de Paris, la première étant prévue dès la fin du mois de janvier.

Le recours aux avocats s’avère également nécessaire pour avoir accès à l’enquête en cours et mieux comprendre les circonstances du drame. Jeudi, Christiane Taubira a justement précisé qu’elle étudierait la possibilité de donner à une association créée par les victimes des attentats le droit de se porter partie civile dès que possible (et non au bout de cinq ans d’ancienneté), mesure qui prévaut déjà pour les associations de victimes de catastrophes.

« C’est très important d’éviter que chaque victime soit renvoyée à un dialogue singulier avec la machine judiciaire », considère Georges Salines, père d’une jeune femme tuée au Bataclan et président de l’association 13 novembre : fraternité et vérité, créée le 9 janvier. Autre manière, là encore, de se reconstruire.

Crédit photos : Source : lemonde.fr Auteur : Adrien Pécout Date : 21.01.2016

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