"LA MORT VOUS TOMBE DESSUS" : A PARIS, CET INSTITUT REPARE LES VICTIMES DE STRESS POST-TRAUMATIQUE

Attentats, violences conjugales… Dans le 10e arrondissement de Paris, l’Institut de victimologie est le seul centre dédié aux troubles du stress post-traumatique en France.

Ils ont longtemps été infranchissables. 207 mètres séparent le domicile d’Amélie* de son supermarché. Elle les a comptés scrupuleusement. Maladivement. Depuis plusieurs années, cette ancienne maraîchère urbaine est suivie par l’Institut de victimologie de Paris, le seul centre dédié au traitement des troubles du stress post-traumatique (TSPT) en France. Sa vie a été bouleversée par un terrible accident.

« Je n’ai jamais ressenti une telle douleur »

Ce jour-là, Amélie travaille avec entrain, les mains dans la terre. Puis, une sensation éblouissante, venue du ciel, lui tord le corps. Une lourde chaîne tractée par une grue vient de s’abattre sur la maraîchère. « Je n’ai jamais ressenti une telle douleur », insiste cette femme aux yeux clairs.

La vie de la cinquantenaire en sera radicalement transformée. Derrière ses longs cheveux argentés, elle raconte son dos « bousillé », la « souffrance épouvantable » traîné durant des mois jusqu’à une première opération, salvatrice. Mais rien n’y fait, quelque chose a changé. La mécanique tranquillisante des jours s’est enrayée.

« Dormir, c’est déjà baisser la garde »

Des questions singulières et paralysantes naissent en elle. « Est-ce que je vais rester définitivement bloquée si je me baisse pour ramasser cette chaussette ? ». Grouillantes, les rues parisiennes se chargent d’angoisses. « Je me suis mis à redouter les agressions, et plus généralement le simple contact des autres ». Son quotidien se resserre, étreint par la peur irrationnelle d’un danger imminent. Après diagnostic, le centre du psycho trauma est formel, Amélie souffre de TSPT.

Après l’exposition à un événement traumatique, la peur doit s’atténuer, doucement. Mais nous ne sommes pas tous égaux. Chez certaines personnes, le signal d’alarme reste comme "bloqué". Une partie du cerveau est dans le contrôle permanent : dormir, c’est déjà baisser la garde. On parle d’hypervigilance, l’un des symptômes du TSPT.
Delphine Morali-Courivaud
Psychiatre et directrice de l’Institut de victimologie

Ce trouble, hautement incapacitant, vient polluer la vie quotidienne et peut provoquer des maux en cascade : dépression, isolement social… De cette spirale, Amélie sort tout juste la tête de l’eau.

Soigner le stress post-traumatique

« J’ai longtemps culpabilisé. Je viens d’une famille gitane très dure envers les femmes. À propos de l’accident, on me reprochait : ‘Tu n’avais qu’à rester chez toi’. Les rapports avec mes enfants se sont inversés. Avant, c’était moi qui tenais la route », soupire la quinquagénaire, qui parvient que depuis peu à se rendre seule à ses rendez-vous médicaux.

Pour soigner cette affliction, les 17 psychologues (et deux psychiatres) de l’Institut s’appuient sur différentes méthodologies. Les thérapies cognito-comportementales (TCC), l’EMDR (une psychothérapie par mouvements oculaires qui cible la mémoire traumatique des individus) ou encore l’hypnose.

On travaille l’exposition au souvenir traumatique. Mais nous ne traitons pas forcément l’événement en lui-même. Nous cherchons davantage à déconstruire les mécanismes qui mènent à l’apparition des symptômes.
Lisa
Psychologue à l’Institut de victimologie

Attentats de 1995 : Jacques Chirac et les « blessés psychiques »

Ces techniques d’approches, relativement récentes, ont été accompagnées d’une prise de conscience de l’enjeu sanitaire autour du stress post-traumatique, au début des années 90. Fondé en 1995, l’Institut de victimologie est aussi le fruit de ce processus historique.

Cette année-là, la France subit une vague d’attentats islamistes revendiqués par le GIA [Groupe islamique armé, ndlr], une organisation djihadiste née au cours de la décennie noire algérienne. À Paris, le 25 juillet 1995, l’attentat de la gare de Saint-Michel fera huit morts, une centaine de blessés, et des cortèges de traumatisés.

Dès le lendemain, le président de la République, Jacques Chirac, somme Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État charge de l’Action humanitaire de constituer des cellules d’urgence dédiées à la prise en charge de ces « blessés psychiques ».

« Soudainement la mort vous tombe dessus »

Vingt ans plus tard, une série de fusillades et d’attentats-suicide brise de nouveau la vie parisienne. Les attentats du 13 novembre 2015 font 130 morts et plus de 400 blessés. Il faudra parfois plusieurs années aux victimes pour venir toquer à la porte de l’institution.

« Vous buvez un verre sur une terrasse, dans un territoire en paix, et soudainement, la mort vous tombe dessus. C’est un coup de tonnerre dans un ciel clair », explique Delphine Morali-Courivaud. Au total, ils seront 150 à avoir été pris en charge ici, au 2 avenue Richerand, à deux pas du restaurant le Petit Cambodge. « Pour des raisons évidentes, certains patients sont en téléconsultation », glisse la directrice.

« Beaucoup de victimes du 13 novembre ont quitté Paris »

Comment continuer à vivre à Paris ? « On le sait, beaucoup de victimes du 13 novembre ont quitté la capitale. Pour certains, les symptômes du TSPT sont impossibles à vivre ici. Mais la campagne, c’est aussi l’illusion de l’apaisement. Au fond, le problème demeure », décrypte la directrice de l’Institut.

La psychiatre l’assure, à l’Institut de victimologie, les demandes de rendez-vous sont en constante augmentation. Davantage que les attentats, les troubles du stress post-traumatique se développent à bas bruit au sein de la cellule familiale. Pour l’écrasante majorité (80 % en 2020), les patients du centre sont en réalité des patientes. 63 % d’entre-elles étaient consultation pour des troubles en lien avec des violences conjugales.

*Le prénom a été changé.

Crédit photos : Article rédigé par Samuel Vivant publié sur le site ACTU.FR

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