Cinq collégiens tués (bilan hélas provisoire), de très nombreux blessés dont certains en urgence vitale… Le drame qui s’est noué jeudi après-midi sur le passage à niveau à Millas, près de Perpignan, résonne avec celui d’Allinges. C’était le 2 juin 2008. Il y a presque 10 ans.
Si les circonstances restent à établir, les facteurs du drame sont les mêmes : un TER, un bus scolaire transportant des collégiens et… l’impensable, l’accident. Sur le passage à niveau de Mésinges, sept collégiens ont perdu la vie, des dizaines ont été très grièvement blessés, gardant des séquelles irréversibles. Un mois plus tard, le professeur en charge de l’organisation de la sortie s’est suicidé.
Alain Duchamp, vous êtes président de l’association Sourires des Anges, qui rassemble les parents, comment avez-vous appréhendé ce nouvel accident ?
Le président de la SNCF, Guillaume Pépy, avec lequel nous sommes en lien, nous a alertés très rapidement. Il ne voulait pas que nous apprenions ce nouveau drame par voie de presse. Sinon, c’est effectivement un choc, que j’ai néanmoins appréhendé avec distance. Sur le passage à niveau de Mésinges, j’ai perdu ma fille. Je me suis fait une carapace.
Au procès d’Allinges, le souhait commun était d’éviter de revivre un tel drame. Or le scénario s’est répété…
Oui, nous militions et militons toujours avec ferveur pour “plus jamais ça”, mais face aux moyens qui sont dédiés à la sécurisation des passages à niveau, ce drame était prévisible. Nous travaillons avec la SNCF sur ce volet, mais cela ne va pas assez vite. Les procédures sont lourdes, longues. Il y a 15 jours, nous étions justement réunis avec les techniciens de la SNCF, cela fait d’ailleurs 18 mois que ce travail a commencé. Les dirigeants, dont Guillaume Pépy, ont compris tout l’intérêt d’avoir un regard extérieur à l’entreprise, d’autant que nous voulons aller de l’avant et sommes force de propositions.
Vous évoquez les radars de masse inerte ?
Oui, ce sont des boîtiers posés sur les voies qui permettent de détecter les masses inertes et d’envoyer un signal au conducteur du train alors qu’il n’a pas encore le contact visuel pour qu’il déclenche le freinage. Les trois expérimentations menées n’étant pas concluantes, un dispositif japonais est actuellement à l’étude. De plus, tous les ans, des passages à niveau sont supprimés (à l’image de celui d’Allinges), des aménagements sont effectués, les feux clignotants fonctionnent avec des leds et sont ainsi plus visibles… Et puis ce sont aussi des petites choses qui permettent d’éviter un drame comme, dans le cas de doubles barrières, la mention que la seconde peut être brisée. Souvent dans la panique, les conducteurs n’ont pas le réflexe de se dégager faute à la barrière. C’était l’une de nos demandes.
Le procès du drame d’Allinges en 2013 a été qualifié d’exemplaire… Qu’a-t-il apporté ?
La SNCF et RFF ont été condamnées. Les sociétés ont revu leur politique en matière de sécurité sur les passages à niveau. Précédemment ceux-ci étaient qualifiés de dangereux en fonction du nombre d’incidents ou accidents répertoriés. Et des actions étaient alors prises. Après le procès, la sécurité sur ces sites a été classée prioritaire. Chaque passage est inspecté : feux clignotant, platelage, chaussée… Un service est dédié à cette mission.
Votre association va-t-elle s’engager aux côtés des familles des victimes de Millas ?
Sourires des anges est affiliée à la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs). Cinq de nos membres interviennent auprès des familles dans le cadre d’une cellule, elles seront peut-être sollicitées pour les accompagner, les réconforter et les conseiller. Nous sommes bien naturellement à l’écoute.
Quel message souhaitez-vous adresser ?
Au-delà de l’accident de jeudi, j’insiste pour dire que le risque zéro n’existe pas. Éviter un accident, suppose de respecter des règles, notamment ne jamais forcer le passage que l’on soit à pied ou motorisé. Chaque année, c’est une quarantaine de personnes qui y perdent la vie.
Info en +
Procès Le procès du drame d’Allinges s’ouvrait en avril 2013 au tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains. Cinq ans d’instruction, dix jours d’audience, deux mois de délibéré… Au terme de ce procès, les trois prévenus, le chauffeur du bus, Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF étaient reconnus coupables d’homicides involontaires et condamnés respectivement à deux ans d’emprisonnement avec sursis, 400 000 € et 200 000 € d’amende. Les deux sociétés publiques étaient condamnées à verser solidairement avec la société de transport 5 millions d’euros de dommages et intérêts aux 232 parties civiles.
Date : 16/12/17
Auteur : Françoise GRUBER
Source : Le Dauphiné