La vidéosurveillance de Salah Abdeslam est-elle légale ?

Les conditions de détention de Salah Abdeslam, filmé en permanence par plusieurs caméras dans la cellule de Fleury-Mérogis (Essonne) où il est placé à l’isolement, constituent-elles une « atteinte grave à sa vie privée » ? La question, soulevée par son avocat, Me Frank Berton, devait être débattue mercredi 13 juillet devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, qui a quarante-huit heures pour se prononcer.

L’avocat du seul survivant des commandos du 13 novembre 2015 a déposé une requête aux fins de référé-liberté contre la décision du 17 juin, par laquelle le garde des sceaux a décidé de la mise sous « vidéoprotection » de son client. Il attaque également l’arrêté du 9 juin sur lequel se fonde cette mesure, qui prévoit qu’elle peut concerner toute personne placée à l’isolement en détention provisoire « dont l’évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l’ordre public ».

Salah Abdeslam est filmé en permanence depuis le 17 juin par une demi-douzaine de caméras 360 degrés à infrarouge, qui peuvent zoomer sur des détails de sa cellule. Un panneau d’occultation a été disposé devant les toilettes afin de préserver ce qui lui reste d’intimité : seul le haut de son corps apparaît alors à l’écran.

Atteinte à la vie privée

Son avocat considère qu’il s’agit là d’une « atteinte grave et illégale à sa vie privée » au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Ce texte prévoit que l’ingérence d’une autorité publique dans la vie privée n’est possible qu’à deux conditions : qu’elle soit « prévue par la loi » et « nécessaire à la sécurité nationale » ou « à la sûreté publique ».

Contrairement à ce que prévoit la convention, la mesure appliquée à Salah Abdeslam par arrêté ministériel n’est pas « prévue par la loi », fait valoir Me Berton, qui la considère donc comme « particulièrement illégale  ». Elle n’est pas davantage « nécessaire » au but poursuivi – empêcher un suicide –, au contraire. L’avocat étaye ce constat en reproduisant plusieurs avis dans sa requête. Parmi eux, l’Observatoire international des prisons estime que ce dispositif « renforce le risque de suicide qu’il entend combattre en fragilisant psychologiquement le détenu ».

Me Berton évoque également un épisode récent qui avait suscité une vive polémique. Le 29 juin, le député (LR) Thierry Solère avait eu accès à la salle de vidéoprotection de la prison de Fleury-Mérogis, pourtant strictement limité. Il avait été témoin, par caméras interposées, du quotidien de Salah Abdeslam. Le Journal du dimanche en avait tiré un récit détaillé le 3 juillet, où l’on pouvait notamment lire : « Abdeslam sort des toilettes, se lave les dents et les mains. » Me Frank Berton a également assigné le député au civil pour atteinte à la vie privée.

Article 3 contre article 8

Contactée par Le Monde, la chancellerie s’est refusée à tout commentaire sur la requête concernant la vidéosurveillance de Salah Abdeslam. En cas d’échec devant le tribunal administratif, son avocat pourrait former un recours devant le Conseil d’Etat et, en dernier lieu, saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

La CEDH a toujours clairement affirmé le droit des détenus à une vie privée, même si sa jurisprudence en matière de vidéosurveillance permanente est embryonnaire. Elle a cependant semblé considérer, dans un récent arrêt du 16 juin, qu’une telle mesure infligée à un détenu polonais ne constituait pas un traitement « inhumain et dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention européenne.

« Mais on ne peut pas déduire de cet arrêt que les circonstances de la détention de Salah Abdeslam sont contraires ou non à la jurisprudence de la CEDH, car les circonstances sont différentes », souligne Nicolas Hervieu, juriste au Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux. Le requérant polonais était en effet considéré comme dangereux en raison de son comportement en détention, ce qui n’est pas le cas de Salah Abdeslam, et il avait invoqué l’article 3 de la Convention relatif aux « traitements inhumains et dégradants », et non l’article 8 relatif à la « vie privée ».

Source : lemonde.fr
Auteur : Soren Seelow
Date : 13/07/2016

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