PORTRAIT - Henri Perrier, l’ex-directeur du programme Concorde, est décédé alors que se déroule le procès en appel du crash de l’avion.
Le père du Concorde ne verra pas la fin de son procès. Henri Perrier, le fondateur de l’avion supersonique, est décédé dimanche à l’âge de 82 ans, des suites d’une longue maladie. Son état de santé avait justifié, le 8 mars dernier, une demande de renvoi du procès en seconde instance du crash du Concorde. Cette demande avait été rejetée, et le procès avait démarré sans celui qui faisait figure de mémoire vivante du Concorde et de seule personne en mesure d’éclairer la justice. Cet accident (voir ci-dessous) avait coûté la vie aux 109 personnes du vol AF 4590 qui s’était écrasé le 25 juillet 2000 sur Gonesse, non loin des pistes de Roissy. L’impact au sol de l’appareil avait également tué quatre personnes dans un hôtel. Cette disparition laisse un grand vide dans le monde de l’aéronautique mais aussi dans le box des accusés au tribunal de Versailles. « Sans Henri Perrier au tribunal, plus personne ne connaît le Concorde, explique l’une de ses connaissances. Il était meilleur expert que les experts du tribunal. Lors du premier procès, on a même vu la partie adverse faire appel à ses lumières sur des détails techniques de l’appareil. »
Ex-directeur du programme Concorde chez Aérospatiale (aujourd’hui fondu dans EADS), Henri Perrier a participé en 1969 au premier vol du supersonique, auquel il a consacré l’essentiel de sa carrière. Me Fernand Garnault, avocat d’Air France, partie civile, a estimé lundi à l’audience qu’au-delà de sa famille « tout le monde de l’aéronautique pleurait cet homme ».
Intégrité intellectuelle et professionnelle
Cet accident, qui avait mis un terme à la carrière de l’avion, avait profondément meurtri Henri Perrier, qui, dès l’automne 2000, avait travaillé sur les modifications à apporter à l’appareil avant sa remise en vol.
La justice avait considéré, en première instance en 2010, que l’ancien patron du programme et ses équipes n’avaient pas tenu compte des nombreux incidents survenus sur le Concorde et jugés précurseur de l’accident de Gonesse. « Henri Perrier avait très mal vécu sa mise en examen, confie l’une de ses connaissances. Malgré son âge, il ne lâchait rien et avait à cœur de laver son honneur ainsi que celui de ses anciens collègues. » En première instance, la compagnie américaine Continental avait été condamnée à une amende de 200 000 euros et à verser 1 million d’euros de dommages et intérêts à Air France.
Henri Perrier et son ancien collaborateur, Jacques Herubel, avaient été relaxés mais devaient être rejugés car le parquet avait fait appel de l’ensemble du jugement. Du fait de son décès, l’action publique à l’encontre de M. Perrier est désormais éteinte. Mais l’ensemble des parties du procès regretteront surtout son avis d’expert, indispensable pour percer les secrets de cet avion, révolutionnaire à l’époque, qui ne vole plus depuis 2003. « Henri Perrier fait partie d’une génération d’ingénieurs brillantissimes et très cultivés, assure un proche. L’intégrité intellectuelle et professionnelle de ces hommes ne se voit plus dans les procès aéronautiques. »
Le drame de Gonesse : entre erreur humaine et fatalité
Le crash du Concorde ressemble à un enchaînement improbable de circonstances. Un appareil de la compagnie américaine Continental mal réparé en Israël. Une lamelle qui tombe sur la piste 26 droite de Roissy. L’avion d’après qui la déplace au mauvais endroit. Le pneu du Concorde d’Air France qui éclate sur la lamelle et qui percute le réservoir de kérosène. Une déflagration qui fait exploser le réservoir vers l’extérieur. Et un appareil qui s’écrase quelques instants après son décollage. Quatre prévenus - Continental Airlines et deux de ses employés, ainsi que Claude Frantzen, ancien cadre de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) - sont rejugés actuellement à Versailles dans le cadre d’un procès qui doit durer encore plusieurs semaines. Pour cet accident, Air France n’est pas dans le box des accusés mais est partie civile aux côtés des familles de victimes. Il est reproché à Continental d’avoir mal assuré la maintenance de son appareil. Selon la défense de la compagnie américaine, le déclenchement de la déflagration explosive du réservoir serait antérieur au passage du Concorde sur la lamelle. Il était reproché à Henri Perrier de ne pas avoir renforcé la voilure du supersonique comme cela avait été un temps envisagé, à la suite de plusieurs incidents aux États-Unis.
Fabrice Amedeo, Le Figaro.fr - 7 mai 2012