Le procès du Mediator aura-t-il lieu ?

Dix-huit mois après l’éclatement du scandale du Mediator, le procès des laboratoires Servier s’est ouvert, lundi 14 mai, sur une volée de questions juridiques et procédurales.

Bientôt 9 heures du matin devant le tribunal de grande instance de Nanterre. Une association de défense des victimes du médicament - soupçonné d’avoir causé la mort de 500 à 2 000 personnes en trente ans -, brandit une pancarte : "Mediator m’a tuer". Des camions de retransmission des télévisions campent devant le bâtiment, de nombreux journalistes filent vers la salle rapidement bondée d’une audience très médiatique.

Plus de 350 parties civiles attendent beaucoup de l’issue de ce procès, qui devrait durer deux mois. S’il n’est pas rapidement avorté. Car en ce premier jour d’audience, ce n’est pas le fond de l’affaire qui occupe les débats. Mais des points de droit techniques, susceptibles de renvoyer, voire d’annuler le procès. Au grand désarroi de ceux qui sont venus de loin pour soutenir les victimes.

Jacques Servier, le patron des laboratoires du même nom, est assis sur le banc des prévenus. L’audience s’ouvre, il s’avance à la barre. Né le 9 février 1922 à Vatan, habite Neuilly. Le vieil homme de 90 ans a la voix éraillée, le teint pâle. On lui apporte une chaise. Il est entouré de quatre anciens cadres de Servier et de la filiale Biopharma, et de cinq avocats. Parmi lesquels Me Hervé Temime, le verbe énergique et les manches de sa robe noire virevoltantes, qui, le premier, attaque sur la nullité ou l’irrecevabilité des citations :

TROMPERIE AGGRAVÉE

En face, une douzaine d’avocats représentent les très nombreuses parties civiles qui ont choisi de demander réparation par la "voie de l’action", d’après l’expression d’une de leurs avocates. A savoir une citation directe pour "tromperie aggravée". Tromperie, car les consommateurs du Mediator, antidiabétique largement détourné comme coupe-faim, estiment qu’ils n’ont pas été informés sur la nature, la composition et les effets indésirables du médicament, ni sur le métabolisme de son principe actif, le Benfluorex.

En tout, plus de 600 personnes demandent réparation, note la présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, Isabelle Prevost-Desprez. Mais en parallèle de la citation directe, d’autres victimes ont choisi de suivre une autre procédure : depuis septembre 2011, les laboratoires sont mis en examen et une enquête est menée par deux juges d’instruction au pôle santé du Parquet de Paris - qui a promis de clore l’enquête d’ici décembre.

DEUX PROCÉDURES

La coexistence de ces deux procédures, à Nanterre et à Paris, fera l’objet d’une des deux Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) soulevées par la défense. "Comment accepteriez-vous une situation judiciaire où un prévenu, diabolisé comme Jacques Servier, est à la fois mis en examen et jugé après une citation directe, pour les mêmes faits. Pas un seul prévenu en Europe n’est dans ce cas !", tempête Me Temime.

L’autre QPC porte sur le délai de prescription des faits : faut-il faire débuter ceux-ci dès la date de la commercialisation du médicament, en 1976, les faire se poursuivre jusqu’à son retrait du marché, en 2009, ou les situer lorsque les consommateurs ont réalisé la tromperie ? Le débat s’enflamme autour des questions de principes constitutionnels et de "prévisibilité" de la loi. Il se poursuivra sur d’autres points de procédure juridique : la compétence du tribunal de Nanterre à juger l’affaire, une question préjudicielle, une demande de suppléments d’information...

Le procureur Philippe Bourion s’est prononcé pour le rejet de ces QPC. Mais il faudra attendre le 21 mai pour connaître la réponse du tribunal de Nanterre - qui déterminera la poursuite ou non du procès.

"IL FAUT JUGER"

Pour les parties civiles, les QPC ont pourtant déjà été tranchées, à deux reprises, par la Cour de cassation. "Les victimes ont besoin d’un procès", assène un jeune avocat, Me Charles-Joseph Oudin.

En filigrane, les parties civiles reprochent aux laboratoires Servier de tenter de fuir le jugement. "Si ça, ce n’est pas pour gagner du temps et botter en touche pour éviter de s’exprimer sur le fond...", lance Me Martine Verdier, avocate de l’association de consommateurs CLCV. "La défense veut jouer sur une faute technique. Ils se disent : mon dossier est mauvais, mais sur un malentendu, ça peut marcher", explique entre deux séances un autre avocat des victimes, Me François Honnorat.

Pour la pneumologue Irène Frachon, l’une des premières à dénoncer les effets du Mediator, nul doute qu’"il faut juger". Pour elle, "la chronologie et les faits sont très clairs, les laboratoires connaissaient la dangerosité de leur produit". En janvier 2011, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dénonçait aussi une "incompréhensible tolérance" à l’égard du Mediator de la part du groupe pharmaceutique.

À certains moments, les yeux de Jacques Servier se ferment. Les ex-cadres des laboratoires et lui encourent quatre ans de prison et une amende de 37 500 euros, Servier et Biopharma une amende de 150 000 euros ainsi qu’une interdiction d’exercer. Mais l’angoisse des victimes est de voir s’enliser ce dossier monumental dans les méandres de l’instruction et de la justice française.

Le Benfluorex
Le benfluorex diffuserait dans l’organisme une substance toxique, la norfenfluramine, une molécule très proche de l’amphétamine. Celle-ci provoque des hypertensions artérielles pulmonaires, qui peuvent nécessiter une greffe, et multiplie par trois le risque de valvulopathies.

AFP- 14 mai 2012


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